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En mai 2004, M6 diffusait la dernière saison de Buffy contre les vampires. J’habitais dans un studio de 10 m2, et je passais mon samedi soir à mater les aventures de la Tueuse en mangeant des toasts. En 2014, j’ai revu avec un enthousiasme intact l’intégralité de la série, un bébé sur les genoux. Constat: cette série résiste à l’épreuve du temps (ou alors j’ai un sérieux problème psychiatrique mais, par besoin méthodologique, nous nous en tiendrons à la première hypothèse).
Série culte
Au début, on a pu prendre ça pour un engouement d’ado, mais dix ans après la fin de série, la communauté des fans reste active. Pour certains, on a tellement vieilli qu’on s’est reproduit, mais on aime toujours autant Buffy. Une pérennité qui lui confère un statut souvent comparé à celui de Star Trek.
Autre indice: l’intérêt du monde universitaire. Il existe des «Buffy studies», écrits par des universitaires très sérieux et publiés dans la prestigieuse Oxford Press. Quand les journalistes de Slate.com avaient tenté de déterminer quel produit de pop-culture était le plus étudié en 2012, Buffy l’emportait —et encore, ils ont arrêté de compter au 200e article. Un intérêt qui, là encore, ne s’est pas tari. Cette année a vu la publication d’un décryptage de la série intitulé The Afterlife of genre: Remnants of the Trauerspiel in Buffy the Vampire Slayer. (A vos souhaits) (En fait, il semblerait qu'il s'agisse d'un croisement entre Buffy et Walter Benjamin.)
C’est un peu ironique quand on pense que les audiences n’étaient pas dingues (entre 3 et 5 millions de téléspectateurs en moyenne aux Etats-Unis) et que la série n’a reçu aucune récompense importante. D’ailleurs, le site Salon a créé le Buffy award distinguant la série la plus sous-estimée de l’année aux Etats-Unis (le premier Buffy a récompensé The Wire).
Le Buffyverse
Il y a des œuvres dont on ne se lasse pas. On a l’impression qu’aucune lecture ou vision ne parvient à en épuiser le sens, qu’elles sont animées par un réseau de significations sous-jacent, complexe qui s’adresse à nous en particulier. Dans Buffy, les thèmes abordés sont non seulement vastes (grosso modo: la vie, la mort, le sexe, le pouvoir) mais en constante évolution, à l’instar de ses personnages qui détournent les archétypes.
Joss Whedon, le showrunner, a créé un univers tellement foisonnant qu’il existe un mot spécial pour le désigner: le Buffyverse. L’une de ses richesses, c’est qu’un épisode n’en efface jamais un autre. Ils sont tous liés entre eux par un système plus ou moins souterrain. Il y a bien sûr les innombrables allusions à un épisode passé qui soudent l’ensemble de la structure et créent une complicité avec le téléspectateur.
Mais Whedon est aussi fan des renvois vers un événement à venir, parfois plusieurs années à l’avance. Cette construction est possible parce qu’il a certains plans en tête, des moments-pivots, même s’il ignore comment et quand il va y arriver. Toutes ces allusions créent un meilleur maillage de la série et renforcent l’impression d’un sens caché que le spectateur doit révéler.
Le génie de Joss Whedon est d’avoir réussi à jongler entre ses plans à long terme et l’improvisation, qu’elle soit liée aux acteurs (il s’est inspiré de la manière dont eux-mêmes grandissaient) ou aux remarques du public. Rarement une série aura laissé une telle place à ses fans. Parce que Buffy a grandi en même temps qu’Internet. La première saison est diffusée en 1997, on y voit Willow devant son ordi et l’un des personnages est la prof d’informatique du lycée. Whedon est considéré comme le geek par excellence.
Et, logiquement, son public aussi. A l’époque, Buffy est la série la plus commentée sur Internet, parce que c’est déjà là que se retrouvent ses fans. Whedon se sert tout de suite des forums pour communiquer avec eux et suivre leurs réactions. Ce retour permanent a enrichi la série, même si le patron précise: «Ce n’est pas comme si on lisait les commentaire sur Internet en se disant "OK, CeN’estPasCool dit que blablabla". On prend très au sérieux les avis de nos fans, mais on reste des storytellers. »
Saison 1: le lycée, c'est l'enfer
Voix-off : «A chaque génération il y a une Elue, seule elle devra affronter les vampires, les démons et les forces du Mal. Elle s'appelle Buffy…»
Pour vendre une série, il faut la pitcher. Whedon présentait Buffy comme «un croisement entre X-Files et Angela 15 ans». (Angela 15 ans dont le titre original My So-Called Life est tellement plus subtil, mais on aura l’occasion de reparler traduction.)
