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En Afrique du Sud, on ne badine pas avec le sexe

Les questions sur la féminité de Caster Semenya sont taxées de racisme.

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Inconnue il y a trois semaines. Humiliée la semaine dernière. Caster Semenya est devenue quelques jours plus tard la nouvelle idole de l'Afrique du Sud. La championne du monde du 800 mètres dont l'identité sexuelle est remise en cause par de nombreux médias du monde entier a reçu un accueil triomphal le 25 août, à son retour au pays. Des milliers de ses compatriotes s'étaient réunis pour lui faire un accueil digne de Madonna ou de Mandela, alors que d'ordinaire l'athlétisme laisse assez indifférent la «Nation-arc-en-ciel». Ce sport vient loin derrière le football, le rugby ou même le cricket en termes de popularité.

Cette fois-ci, tous les médias sud-africains ont consacré leur Une au retour au pays de la nouvelle héroïne. Winnie Mandela, elle-même, était là pour lui apporter son soutien. Ainsi que Julius Malema, le tout puissant leader de la jeunesse de l'ANC (Congrès national Africain), le parti au pouvoir depuis la fin de l'apartheid. Si ailleurs dans le monde, «l'affaire Caster Semenya» est perçue comme étant avant tout de nature sportive, en Afrique du Sud elle est d'abord considérée comme politique.

La théorie du complot raciste

Les grands médias occidentaux sont accusés de racisme. «S'ils mettent en cause la féminité de Caster Semenya» affirme Malema «c'est parce qu'ils sont contrôlés par des Blancs». D'après cet influent dirigeant, Caster Samenya subit de pareilles attaques avant tout parce qu'elle a battu des blanches. Ce qui n'est que partiellement vrai, puisque sa dauphine est Kényane.

D'après The Mail and Guardian, «Certains dirigeants de l'ANC laissent entendre qu'un complot aurait été ourdi depuis l'Afrique du Sud.» Par des ennemis de l'intérieur, en somme. Sous entendu, des Blancs qui ne veulent pas admettre les réussites actuelles du régime post apartheid.

Car pour l'ANC ce n'est certainement pas un hasard si les premières «rumeurs perfides» émanent d'un organe de presse australien. Nombre de Blancs qui ont quitté l'Afrique du Sud au cours de la dernière décennie sont allés vivre en Australie. Entre autres, John Maxwell Coetzee, prix Nobel de littérature, qui considère l'Australie comme son nouveau pays et se montre très critique vis-à-vis des nouveaux dirigeants de l'Afrique du Sud. Même la Fédération internationale d'athlétisme est accusée de racisme par les politiques et les médias locaux. Un argument d'autant plus étonnant que le Président de l'IAAF est lui-même Africain.

L'ANC a tout de suite compris le parti qu'elle pouvait tirer de l'affaire. Caster Semenya est une «victime idéale», elle est noire, c'est une femme. Elle vient d'un milieu extrêmement populaire et elle est très jeune. Caster a du mal à s'exprimer et a été humiliée par des grands médias de l'Occident qui refusent de reconnaître son talent parce qu'elle est...Africaine. C'est du moins ce que pensent beaucoup de Sud-africains.

A son arrivée à Johannesburg, Caster Semenya semblait d'ailleurs embarrassée par l'ampleur de cette «Affaire d'Etat». Visiblement mal à l'aise, elle se frottait les joues et soufflait comme si elle s'apprêtait à se lancer dans la course la plus longue et pénible de sa jeune carrière. Même une partie de la presse sud-africaine, à l'image du Cape Argus trouve que l'ANC en fait trop dans la récupération. Pourtant, il faut bien reconnaître que le traitement réservé à Caster Semenya n'était pas des plus élégants.

La Britannique, Kelly Holmes, championne olympique du 800 et du 1500 mètres lors des Jeux d'Athènes en 2004, a fait part de son indignation sur le site de la BBC. Car la polémique a éclaté quelques heures avant la finale du 800 mètres. Kelly Holmes juge «criminelle» la publicité donnée à cette affaire en pleine compétition. Il fallait à Caster Semenya une grande force de caractère pour ne pas se laisser déstabiliser par ces accusations. Comme le souligne Holmes ce «débat mondial» sur son identité sexuelle a dû être particulièrement traumatisant et humiliant pour une jeune femme de 18 ans. Elle est originaire d'un village de la province du Limpopo, l'une des régions les plus déshéritées d'Afrique du Sud.

