Culture

Le cinéma de 2014: les films qui nous ont marqués, et quelques autres choses

Des journalistes de Slate vous racontent leur année de cinéma, avec leur top des meilleurs films, et un top plus personnel: les meilleurs films pour une couverture Facebook, ceux avec les meilleurs plans, ceux à ne pas voir sur grand écran...

Rosamund Pike dans «Gone Girl»
Rosamund Pike dans «Gone Girl»

Temps de lecture: 10 minutes

Le top 10 des meilleurs films pour faire une jolie couverture Facebook

par Grégor Brandy, journaliste à Slate.

1. Boyhood, de Richard Linklater

2. Grand Budapest Hotel, de Wes Anderson

3. God Help The Girl, de Stuart Murdoch

4. Her, de Spike Jonze

5. Interstellar, de Christopher Nolan

6. Le Rôle de ma vie, de Zach Braff

7. Le Vent se lève, de Hayao Miyazaki

8. Mommy, de Xavier Dolan

9. Night Call, de Dan Gilroy

10. Under the Skin, de Jonathan Glazer


Et son top 10 de l'année:

1. Boyhood, de Richard Linklater

2. God Help The Girl, de Stuart Murdoch

3. Gone Girl, de David Fincher

4. Grand Budapest Hotel, de Wes Anderson

5. Her, de Spike Jonze

6. Interstellar, de Christopher Nolan

7. La Grande Aventure Lego, de Phil Lord et Christopher Miller

8. The Internet's Own Boy, de Brian Knappenberger

9. The Interviewde Seth Rogen et Evan Goldberg

10. 22 Jump Street, de Phil Lord et Christopher Miller

 

Le top 10 des films aux titres adaptés en anglais pour leur sortie française

par Cécile Dehesdin, rédactrice en chef adjointe

1. Night Call, de Dan Gilroy, originellement Nightcrawler

2. American Bluff, de David O. Russell, originellement American Hustle

3. All About Albert, de Nicole Holofcener, originellement Enough Said

4. New York Melody, de John Carney, originellement Begin Again

5. White God, de Kornel Mundruczo, originellement Feher Isten

6. Something Must Break, de Ester Martin Bergsmark, originellement Någonting måste gå sönder

7. Black Storm, de Steven Quale, originellement Into the Storm

8. States of Grace, de Destin Cretton, originellement Short Term 12

9. Last Days of Summer, de Jason Reitman, originellement Labor Day

10. American Nightmare 2: Anarchy, de James DeMonaco, originellement The Purge: Anarchy

Et son top 10 de l'année:

1. Bande de filles, de Céline Sciamma

2. Les Combattants, de Thomas Cailley

3. Mommy, de Xavier Dolan

4. Edge of Tomorrow, de Doug Liman

5. Gone Girl, de David Fincher

6. States of Grace, de Destin Cretton

7. Obvious Child, de Gillian Robespierre

8. Le rôle de ma vie, de Zack Braff

9. La vie rêvée de Walter Mitty, de Ben Stiller

10. Libre et assoupi, de Benjamin Guedj

Le top 10 des plus beaux plans

par Jean-Michel Frodon, critique de cinéma

  • Le serpent de Maloja

Il y a en vérité deux plans, un en noir et blanc tourné en 1924 par Arnold Fanck, l’autre en couleur, tourné en 2013 par Olivier Assayas. Par deux fois dans Sils Maria, le serpent de nuages qui donne son nom à la pièce autour de laquelle vibrent et se déchirent les protagonistes s’avance entre les montagnes de l’Engadine, majestueux, spectaculaire, et pourtant tenu à distance, une fois par le lointain de l’archive, l’autre fois par le détournement de l’attention des personnages. Cette manière à la fois d’accueillir la beauté et de ne pas se prosterner devant elle, de construire les conditions d’une admiration extrême et de jouer avec elles, signe un art de la mise en scène d’un niveau qui connaît aujourd’hui peu d’équivalent.

  • La mer de Naomi Kawase

C’est le premier plan de Still the Water. Il montre, de face, des vagues qui semblent se ruer vers la caméra. Ce qui est montré est sans doute une des situations les plus banales et les plus fréquemment enregistrées au cinéma. La manière dont ce plan est filmé est sans précédent. Il ne s’agit pas ici de ruse, de procédé technique astucieux, d’invention d’une stratégie de prise de vue. Il s’agit d’inspiration et de sensibilité. Cette mer qui n’a rien d’exceptionnel, nous ne l’avions jamais vue, jamais vue ainsi, à la fois menaçante et protectrice, mythologique et réelle.

