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Pendant les fêtes, alors que le ventre (trop) plein, les yeux mi-clos, vous serez en train de compter les calories et les cadeaux amassés, près de vous des enfants réclameront de l'attention, chouineront que vous n'êtes pas là pour vous reposer. Mais pour vous occuper d'eux. Inutile alors de compter sur le petit écran qui cette année diffusera pour la première fois La Reine des Neiges, et enfoncera dans la tête des quelques bambins qui ne l'avaient pas encore la chanson «Libérééééé, délivréééé». Et vous accablera.
Pour vous permettre d'y échapper –mais de quand même coller vos enfants devant un écran pour digérer tranquille–voici un petit florilège de films sortis entre la rentrée et décembre 2014 qui se démarquent de ce blockbuster qu'ils connaissent probablement déjà par coeur. En salle, en DVD ou en VOD.
M.Hublot
1.Versions courtes
Spécifiquement calibré pour les plus jeunes spectateurs, le court métrage s’adapte à une concentration limitée sans pour autant restreindre la créativité. Au contraire, les formats courts permettent à de jeunes réalisateurs talentueux de tester des univers singuliers et des esthétiques audacieuses à petite échelle. Souvent rassemblés dans des programmes thématiques (l’imagination, les jouets, Noël…), ces petits bijoux méritent le détour.
Les Fantastiques livres volants de M. Morris Lessmore
de Laurent Witz, Alexandre Espigares, Eloi Henriod, Léo Verrier, Juan Pablo Zaramella, William Joyce, Brandon Oldenburg
Le 24 septembre est sorti sur grand écran Les Fantastiques livres volants de Mr Morris Lessmore, florilège de cinq films autour de la notion d’imaginaire. Une histoire d’amitié entre un chien robot et un monsieur toqué (M.Hublot, oscarisé en 2014), une rêverie naïve et musicale (Le Petit blond avec un mouton blanc, adaptation du livre éponyme de Pierre Richard), la vie trépidante d’un voleur qui dévore des tableaux de maîtres (Dripped), une histoire d’amour lumineuse (Luminaris) ou encore une ode à la littérature et à la magie des mots (Les Fantastiques livres volants de Mr Morris Lessmore oscarisé en 2012). Cette sélection montre la diversité créative dans le monde de l’animation, faite de visions personnelles, poétiques, protéiformes et inclassables.
En novembre, l’univers de Raymond Briggs, célèbre illustrateur de livres pour enfants britannique, a été mis à l’honneur avec la sortie des Merveilleux contes de la neige. Ce dyptique constitué de L’Ours et Le Bonhomme de neige sont des classiques de la littérature anglaise, adaptés pour la télévision et régulièrement diffusés durant les vacances de Noël. Dans les deux courts métrages (l’histoire d’un ours polaire qui embarque une petite fille dans un voyage merveilleux et celle d’un petit garçon qui découvre le pays du Père Noël grâce à un bonhomme de neige), on est invité à glisser avec douceur du monde réel au rêve. Par l’entremise d’un dessin très simple dans sa forme mais poétisé par l’usage de crayons de couleur et l’absence de paroles, les deux films évoquent des thématiques plus sombres qu'il n’y paraît (la perte, l’isolement, la nostalgie). En sublimant ces tristes événements, Briggs et les réalisateurs chargés des adaptations, convient les plus petits à un périple magique (et pédagogique). Pour les plus grands, Quand souffle le vent, autre adaptation des travaux de Briggs, explore les ravages d’une guerre nucléaire en suivant le tragique destin d’un vieux couple.
Panique chez les jouets
de Joel Simon, Bruno Collet, Vincent Patar, Stéphane Aubier
Pour Panique chez les jouets, sorti au cinéma le 26 novembre, comme le titre l’indique, les jouets mènent la danse. Cette trilogie de courts-métrages en stop-motion s’ouvre sur Macropolis, le voyage initiatique de deux figurines (un chat borgne et un chien unijambiste) remisés à la poubelle à cause de leurs handicaps mais bien décidés à trouver une famille d’accueil, quitte à braver tous les dangers d’une grande ville. Petit Dragon, le 2e segment, est un cri d’amour à Bruce Lee. Une poupée à l’effigie du célèbre acteur prend vie et doit, à coup de bougie d’anniversaire terrasser un terrible robot. Drôle et ludique pour les plus jeunes, fendard et référencé pour les autres.
Le programme se clôt par un nouvel épisode des aventures d’Indien et Cow Boy, les deux baltringues de Panique au village (série télévisée puis long métrage en 2009). Dans La Bûche de Noël, les deux jouets sabotent le 25 décembre en massacrant la bûche. Mais en trouver une autre à quelques heures du début des festivités n’est pas chose aisée et il va falloir jouer serré avec Steven, le fermier bourru (à qui Benoît Poelvoorde prête sa voix). Panique chez les jouets rappelle les longues heures que vous passiez gamin à inventer des scénarii abracadabrantesques avec des petites figurines. Un fantasme concrétisé.
