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JO: le sport français se surprend encore à croire au Père Noël

En 2015, Paris sera peut-être candidate à l’organisation des Jeux olympiques de 2024. En sachant qu’ils ont des chances raisonnables de se dérouler aux Etats-Unis.

Des supporters de l'équipe féminine de France de handball, en juillet 2012 pendant les Jeux de Londres. REUTERS/Marko Djurica
Des supporters de l'équipe féminine de France de handball, en juillet 2012 pendant les Jeux de Londres. REUTERS/Marko Djurica

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C’est un cadeau empoisonné, mais à l’heure de Noël, Anne Hidalgo sait probablement qu’elle devra se résoudre à l’accepter en proposant, fin janvier ou début février, Paris comme ville candidate à l’organisation des Jeux olympiques de 2024 sachant que le top départ interviendrait officiellement en juillet après un possible «téléthon» en juin pour associer les Français à la décision finale et au financement du projet. En effet, François Hollande et le mouvement olympique français poussent fort derrière cette candidature alors que la maire de Paris n’en veut pas vraiment, convaincue, comme Bill de Blasio, le maire de New York qu’elle a rencontré en mai 2014, que la capitale, comme New York, n’a pas besoin du grand barnum sportif pour ajouter à son prestige planétaire. La candidature de Paris à l’Exposition universelle de 2025, est, en revanche, adoubée et encouragée par l’Hôtel de Ville.

Perdre 2024 pour remporter 2028?

Il n’empêche, donc, un peu au nom de l’intérêt sportif national, Anne Hidalgo pourrait prendre cette initiative en se rappelant combien la défaite de Paris, à Singapour en 2005, lors de l’attribution de l’organisation des Jeux de 2012 en faveur de Londres (par 54 voix contre 50 à Paris), avait meurtri son prédécesseur, Bertrand Delanoë, pour qui cette désillusion avait été une source de vraie souffrance psychologique. Elle s’y risquera aussi en ayant conscience que Paris a des chances de perdre une nouvelle fois, mais que c’est le prix éventuellement à payer pour avoir de solides arguments… pour les Jeux de 2028.

L’explication de ce raisonnement tortueux est relativement «simple»: en 2024, les Etats-Unis présenteront une ville et celle qui sera choisie, en janvier, entre Boston, Los Angeles, San Francisco et Washington, sera, de facto, en position de force pour être le cadre des Jeux cette année-là.

En effet, en 2024, cela fera 28 ans que les Etats-Unis n’auront pas accueilli les Jeux d’été (Atlanta 1996). C’est un peu long pour le principal bailleur de fonds du Comité international olympique (CIO) qui vient de renouveler son contrat avec la chaîne américaine NBC pour 7,65 milliards de dollars jusqu’aux Jeux de 2032 inclus. Il serait excessif d’écrire que NBC fait la pluie et le beau temps au CIO, mais, inconsciemment, il sera peut-être temps alors de faire plaisir aux Etats-Unis et au network américain qui, à la signature du contrat, a fait un chèque de 100 millions de dollars au CIO pour assurer la promotion des Jeux. De surcroît, en 2018, 2020 et 2022, les Jeux d’hiver et d’été auront tous lieu en Asie, ce qui n’est pas idéal pour les audiences de NBC ou au moins pour ses retransmissions en direct. Dans l’ordre du calendrier, rappelons-le, les Jeux d’hiver de 2018 à PyeongChang, en Corée du Sud, précèderont les Jeux d’été de Tokyo, au Japon, en 2020 avant, en 2022, les Jeux d’hiver de Pékin, en Chine, ou d’Almaty, au Kazakhstan (la Chine et le Kazakhstan seront départagés le 31 juillet 2015 à Kuala Lumpur). Enough will be maybe enough dans l’esprit de nombreux votants qui décideront à Lima, au Pérou, à la fin de l’été 2017, du nom de la ville organisatrice des Jeux de 2024, et feront peut-être le choix de l'«évidence» polie en se rangeant derrière les Américains.

De nouvelles règles

Pour la France, être candidate en 2024, c’est afficher la claire volonté d’arracher la décision vaille que vaille à Lima. Mais c’est aussi, à défaut, se placer pour 2028. Si les Etats-Unis s’imposent pour 2024, l’Europe a forcément une nouvelle belle fenêtre de tir en 2028 et faire bonne figure pour 2024 serait déjà un gros atout dans cette perspective.