  • La jeune fille et l’ordinateur

Tout à la fin d’Eden de Mia Hansen-Løve, lorsque s’achève sur un mode désabusé la trajectoire du personnage principal, celui-ci déambule dans un club à demi vide, laissant de côté les autres protagonistes qui appartiennent à une histoire désormais révolue. Il est seul quand la caméra le quitte pour parcourir avec une grâce extrême un espace noir où finit par apparaître une jeune fille dans l’obscurité, seule avec son ordinateur. Belle, glaciale, peut-être un fantôme, le fantôme de cette musique qu’elle distille depuis son Mac, cette apparition incarne avec une puissance qui foudroie la violence du solipsisme où une jeunesse s’est perdue.   

  • Le camion rouge comme une promesse

Un étrange agencement de réalisme et de théâtralité a composé le début du film, autour d’une famille marquée par la dépression du père qui abuse de sa petite fille, et les embardées désordonnées de la mère et des enfants pour échapper à ce destin atroce et minable, beaucoup plus grand qu’elles. Mais voici qu’il apparaît, encore plus grand que le destin. On le sent aussitôt. C’est un camion rouge garé près de la mer, c’est un navire de légende et un rêve d’enfant, c’est l’espèce de tapis volant qui permettra l’enchantement à venir de Je m’appelle hmmm… , le si beau film d’Agnès Troublé, dite agnès b.

  • L’homme noir qui marche avec ses bœufs sur la musique du Train sifflera trois fois

D’où viens-tu Johnny? Qui es-tu, toi qui marches dans la poussière de la route, entouré de vaches aux grandes cornes, sans te soucier des voitures qui te frôlent? La chanson sur la bande-son le dit: tu es Gary Cooper en route vers le show down du Bien et du Mal. Tu es le cowboy absolu, toi qui, il y a quarante ans, chevauchais la moto ornée de ces mêmes grandes cornes dans le fulgurant Touki Bouki de Djibril Diop Mambety. Mati Diop, la nièce de Djibril, t’a retrouvé, toi Magaye qui, un peu bourré, gardes encore les vaches près de Dakar. Elle t’a reconnu etn par le miracle d’un plan au début de Mille Soleils, a fait jouer ensemble une mémoire d’Afrique, une mémoire de cinéma, une beauté des humains.

  • Le visage de Charlotte Gainsbourg

En aura-t-on lu, et entendu, des bêtises sur Nymphomaniac, ce grand film puritain et sentimental! Dans le vortex d’inquiétude et d’espérance enclenché par Lars von Trier, très tôt et obstinément, s’impose une surface singulière, mate, tendue, à la fois offerte et rétractée, espace comme promis à toutes les brûlures, toutes les entailles que les humains sont capables de s’infliger. Ce n’est pas un plan à proprement parler (ou alors au sens d’un plan d’immanence), et c’est pourtant bien un bloc circonscrit qui compose le film lui-même, dans sa grande richesse, sa complexité et ses contradictions. Ce «plan» (le visage de Charlotte G.), il réapparait cette année une fraction de seconde, la plus belle du beau film de Benoît Jacquot, Trois Cœurs, autour d’une cigarette au bout de la nuit.

  • Début et fin de Gone Girl

Un homme regarde le visage de sa femme endormie. C’est le premier plan du film de David Fincher. Et c’est le dernier. Ils sont parfaitement identiques, sauf que tout a changé –puisqu’entre les deux, il y a eu le film. Dans ce plan, chaque geste, et chaque mot, prend un sens différent. La terreur est réelle, c’est à dire que le scénario, avec toutes ses circonvolutions abracadabrantes, ouvre sur des abîmes qui n’ont rien de romanesques, et c’est, en passant, une délicieuse déclaration d’amour au cinéma.