L’idée lui venait de la blonde poursuivie dans une ruelle obscure et qui se fait systématiquement tuer. Et si elle prenait le pouvoir? Il crée alors la première série sur le pouvoir féminin. Certes, il y avait eu Wonderwoman, Drôles de Dames et Xena la guerrière (on oublie trop souvent Xena et ses jambières) mais aucune ne pensait ces problématiques. Elles évacuaient la question de la normalité, la difficulté à être une femme et avoir une position de pouvoir, l’éloignement des autres etc.
Le problème personnel de Buffy dans cette première saison, c’est précisément qu’elle ne veut pas du pouvoir. Pire, elle veut être l’exact inverse d’une femme de pouvoir, elle veut être pom-pom girl. Elle va devoir accepter de renoncer à la position de femme-objet. Comme le dit un autre personnage, «qu'est-ce que ça va me manquer l'excitation intellectuelle d'épeler des mots avec les bras.» (S01E03)
Mais on ne va pas se mentir, ce n’est pas la meilleure saison. D’abord, elle ne compte que 12 épisodes, ce qui limite la complexité de l’arc narratif. Ensuite, le budget était aussi mince qu’une feuille de cigarette, du coup les monstres sont vraiment en carton-pâte. Enfin, c’est la saison des faux-raccords. (Même si c’est un peu une marque de fabrique de la série, notamment dans les scènes de combat où l’on voit le visage de la doubleuse.)
Il n’empêche que la promesse est tenue, dès la prémisse: le lycée de Sunnydale se trouve sur la bouche de l’enfer, d’où un grand nombre de manifestations surnaturelles. Impossible de ne pas adhérer. Qui peut dire que le lycée ce n’était pas l’enfer et l’adolescence l’époque du monstrueux? Je ne vois pas comment on peut appeler autrement une période de sa vie où brusquement on se couvre de poils, on devient physiquement déséquilibré, notre nez prend des proportions ridicules comparativement au reste du visage et on se met à exsuder toutes sortes de liquides corporels –transpiration, sébum, menstrues, sperme etc. Whedon a dit: «vous prenez tout ce qui est horrible et effrayant dans la jeunesse et on a littéralement transformé ça en monstre».
Evidemment, l’aspect physique n’est que la partie visible de l’iceberg. L’adolescent est aussi intérieurement dégueulasse. Ce sont tous ses comportements qui sont incarnés par des créatures de l’enfer. J’ai toujours eu un faible pour l’épisode Invisible girl (S01E11, Portée Disparue). L’histoire d’une lycéenne qui n’est pas persécutée comme Carrie, juste gentiment ignorée.
Willow (lisant les dédicaces sur le cahier de l’élève): Passe de bonnes vacances, passe de bonnes vacances. Cette fille n'avait pas d'ami du tout.
Giles: Une fois de plus, je mesure à quel point je suis d'une autre époque.
Buffy: «Passe de bonnes vacances», c'est ce qu'on écrit quand on ne sait pas quoi dire.
Alex: C'est le baiser de la mort.
A force d’être ignorée, cette fille devient littéralement invisible. Les métaphores de cette saison sont assez simples mais fonctionnent selon le même régime que les contes de fée analysés par Bettelheim. En personnifiant les angoisses sous forme de monstres, on permet à l’individu de les affronter.
Malgré ses monstres en carton, dès le début, Buffy a une autre qualité indéniable: les dialogues, avec un humour qui mêle plusieurs degrés. Whedon a fait le bonheur des linguistes américains en créant énormément de nouveaux mots, néologismes et mots-valises.
Bien sûr, en VF, on perd tout, ce qui explique en partie que la série ait été mal appréciée en France. Les traducteurs ont jugé bon de réécrire entièrement certains dialogues. La version originale d'une réplique comme «Après cette journée de cours épuisante, si on allait se détendre en égorgeant quelques vierges?» a été traduite chez nous par: «Moi, après cette journée, je vais regarder la télé en mangeant des chips.»