Si Walt Disney bénéficie d’une renommée mondiale depuis la création de Mickey 1928, l’Europe n’est pas en reste avec Karel Zeman, le génie tchèque dont les visions infusent les univers de Ray Harryhausen (concepteur d’effets spéciaux connu pour son travail sur Sinbad ou Jason et les Argonautes) ou de Terry Gilliam. Avec Rêve de Noël prévu pour le 21 janvier en salles, on découvre cinq de ses films en noir et blanc, réalisés entre 1945 et 1972. Mêlant de nombreuses techniques (collages, dessins, marionnettes, prises de vues réelles mélangées à l’ancêtre du stop motion), Le Hamster, Inspiration ou M. Prokouk horloger synthétisent une poésie sublime, une dimension édificatrice et un voyage dans le temps pour les enfants du XXIe siècle. Sans verser dans la candeur systématique et les happy ends faciles, Zeman s’inscrit pleinement dans les narrations ancestrales baignées de cruauté que sont les contes de fées, aux antipodes du manichéisme édulcoré de Disney.
2.Version longue
Ovni dans la production animée pour enfants, Le Garçon et le monde, film brésilien sur les écrans depuis le 8 octobre, a de quoi dérouter. Les thématiques? L’écologie, le droit du travail ou même la mondialisation. Ancré dans le folklore sud-Américain par le choix des couleurs et des musiques, le film suit le parcours d’un petit paysan à la recherche de son père, parti travailler dans une grande usine de la ville voisine. La découverte de ce monde inconnu par le garçon est une symphonie visuelle hallucinante, la preuve de la vivacité du cinéma pour enfants pour peu qu’on s’autorise toutes les folies graphiques.
Sorti le 15 octobre, À la poursuite du Roi Plumes, film dano-suédois, conte les aventures d’un lapereau dont la mère a été enlevée par une créature magique, le Roi Plumes. Mettant tout en œuvre pour la retrouver, le jeune héros va découvrir un monde parallèle (une sorte de paradis qu’on ne peut quitter sous peine de disparaître définitivement), dominé par une créature mystérieuse.
Réalisé en images de synthèse, comme ces concurrents américains, le film impose toutefois une forte singularité. Moins moraliste et archétypal dans sa vision du monde et des rapports entre les êtres que Disney, il pourrait scénaristiquement être rapproché de certains films Pixar (Là-haut ou Wall-E) pour sa dimension poétique et symbolique. Si rien n’est explicité, il y est tout de même question de deuil, de peur et de lâcheté, trois thématiques lourdes qui se fondent dans l’esthétique acidulée. La beauté étrange du Roi Plumes (une sorte de hibou-lapin turquoise magnifique et quelque peu effrayant) n’est qu’une des trouvailles visuelles de ce long métrage attachant.
La Scandinavie s’illustre encore en cette fin d’année avec De la neige pour Noël en salle depuis le 26 novembre. Récit plus classique dans sa structure et son déroulement (un petit village est privé de neige, jusqu’à ce que l’inventeur local mette au point une machine pour en créer, mais mal utilisée, elle peut devenir un engin dangereux capable d’ensevelir tout le patelin), le film gagne en originalité dans la facture un brin désuète de ses personnages.
Hormis l’inventeur et le journaliste, les rôles principaux échoient à un hérisson peureux, un canard narcissique et tête brûlée et un robot antipathique. Si on retrouve là une constante du cinéma d’animation, de Disney au Studio Ghibli (l’humanisation d’animaux), De la neige pour Noël n’hésite pas à rendre mal aimable ses personnages, à les affubler de défauts majeurs. Bien entendu, à la manière d’un conte, chacun va puiser en son for intérieur pour évoluer et devenir meilleur (respectivement moins trouillard et plus humble) mais l’intelligence du film consiste à rythmer chaque pallier narratif par des trouvailles visuelles (le physique disgracieux ou caricatural de certains protagonistes) et scénaristiques (l’invisibilité partielle ou totale de certains personnages).
Si l’Irlande n’est nécessairement reconnue pour la quantité de sa production animée, avec Le Chant de la mer, on peut parier qu’elle le sera pour sa qualité.
Sorti le 10 décembre, ce film est un mariage réussi entre la poésie des dessins japonais (créatures légendaires, forces de la nature) et l’iconographie des légendes celtiques. On y suit les aventures de Ben et sa petite sœur Maïna, une Selkie (créature mi- humaine mi- phoque immaculé) aux prises avec une sorcière malfaisante. La construction de chaque planche vécue comme un ravissement pour les yeux (couleur, géométrie) et la poésie véhiculée par ce conte naturaliste, profondément émouvant fait surnager Le Chant de la mer loin devant ses concurrents de fin d’année (Les Pingouins de Madagascar). Moins médiatisé que les palmipèdes espions, le long métrage n’en est pas moins un bijou absolu de l’animation contemporaine et prouve que l’imaginaire enfantin n’a pas à singer les recettes des films pour adultes pour exister. Au contraire sa singularité formelle, son respect d’un «langage» propre à l’enfance et sa dimension merveilleuse en font le film de Noël à ne pas rater en salle.