Kelly Holmes a elle-même été soumise à des tests de féminité à une époque où c'était la règle pour toutes les athlètes. Aujourd'hui ces tests ayant disparu, il est difficile d'expliquer qu'ils ne seront imposés qu'à une seule athlète au motif que c'est celle qui ressemble le plus à un homme. D'autant plus que Caster Semenya est loin d'être la première dans ce cas. Maria Mutola, championne Mozambicaine, a régné sur le 800 mètres féminin pendant des années. Beaucoup la trouvaient trop masculine à leur goût. Mais c'était bel et bien une femme. Pamela Jelimo, la Kényane qui a dominé outrageusement cette discipline en 2008 n'était pas non plus «très féminine». Au point, comme l'a déclaré une athlète française, qu'elle avait été surnommée «Jean-Pierre» par ses rivales. Mais malgré tout, il semble bien que «Jean-Pierre» soit elle aussi une femme à part entière.

Mais la polémique a encore rebondi lorsque le Daily Telegraph a révélé que Caster Semenya avait un taux de testostérone anormalement élevé. Une anomalie qui intrigue d'autant plus qu'un Allemand —qui a travaillé avec les athlètes au temps de la glorieuse RDA— a rejoint le staff de l'équipe sud-africaine. A-t-il une influence sur les performances de Caster Semenya? Mais alors, si tel était le cas, il s'agirait d'une banale affaire de dopage. Peut-être à l'insu de l'athlète. Et dès lors, on ne pourrait l'accuser sans preuve. Tant que des contrôles anti dopage positifs non pas eu lieu, on ne peut blâmer Semenya. Jusqu'à preuve du contraire, elle est innocente.

Etre une vraie femme ou ne pas être

Même en cas de contrôle positif d'ailleurs —par exemple à la cocaïne—, elle pourrait bien s'en sortir avec... un bon avocat. En adoptant une stratégie récemment couronnée de succès dans un autre cas de figure. «J'ai embrassé une fille (ou un garçon) qui consommait régulièrement de la cocaïne et elle (ou il) m'a contaminée à l'insu de mon plein gré» pourrait-elle déclarer. Elle ferait la Une de la presse people et serait sans doute soutenue par l'ANC. Mais si cette affaire a un tel impact en Afrique du Sud, c'est aussi parce que dans ce pays on ne badine pas avec l'identité sexuelle. Certes, la patrie de Mandela possède l'une des Constitutions les plus progressistes du continent. Les droits des homosexuels y sont notamment reconnus. Mais, dans les milieux populaires, il ne fait pas bon être homosexuel(le) ou avoir une identité sexuelle ambiguë. Ainsi, dans les townships, les femmes suspectées de ne pas être suffisamment féminines ou de ne pas «vraiment aimer» les hommes sont persécutées. Chaque année, des femmes suspectées d'être lesbiennes subissent des viols répétés pour les «remettre dans le droit chemin». Certaines d'entre elles sont même assassinées. D'ailleurs, l'entourage de Caster Semenya a réagi avec virulence à la polémique. Le père de l'athlète a déclaré qu'il refusait que sa fille soit soumise à un «test de féminité». Il préfère qu'elle rende sa médaille d'or plutôt que de subir une telle humiliation. L'athlète elle-même a hésité avant d'aller chercher sa médaille.

The Sowetan fait sa Une avec son certificat de naissance indiquant qu'elle est une fille. Le Président Jacob Zuma est lui-même entré dans la bataille. Sur un ton belliqueux, il annonce qu'il ne laissera pas impunément humilier des citoyens sud-africains. L'affaire Semenya est loin, très loin d'être terminée. Le 800 mètres va laisser place au marathon.

Pierre Malet

Image de Une: Caster Semenya à l'arrivée du 800 mètres; Tobias Schwarz / Reuters

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