Anecdote: En suivant ce lien, vous pourrez voir l’affreux pilote de la série heureusement jamais diffusé, avec une Willow qui n’est pas jouée par Alyson Hannigan.
Saison 2: le processus de torture de Buffy commence
Buffy: Est-ce que ça devient plus facile?
Giles: Tu veux dire... la vie?
Buffy: Oui. Elle devient facile?
Giles: Tu veux que je te dise quoi?
Buffy: Mentez-moi.
Giles: Oui, elle devient très simple. Les bons sont toujours valeureux et loyaux, les méchants sont facilement reconnaissables à leurs cornes pointues et à leurs chapeaux noirs, et les bons sont toujours victorieux et les méchants rôtissent en enfer. Personne ne meurt jamais et tout le monde vit heureux jusqu'à la fin des temps. (S02E07)
(On notera un élément récurent des dialogues: se moquer du manichéisme primaire des contes de fée qui sont, en apparence, l’univers de la série.)
On passe aux choses sérieuses. Autrement dit, les scénaristes commencent un processus de torture de leur héroïne qui va se prolonger jusqu’à la dernière saison incluse. En gros, la vie de Buffy est émaillée de seaux de merde (en scénario on parle de conflit) qui permettent de la confronter à ses angoisses et ses limites et d’aboutir à ce qu’on appelle les révélations personnelles.
Saison 1: elle comprend qu’elle doit assumer son pouvoir. Logiquement, la saison 2 va tester jusqu’où elle est capable d’aller pour remplir son rôle. Comment? En faisant de son premier amour le méchant de la saison. Mais imaginons pire: que ce soit à cause d’elle qu’il soit devenu malfaisant. Et pour corser le tout, tiens, et s’il redevenait gentil juste avant qu’elle le tue mais qu’elle doive tout de même le faire.
Anecdote: Whedon tient déjà compte des réactions sur les forums internet, notamment le forum du Bronze, celui des fans de la première heure. Et il décide de modifier son intrigue en cours de saison. A l’origine, c’est Oz qui devait mourir mais les fans l’aimant beaucoup, il sacrifie un autre personnage d’importance égale. Autre rescapé, Spike, qui devait disparaître dès l’épisode 10, et dans ce cas, autant dire que ma vie aurait été profondément différente.
Saison 3: Buffy est à 50% Joss Whedon, à 50% Sarah Michelle Gellar
La Force: Je ne suis pas un démon, petite fille, je suis au-delà même de ce que tu peux concevoir. La Force initiale, au-delà du péché et de la mort, le mal absolu. Même les forces de l'ombre me craignent. On ne me voit jamais pourtant je suis partout, dans chaque pensée, dans chaque être, j'insuffle ma haine.
Buffy: Ouais ben ça va j'ai pigé. Vous êtes le diable, on va pas passer la nuit là-dessus. (S03E10)
FAITH: Détends-toi, enlève ton pantalon.
Alex: Tu vois, les deux à la fois, c'est pas évident. (S03E13)
Dès cette saison, le personnage de Buffy incarne deux problèmes réels propres au tournage. D’abord, son traitement s’inspire des difficultés que l’actrice principale Sarah Michelle Gellar rencontre avec les autres acteurs. Elle s’isole de plus en plus du reste du casting. Anthony Stewart Head (Giles) raconte qu’il déjeune et sort surtout avec Alyson Hannigan (Willow) et Nicholas Brendon (Alex).
Alyson Hannigan, à qui on posait la question «A quelle saison Sarah Michelle Gellar a vraiment commencé à en avoir marre de faire Buffy?», répond «La trois».
Et quand on lui demande si la star est une amie ou juste une collègue de travail:
«Clairement juste une collègue de travail. C’était sa décision dès le départ de garder une distance professionnelle avec les autres. J’ai des amis du show que j’aimerai le reste de ma vie. Je pense que c’est beaucoup plus drôle d’être ami avec les gens avec lesquels on travaille mais je crois que Sarah n’était pas d’accord.»