  • L’homme noir dans un couloir sombre

On ne voit rien, d’abord. Et puis presque rien. Il y a cet homme noir qui marche dans ce couloir sans lumière. Peut-on dire qu’il en émerge, ou au contraire qu’il appartient à cette obscurité, et à la dureté des pierres –pierres de prison, pierres d’asile– qui enserrent son chemin? Il n’y a pas de réponse, il y la sensation puissante d’un désespoir royal, qui transforme en chant majestueux la détresse infinie des pauvres, des trahis de l’Histoire, des laissés pour compte des fausses modernités et des pseudo libérations. Il marche, Ventura filmé par Pedro Costa, vers les profondeurs de ce Cavalo Dinheiro que peut-être on ne montrera jamais en France, et c’est comme si le cinéma avait été inventé juste pour cet instant-là.

  • Le garçon dans la rue d’Alep

On ne l’aura vu que quelques secondes, vivant. Dans Eau argentée d’Oussama Mohammed et Wiam Simav Bedirxan, dans une rue en proie à la violence extrême, il raconte avec une ferveur bouleversante son amour du cinéma, sa certitude que montrer, malgré la guerre et la terreur, à cause de la guerre et de la terreur, un film d’Alain Resnais ou de John Cassavetes, c’est travailler à construire de l’humain en chacun, homme et femme, c’est moins mal comprendre le monde où nous vivons, dans ses violences et ses absurdités. Où nous vivons? Juste après, lui, il est mort. Assassiné par la soldatesque de Bachar el-Assad. Quel âge avait-il? On ne sait pas. Moins de 25 ans, assurément.

  • La moto par terre sous la neige

On ne sait pas encore très bien qui est ce type, après les premières scènes de Black Coal, le beau film de Diao Yinan, entre documentaire, polar et fantastique, avec ces histoires de morceaux de cadavres retrouvés aux quatre coins de la Chine. Il neige. C’est la nuit. L’homme est à moto, il roule de manière peu assurée, il est ivre, sans doute. Au sortir d’un tunnel, il dérape et tombe. Rien de spectaculaire dans la lumière jaunâtre des lampadaires au sodium, sur cette voie urbaine, vide, filmée de loin. Et cette chute presqu’au ralenti d’un personnage inconnu est comme un effondrement, le signe cabalistique d’un désespoir universel. Sans raison romanesque ou réaliste connue, aussi mystérieusement qu’imparablement, ce plan d’une tristesse infinie cristallise les impasses d’une société et celles d’une existence.

Et son top 10 de l'année (par ordre alphabétique):

Adieu au langage, de Jean-Luc Godard

Gone Girl, de David Fincher

Black Coal, de Diao Yinan

Eau argentée, d’Oussama Mohammad et Wiam Simav Bedirxan

Mille Soleils, de Mati Diop

Mommy, de Xavier Dolan

Nymphomaniac, de Lars von Trier

P’tit Quinquin, de Bruno Dumont

Sils Maria, d’Olivier Assayas

Still the Water, de Naomi Kawase

Bonus vu en festival mais qui risque de rester inédit: le sublime Cavalo Dinheiro, de Pedro Costa

 

Le top 10 des films qu'on regrette d'avoir vu sur grand écran

par Alexandre Hervaud, journaliste ciné/séries

1. Les Trois Frères le retour, de Didier Bourdon, Bernard Campan et Pascal Légitimus

2. Sin City: J'ai tué pour elle, de Robert Rodriguez

3. The Search, de Michel Hazanavicius

4. Lucy, de Luc Besson

5. Tusk, de Kevin Smith [vu en festival, sortie vidéo prévue en 2015]

6. The Amazing Spider-Man 2: le destin d'un héros, de Marc Webb

7. Brick Mansions, de Camille Delamarre

8. Annabelle, de John R. Leonetti

9. Samba, d'Olivier Nakache et Eric Toledano

10. Ninja Turtles, de Jonathan Liebesman

Et son top 10 de l'année:

1. Nymphomaniac vol 1&2, de Lars Von Trier

2. Gone Girl, de David Fincher

3. The Raid 2, de Gareth Evans

4. Bande de filles, de Céline Sciamma

5. Boyhood, de Richard Linklater

6. Only Lovers Left Alive, de Jim Jarmusch

7. Mommy, de Xavier Dolan

8. Alleluia, de Fabrice Du Welz

9. Blue Ruin, de Jeremy Saulnier

10. Mange tes morts, de Jean-Charles Hue

Le top 10 des meilleurs moments musicaux

par Jean-Marie Pottier, rédacteur en chef

1. Une scène. Le trajet en voiture dans Deux jours, une nuit des frères Dardenne, avec La Nuit n'en finit plus de Petula Clark dans l'autoradio. Ça n'est pas du classique, mais c'est beau comme du Bresson.