A l’occasion du centenaire des Jeux de Paris, organisés en 1924, la capitale française a donc l’occasion de remettre l’ouvrage sur le métier. Après tout, les Etats-Unis peuvent aussi se «planter», comme avec Chicago pour les Jeux de 2016, mais c’est peu probable: de ce côté de l’Atlantique, des leçons ont été tirées au terme de ce fiasco humiliant qui avait impliqué Barack Obama. Paris devra être remarquable pour triompher dès 2017.

Voilà quelques jours, Rome a officiellement annoncé sa candidature pour 2024 avant la confirmation des intentions américaines. L’Allemagne, à la satisfaction de Thomas Bach, président allemand du CIO, est prête à franchir le pas et doit décider qui la représenterait entre Berlin et Hambourg. L’Afrique du Sud pourrait être tentée tout comme, dit-on, l’Australie avec Melbourne. Pour les villes requérantes, qui ont jusqu’au 15 septembre 2015 pour envoyer leur lettre de candidature officielle, mais sont obligées de lancer une pré-campagne d’ici là, c’est d’autant plus la bouteille à l’encre que le CIO, lors d’une session extraordinaire à Monaco, début décembre, vient de décider de bouleverser ses habitudes et son cahier des charges.

Parmi les mesures principales adoptées, il a été notamment voté, pour diminuer (en principe) les coûts des Jeux, qu’il serait désormais possible pour des pays, pour des régions, de s’associer afin de tenter leur chance. A titre d’exemple, Berlin et Hambourg pourraient se porter comme villes conjointement candidates pour l’Allemagne. Techniquement, par hypothèse, la Bulgarie et la Roumanie, nations trop petites pour recevoir des Jeux d’hiver, auraient l’opportunité de s’unir et de monter un projet commun, un pays soulageant l'autre parce qu'il disposerait d'installations coûteuses déjà construites, comme une piste de bobsleigh. C’est, en quelque sorte, la mort annoncée du village olympique unique.

Pour le mouvement olympique français, qui planche depuis de longs mois sur la faisabilité d’une candidature, cette nouvelle donne, qu’il examinera en janvier avant la décision finale des politiques, est évidemment à prendre sérieusement en considération. Mais les votants de Lima en 2017 iront-ils jusqu’au bout de cette audace réformatrice en faisant le pari de Jeux déconcentrés dès 2024? Pas sûr, et les Etats-Unis ont d’ailleurs fermement indiqué qu’il n’était pas question pour eux de proposer une candidature commune San Francisco-Los Angeles sous une bannière californienne. Ce sera un seul lieu en ce qui les concerne! Des jeux compacts et aux coûts maîtrisés pourraient s’avérer plus séduisants au premier abord pour les très conservateurs membres du CIO.

Les handicaps de la France

En cette période de relâche de Noël, et pour bien s’imprégner de ce qui les attend s’ils se lancent dans cette course pleine d’embûches derrière le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), Anne Hidalgo et François Hollande seraient bien avisés de parcourir le livre, sorti en octobre, La tentation olympique française d’Armand de Rendinger, spécialiste français du lobbying sportif et habitué des arcanes du CIO.

En fermant cet ouvrage très fouillé, ils pourraient être définitivement découragés tant la France semble accumuler des faiblesses et tant ce processus d’élection demeure, de toute façon, compliqué, opaque –pour ne pas dire fumeux.

Parmi les griefs relevés par de de Rendinger (et il y en a!), ce sont peut-être ses critiques contre les autorités sportives de ce pays qui font le plus mal au-delà du climat de «lose» qui sévit actuellement dans nos frontières. En effet, avec seulement deux membres au CIO (Guy Drut, Tony Estanguet) depuis le retrait de Jean-Claude Killy –contre cinq Suisses!–, la France ne pèse plus très lourd dans les hautes sphères du sport international (constat déjà fait à Singapour en 2005). Et comme le relève de Rendinger, de récentes élections au niveau international ont stigmatisé la méfiance vis-à-vis des Français. En juillet 2013, Bernard Lapasset, président de la fédération internationale de rugby, à la tête de l’étude d’opportunité d’une candidature parisienne aux Jeux de 2024, faisait ainsi partie d’une liste de 10 noms pouvant devenir membres du CIO. Un seul fut recalé, Lapasset. En novembre 2013, Denis Masseglia, président du CNOSF, se présenta à un poste au comité de l’Association des comités nationaux olympiques européens. Il y avait 12 places à pourvoir, Masseglia est arrivé 13e.

Armand de Rendinger écrit au sujet de cette campagne pour 2024:

«La France peut toujours rêver, comme en son temps Madame de Staël qui disait: “La conquête est un hasard qui dépend plus des fautes des vaincus que du génie du vainqueur.”»

Pas sûr que cela rassure Anne Hidalgo au moment d’aborder ce dangereux virage de 2015...

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