C’est une caractéristique du travail de Whedon de toujours exploiter les difficultés. Son actrice principale se tient à l’écart? Il en fait un trait récurrent de l’héroïne. Mais il s’inspire aussi de sa propre position de showrunner:
«J’ai besoin que le show soit aussi bon qu’il puisse l’être et qu’il envoie le message que je veux et donne aux fans ce qu’ils veulent et ce dont ils ont besoin et je dois faire ça 22 fois par an. C’est une pression immense que personne d’autre n’éprouve. En même temps, personne d’autre ne perçoit le plan général. Chacun en voit une partie. Mais en définitive, c’est moi qui dois avoir la vision, le panorama et cela change les relations.»
Comme Whedon, Buffy a un plan général contre les méchants, les autres personnages l’aident mais elle est la seule à savoir où elle veut aller. Buffy est à 50% Whedon, 50% Gellar.
Anecdotes:
- Whedon sait qu’à la fin de cette saison il va perdre deux de ses acteurs principaux. «Je savais que j’allais perdre David (Angel) et Charisma (Cordelia) et je me disais "Spike peut remplir le rôle de Charisma dans sa manière d’être", vous savez on l’a embauché pour être une Cordelia, la personne qui dit ce que personne d’autre n’ose dire. Maintenant on a lui et Anya.»
- Dans cette saison débarque Wesley, un nouvel observateur, interprété par Alexis Denisof, le futur mari d’Alyson Hannigan (Willow).
Saison 4: où Whedon donne aux gens ceux qu'ils veulent
Riley: Cette magie ça marche vraiment? Enfin je veux dire, on peut vraiment venir à bout de ses ennemis ou apprendre à fabriquer des pièces d'or?
Willow: Ça marche Riley mais ça exige de la concentration. Faut être en relation avec les forces de l'univers.
Alex: Ben oui, tu peux pas dire simplement «Librum incendaria» et...
(Le livre devant Alex s'enflamme)
Giles: Alex, on ne parle pas latin devant un livre. (S04E17)
Le précepte d’écriture de Whedon le plus connu est: Ne donnez pas aux gens ce qu’ils veulent mais ce dont ils ont besoin («Don’t give people what they want, give them what they need»). Pourtant, il a fait une entorse à sa règle. Le public n’en pouvait plus que le cœur de Buffy soit réduit en bouillie alors ils ont créé le petit-ami parfait, Riley. «C’est le problème que nous avons rencontré avec Riley. Nous avons pensé "Donnons à Buffy une relation saine", et les gens n’en voulaient pas. Quand ils (Buffy et Riley) étaient heureux, ça rendait les gens fous. Ça va un moment mais au final, le grand amour n’est pas censé se passer en douceur.»
L’une des obsessions de Whedon est de se lancer des défis pour sortir de la routine et se forcer à l’excellence. Tous les fans s’extasient devant ses dialogues. Dans une logique toute whedonesque, il décide donc de réaliser un épisode muet: Hush (Un silence de mort), seul épisode de la série à avoir été nommé pour un Emmy Award de la réalisation et du scénario. De l’avis général, Hush a été l’épisode le plus difficile à tourner. Joss Whedon précise: «Pendant qu’on le tournait, chacun connaissait son rôle mais il n’y avait pas de rythme, pas de signal, alors tout le monde jouait en même temps.»
C’est aussi lors de cette saison que deux personnages échangent leur identité, un exercice de style qui confirme que Sarah Michelle Gellar est une très bonne actrice. Mais alors comment a-t-elle réussi à ne pas faire carrière? Elle a suivi le cursus classique de la fabrique américaine de stars. Enfant, elle tourne dans une centaine de pubs.
Elle n’était pas blonde. Elle s’est teinte pour le rôle de Buffy. (D’ailleurs, elle auditionnait pour le rôle de Cordelia.)
Pour les vrais fans, une pub (mauvaise qualité d’image) avec Buffy et Oz petits en 1985.
Puis elle tourne dans un programme pour ados:
A 9 ans, elle joue au théâtre avec Matthew Broderick, à 13 à Broadway avec Peter Coyote. Et à 18 ans, elle gagne un Emmy Award pour son rôle dans un soap à succès inconnu en France. Ensuite, elle tourne Buffy et en parallèle Souviens toi l’été dernier, Scream 2, Sex Intentions. En 2004, elle connaît un gros succès avec The Grudge. Et depuis, c’est la traversée du désert.