2. Un morceau. Tornero de I Santo California, dans Tonnerre de Guillaume Brac, qui fait même danser un slow à Bernard Menez.

3. Un groupe... Les Four Seasons, grâce à Jersey Boys, biopic plutôt plaisant signé Clint Eastwood, entre son casting réussi et l'impression curieuse de voir une version musicale des Affranchis.

4. ... et un de ses tubes. Four Seasons qu'on a vu ressurgir plus tard dans l'année grâce à la petite bombe The Night, single seventies retenu par Bertrand Bonello dans la BO, comme toujours impeccable, de son Saint Laurent.

5. Une cassette homemade. La BO de White Bird, de Gregg Araki, offre, comme souvent chez le réalisateur, une belle moisson de redécouvertes de singles des années 80, des Cocteau Twins à Echo & The Bunnymen.

6. Une playlist MP3. Comme celle de White Bird, la BO de Boyhood, de Richard Linklater, sonne comme une compilation patiemment confectionnée par le héros ado du film, de Coldplay à Arcade Fire. Sauf que, question de génération, il l'écoutait sûrement sur son iPod. 

7. Un morceau (bis). Within de Daft Punk, extrait du récent Random Access Memories, dont la mélancolie terminale colle parfaitement à celle du Eden de Mia Hansen-Løve. «I am lost/I can't feel/I can't remember my name...»

8. Une reprise a cappella. James Franco qui fait craquer un Kim Jong-un d'opérette (ou plutôt, encore plus d'opérette que d'habitude) en lui fredonnant Firework de Katy Perry dans The Interview. Un des moments les plus drôles d'un film qui ne méritait ni excès de publicité, ni excès d'indignité.

 
9. Une vieillerie indé. Original Love des Feelies, dans Libre et assoupi de Benjamin Guedj. Entendre un morceau du merveilleux Crazy Rhythms dans une comédie françaisee est un grand moment de plaisir (et celui-là colle mieux à l'atmosphère du film –la glande, la paresse, le lymphatisme– que The Boy With The Perpetual Nervousness).


10. Une tendance. La musique électronique qui tapisse le «jeune cinéma français» a été surtout vantée pour la BO délicate, signée Para One, de Bande de filles de Céline Sciamma, mais le moment le plus réussi dans ce registre cette année aura sans doute été le Prologue de Hit+Run, sur la première scène morbide des Combattants.

Et son top 10 de l'année:

1. Le Vent se lève, d'Hayao Miyazaki

2. Deux jours, une nuit, de Luc et Jean-Pierre Dardenne

3. Night Moves, de Kelly Reichardt

4. Saint Laurent, de Bertrand Bonello

5. Black Coal, de Diao Yinan

6. Boyhood, de Richard Linklater

7. L'Amour est un crime parfait, d'Arnaud et Jean-Marie Larrieu

8. Computer Chess, d'Andrew Bujalski

9. Gone Girl, de David Fincher

10. Fidelio, l'odyssée d'Alice, de Lucie Borleteau

Le top 10 des films féministes

par Charlotte Pudlowski, rédactrice en chef adjointe

1. Bande de filles, de Céline Sciamma

2. Les Combattants, de Thomas Cailley

3. Fidelio, l'odyssée d'Alice, de Lucie Borleteau

4. Le procès de Viviane Amsalemde Ronit et Schlomi Elkabetz 

5. Deux jours, une nuit, de Jean-Pierre et Luc Dardenne 

6. Interstellar, de Christopher Nolan

7. Geronimo, de Tony Gatlif

8. Obvious Child, de Gillian Robespierre

9. Hunger Games, de Francis Lawrence

10. Tiens-toi droite, de Katia Lewcowitz

Et son top 10 de l'année:

1. Bande de filles, de Céline Sciamma

2. Her, de Spike Jonze

3. Only lovers left alive, de Jim Jarmush 

4. Timbuktu, d'Abderrahmane Sissako

5. Gone Girl, de David Fincher

6. Sils Maria, d'Olivier Assayas

7. Night Moves, de Kelly Reichardt

8. Saint Laurent, de Bertrand Bonello

9. Trois Coeurs, de Benoît Jacquot

10. Mommy, de Xavier Dolan

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