Temps de lecture: 4 minutes - Repéré sur The New York Times, Gawker, Rotten Tomatoes
Cet article a été mis à jour après l'annonce de Sony de la mise à l'arrêt de la sortie du film.
Alors que la date de sortie en salle aux Etats-Unis approchait –elle était prévue pour le 25 décembre– Sony a finalement décidé ce mercredi 17 décembre de ne pas sortir le film The Interview. Des menaces d’attentats venues de hackers, responsables des fuites de chez Sony, à l’encontre des cinémas qui diffuseraient le film, avaient notamment fait flancher les directeurs de salles. Elles annonçaient:
«Nous allons vous montrer clairement dans tous les lieux où The Interview sera diffusé, notamment lors de l’avant-première, à quel destin tragique sont voués ceux qui cherchent à se moquer de la terreur.»
Dans un anglais tout relatif, le groupe Guardians of Peace («gardiens de la paix»), ont menacé les spectateurs qui auraient souhaité aller voir le film réalisé par Seth Rogen et Evan Goldberg:
«Rappelez-vous le 11 septembre 2001, ajoutent-ils. Nous vous recommandons de vous tenir à distance de ces endroits [où le film sera montré]. Et si votre maison est à proximité, vous devriez partir.»
Le département d’Etat américain, à travers sa porte-parole Jennifer Psaki, avait relativisé les menaces sur la chaîne CNN, citée par l’AFP:
«Il n’y a pas de menace crédible pour le moment. […] Le film ne représente bien évidemment pas le point de vue des Etats-Unis. Ce n’est pas un documentaire à propos de nos relations, donc honnêtement ce n’est pas un sujet sur lequel nous prenons position.»
Sony a pourtant finalement annoncé mercredi 17 décembre qu'elle renonçait à sortir aux Etats-Unis. Dans un communiqué relayé par l'AFP, la société américaine a expliqué:
«Au regard de la décision prise par une majorité de cinémas de ne pas présenter le film L'interview qui tue!, nous avons décidé de ne pas le sortir en salles».
L’équipe du film avait décidé d’annuler sa campagne de promotion dans les différents médias.
Mais au-delà de ces risques de représailles, il y a quoi dans The Interview?
Nous n’avons pas personnellement vu le film (dont la sortie est prévue en France en 2015 sous le titre L’interview qui tue!... si elle est maintenue), mais les premières images, critiques et spoilers laissent apparaître plusieurs éléments permettant de mieux cerner son sujet et son ton.
Le pitch
Tout d’abord, l’histoire en elle-même. Dave Skylark (James Franco) est présentateur d’un célèbre talk-show aux Etats-Unis et dont le dictateur nord-coréen Kim Jong-un (interprété par Randall Park) est fan. Il va d’ailleurs l’inviter, lui et le producteur du show Aaron Rapaport (Seth Rogen), en Corée du Nord pour réaliser son interview. Alertée, la CIA va alors convaincre les deux journalistes d’en profiter pour tuer le dictateur.
Un scénario qui n'a évidemment pas plu à ce dernier. En juin, Pyongyang estimait que le film était un «acte de terrorisme» et promettait d’ailleurs des «représailles impitoyables» si les Américains ne l’interdisaient pas.
L'humour des films Seth Rogen et Evan Goldberg
Depuis plusieurs mois, une campagne virale mélange extraits du films, trailers et contenus exclusifs. Les différentes bandes-annonces révèlent d’ailleurs de nombreux éléments de l’intrigue cités plus haut mais surtout la tonalité humoristiques («déjantée» verra-t-on sûrement sur les affiches françaises) du film, dans la lignée des films que Seth Rogen et Evan Goldberg (les co-réalisateurs) produisent ensemble. Par le passé, ils avaient fait Nos pires voisins, C’est la fin, Supergrave, ou encore Délire Express. Des comédies américaines qui n'ont jamais vraiment trouvé leur audience en France, mais qui restent des comédies avant tout.