Tous ses films depuis 2006 ont été de tels flops qu’ils ne sont même pas sortis en salle en France. Elle joue dans le pilote d’une série pour HBO qui est abandonnée, dans la série Ringer annulée au bout d’une saison, et cette année dans la série The Crazy Ones également annulée au bout d’une saison. En fait, j’ai une hypothèse que nous confirmerons plus loin: malgré son talent, elle a des goûts de chiotte, ce qui l’handicape vachement pour choisir de bons scénarios.
Anecdote: se reporter aux anecdotes de la saison 5.
Saison 5: une soeur sortie de nulle part, une mort naturelle et un baiser lesbien
Buffy: Qu'est-ce que tu fais là? En cinq mots, pas plus.
Spike (comptant sur ses doigts): Sorti... pour... prendre... l'air... salope.» (S05E05)
Tara: Willow est très calée en informatique mais moi ça me dépasse. Et toi t'y comprends quelque chose?
Anya: Au départ c'était très mystérieux. Rien que l'idée de l'informatique c'était... tu comprends, moi j'ai onze siècles, j'ai déjà eu du mal à intégrer l'idée qu'il y ait eu des luthériens. (S05E15)
La saison 5 marque deux moments importants dans la série –que dis-je, dans l’histoire de la télévision. D’abord, elle commence avec Dawn, la petite sœur de Buffy. Problème: Buffy est fille unique. Mais du jour au lendemain, on nous impose une gamine de 13 ans qui agit comme si elle avait toujours été présente et tout le monde trouve ça normal. Plus gros What The Fuck de la télévision (jusqu’à Lost «on doit retourner sur l’île»). Whedon avait cette idée depuis plus de deux ans. Il la justifie ainsi:
«Dawn était la Riley suivante. Quand nous avons imaginé Dawn, le but était en partie de créer une relation importante, intense d’un point de vue émotionnel pour Buffy et qui ne soit pas un petit-ami. Pour qu’elle ne soit pas définie à chaque fois par son petit-copain. Donc, dans la saison 5, elle ressent un attachement aussi fort qu’elle avait dans la saison 2 pour Angel mais cette fois pour sa sœur. Selon moi, c’était très beau. »
Ensuite, la relation lesbienne entre Willow et Tara. (Deux sorcières évidemment, le clin d’œil était facile.) Elles s’aiment, elles sont un couple, on le comprend assez vite. Mais la chaîne refusait d’avoir à l’écran un baiser lesbien. Whedon va leur imposer dans l’un des meilleurs épisodes de la série, The Body (S05E16, que les traducteurs fous ont changé en Orphelines).
L’idée est venue de Hush. Whedon trouvait que son défi personnel n’était pas allé assez loin. «J’ai pensé "OK, si j’avais une histoire que je ne pouvais raconter que visuellement, ça serait nettement plus difficile"». Quelle histoire se passe entièrement de mots? Et accessoirement peut aussi torturer un peu plus l’héroïne. En toute simplicité, la découverte du corps de sa mère morte. C’est la seule mort naturelle de la série, une banale rupture d’anévrisme, ce qui est arrivé à la mère de Whedon.
Comme il l’explique, il ne voulait pas montrer «le sens, la catharsis, la beauté de la vie ou toutes les choses qui sont souvent associées à la perte d'un être cher», mais «l'aspect très physique, l'ennui presque, des toutes premières heures».
Le fait de placer le baiser de Willow et Tara dans cet épisode avait pour but de le banaliser, Whedon ne voulait pas en faire un évènement.
D’après l’un des scénaristes, «c'est un simple baiser. Deux amoureux en train de s'embrasser comme tous les amoureux le font».
Anecdote: Des preuves que Whedon est diabolique. L’arrivée de Dawn était évoquée dans les saisons précédentes. Dans La Cérémonie (S03E22) Faith dit à Buffy «you’re counting down from 7-3-0», soit 730, soit 2 x 365, soit le nombre de jours avant l’arrivée de Dawn. (A part ça, Whedon n’est pas dingue.) Autre indice, toujours donné par Faith: «La petite sœur arrive» (S04E15) et un autre par Tara (S04E22) qui dit «be back before dawn», en VF «reviens avant l’aube» mais forcément, ça marche vachement moins bien. Dernier indice foufou, dans un rêve (S04E22) une pendule indique 7h30 (soit 730 donc) et Tara dit à Buffy «cette heure est fausse» (puisqu’à ce moment là il ne reste que 365 jours avant l’arrivée de Dawn).
Saison 6: la plus polémique
Giles: Tu aurais pu me prévenir. J'ai bien cru qu'il allait me tuer.
Spike: Pauvre observateur. Votre vie s'est mise à défiler devant vos yeux? Tasse de thé, tasse de thé, dépucelage raté, tasse de thé. (S06E01)
Spike: On s'est embrassés, Buffy. Comme dans Autant en emporte le vent. Avec la montée de la musique et la montée de... la musique. (S06E08)
Je ne sais même pas par quoi commencer tellement j’aime cette saison. L’équipe se lance deux nouveaux défis: un épisode musical (Once more, with feeling) et un épisode dans lequel l’héroïne n’apparaît pas (Gone). C’est aussi la saison la plus polémique, et en la revoyant, je me demande même comment ils ont pu la diffuser. D’ailleurs, cette année-là, la très conservatrice association Parent Television Council la classe comme la pire série télé. C’est aussi la seule fois où Sarah Michelle Gellar se permettra de critiquer ouvertement le show. Elle a été choquée par les scènes de sexe qu’elle devait jouer. Elle déclare au magazine Elle: «C’est devenu très sado-maso et je me suis sentie dégradée en tant qu’actrice.»
S’il ne l’a pas fait publiquement, James Marsters (Spike) a aussi émis des réserves. «Il y avait plusieurs choses qu’il ne voulait pas faire (la scène de viol en particulier) et il est allé en parler aux chefs. Qui lui ont dit qu’il n’avait rien à dire sur Spike, qu’il n’avait qu’à faire avec et jouer les scènes peu importe ses impressions personnelles.»
«Question: Vous avez mentionné à quel point vous n’aviez pas aimé la saison 6. Pourquoi? Et quel était votre point de vue sur la dépression de Buffy et son obsession sexuelle?
Ca ne ressemblait pas à Buffy, ou à la Buffy que les gens aimaient. Vous ne voulez pas voir une héroïne sombre; vous ne voulez pas la voir se punir elle-même. Vous voulez la voir tuer des vampires et faire des blagues. Ca ne ressemblait plus au personnage que j’avais aimé.
Joss explique toujours que cette saison traite de la vingtaine, quand on n’est plus du tout un gamin, mais qu’on ne sait pas encore quoi faire de sa vie. Il disait toujours que je ne comprenais pas parce que j’avais toujours su ce que je voulais faire, que je n’avais pas connu ce désarroi, cette sombre période de dépression.»
Une déclaration qui prouve définitivement que Gellar a des goûts de merde.
La saison 6 de Buffy a incroyablement bien réussi à saisir ce moment trouble de la vie. Comme dans toute la série, le véritable antagoniste de Buffy, c’est la vraie vie, le principe de réalité, mais dans cette saison, il est poussé à l’extrême. Pour la première fois, elle doit payer des factures, bosse dans un fast-food, fait une dépression, se plonge dans la luxure et ment à tout le monde.
Ce principe de réalité, Buffy et le téléspectateur vont l’affronter sous sa forme la plus extrême dans l’épisode Normal again (traduit à la truelle par son exact opposé: A la dérive). Paroxysme de l’épisode méta, on y découvre Buffy internée dans un hôpital psychiatrique. Depuis six ans, elle a perdu contact avec la réalité et s’est enfermée dans un univers imaginaire où elle croit être une tueuse de vampires.
L’épisode se sert de toutes les incohérences de la série pour s’auto-suicider et ramener le téléspectateur à la réalité. L’atterrissage est violent.
Le principe de réalité s’incarne dans l’autre thème de cette saison: la domination des hommes sur les femmes, une domination très sexuelle. Le grand méchant est un trio d’hommes frustrés et misogynes. L’allié principal est Spike, fou amoureux de Buffy mais comme l’explique Whedon, «bien qu’il aime vraiment Buffy, son désir ultime est de la posséder, ce qui l’amène à tenter de la violer parce qu’il ne peut pas faire la différence entre leurs jeux de domination et le véritable viol.»