Blagues potaches, «bromance», personnages stupides et parodiques… tous ces éléments sont à nouveau réunis dans The Interview. Même l’image du dictateur est bien différente de ce qu’on pourrait croire: il offre un toutou à James Franco, chante du Katy Perry, fume des cigares, fait la fête avec des femmes en petites tenues, «peut parler aux dauphins, n'urine ni ne défèque jamais», explique un agent de la CIA. Une sympathie qui sera source conflit en les deux héros et fera hésiter James Franco, censé le tuer.
Le New York Times souligne que ce film se moque évidemment des médias et de la géopolitique en général, mais qu’il s’agit surtout d’une comédie, d'une caricature des acteurs James Franco et Seth Rogen, amis depuis 15 ans. Ils ne pensaient d'ailleurs pas que leur film allait créer une telle polémique:
«Il y a eu beaucoup de discussions, raconte Rogen au Times. Mais la situation n'était pas délicate. Ce n'était pas: “politiquement, vous devez regarder dans chaque camp”. Kim Jong-un est méchant. Ce film est une controverse pour lui. Mais pour les autres, ça allait. Sony nous a laissé faire.»
«Le film est clairement une comédie plutôt qu'un point de vue sur la politique étrangère, estime de son côté Business Insider. Si Rogen donne plein de détails qui ne montrent pas la Corée du Nord de façon très positive, le film n'est jamais perçu comme une attaque contre le royaume ermite.»
Sur le contenu même du film, peu d'éléments encore, mais il faut parler de la scène finale du film, qui a tant fait polémique
[ATTENTION SPOILERS]
Les deux acteurs principaux réussissent à tuer le leader nord-coréen. Dans ce passage, on y voyait le visage de Kim Jong-un exploser dans un déluge de flammes.
Ce passage a provoqué la colère du vrai Kim Jong-un, et pourrait être responsable des «milliers de hacks» selon The Verge, qui relaie la vidéo. Une scène que vous ne verrez pas telle quelle dans le film, puisque le patron de Sony en personne, Kazuo Hirai, avait demandé à ce que la violence de la scène soit atténuée.
«Nous avons enlevé le feu des cheveux et la seconde vague de morceaux de tête, répondait Seth Rogen le 6 octobre dans un mail qui a fuité. […] S’il vous plaît, dites-nous que c’est fini maintenant.»
Si la scène finale sera donc moins réaliste, pour moins choquer, le film restera cependant interdit aux moins de 17 ans aux Etats-Unis, car le film contient de la drogue, des blagues «pour adutes», etc. Seth Rogen avait d’ailleurs qualifié, en juin dernier, de «stupide» cette classification des films, qui censure selon lui le processus créatif de la comédie telle qu'il la conçoit.
Qu'en pensent les critiques?
Des emails leakés de Sony, datés de ces derniers mois, ont montré la grande inquiétude des producteurs justement à propos de l'humour du film. Beaucoup d’entre eux à travers le monde estiment que le film est «désespérément pas drôle», «répétitif», «violent» et pourrait être un échec cuisant. On apprend également que les Français pensent que Seth Rogen n'est pas drôle, et que le film devait d'abord se passer en Chine et que, sur les conseils du patron de Sony sur place, le script a été réorienté vers la Corée du Nord.
De leur côté, les premières critiques sont pour l'instant très divisées à l’égard du film. Sur le site Rotten Tomatoes, qui compile les critiques de différents médias, The Interview ne récolte que 46% de bonnes opinions. «The Interview a le potentiel comique d'un sketch médiocre ou moyen du Saturday Night Live (une émission humoristique américaine, NDLR)», écrit un journaliste du Hollywood Reporter. Forbes est beaucoup plus élogieux et estime que le film de Seth Rogen et Evan Goldberg «flirte avec des questions morales et sociétales fascinantes, mais utilise des blagues qui n'ont rien à voir pour les soutenir».
The Interview sortira en France le 11 février 2015. Normalement.