Anecdotes:
- Malgré la dépravation morale et sexuelle de l’héroïne, le plus gros souci de censure qu’ils ont rencontré a concerné un épisode sur un simili McDo.
- Ultime preuve des idées de chiottes de Gellar, pour la saison 7, elle a insisté auprès de Whedon pour qu’il développe une love story entre Alex et Buffy.
- Les répliques d’Andrew, l’un des trois geeks infernaux, sont en partie tirées des commentaires sur les forums des fans.
Saison 7: Buffy ou la vie de star
Buffy: Si tu savais ce que j'ai fait et ce que je suis devenue. Mes meilleurs amis eux-mêmes... tu rigolerais bien en apprenant tout ce que je leur ai fait.
Holden: Buffy, je suis là pour te tuer, pas pour te juger. (S07E07)
Buffy: À chaque génération une Tueuse vient au monde parce qu'une bande de types qui sont morts il y a des milliers d'années ont fixé les règles du jeu. Alors changeons les règles du jeu. Moi je dis que mon pouvoir devrait être votre pouvoir. À partir de maintenant, toutes les filles qui attendent d'avoir le pouvoir auront ce pouvoir. Celles qui étaient soumises résisteront enfin. Des Tueuses, chacune d'entre nous. Faites un choix. Êtes-vous prêtes à être fortes ? (S07E22)
La saison de la super bonne ambiance. Pendant le tournage, Sarah Michelle Gellar se marie sans inviter un seul membre de l’équipe. C’était déjà compliqué mais en prime, il a fallu que le Yoko Ono de service s’en mêle. Freddie Prinze Jr, le mari de Gellar, a déclaré dans les médias:
«Beaucoup de gens sont redevables à Sarah de ce qu’elle a fait pour le show et elle n’a pas toujours le crédit qu’elle mérite. C’est une femme forte, parce qu’elle gère beaucoup d’absurdités, et qu’à la place de tout ça, elle devrait être remerciée, et elle ne l’est pas. C’est la raison pour laquelle elle ne reviendra pas. Si l’ambiance était restée la même qu’il y a six ans, elle serait restée parce qu’elle est loyale. Mais ils prennent de mauvaises décisions.»
Imperturbable, Whedon décide encore d’exploiter ce problème. «Il y a toujours une sorte de barrière entre la star et les autres. Tout le "Je suis une vaillante héroïne qui fait son boulot" vient d’une certaine manière de Sarah. Cette saison traitait de "OK, j’ai ce pouvoir qui m’éloigne du reste du monde" ce qui est un peu la vie de star. »
Après avoir été écrasée par ce pouvoir et les responsabilités qu’il implique, Buffy va trouver la solution: partager le pouvoir en le transmettant à toutes les femmes (à travers les personnages des autres Tueuses). La série ayant toujours fait attention à faire évoluer tous les personnages, chacun à sa façon va découvrir comment accepter ou déléguer le pouvoir, et le prix inévitable qu’il doit payer pour sa liberté.
Anecdotes:
- Nous sommes en 2002 et dans Help (S07E04), on voit la première occurrence à la télé du verbe «googler» mais seulement en VO.
La traduction littérale:
Willow (parlant d’une jeune fille): Tu l’as déjà googlée?
Alex: Elle a 17 ans !
Willow: C’est un moteur de recherche.
Ce que les traducteurs de l'enfer en ont fait en VF:
Willow: Et si on croisait les données?
Alex: J’ai pas fait informatique !
Willow: Sur le moteur de recherche. - Whedon avait prévu, pour cette dernière saison, de faire revenir deux anciens personnages. Tara, mais l’actrice a refusé parce que le scénario la transformait en méchante. Et Oz, mais «pour être franc, on n’avait pas l’argent. On avait toute une super idée mais on n’avait pas un rond.» Pas très sympa Oz...
- Les Breeders jouent deux morceaux dans Him (S07E06).
Et depuis?
Nicholas Brendon fait le nerd dans Esprits Criminels. Alyson Hannigan a joué dans une autre série culte, How I met your mother. Et comme on l’a vu, la carrière de Gellar ressemble assez à un paysage de toundra russe. Qu’elle le veuille ou non, elle est condamnée à être Buffy pour le reste de sa vie. Elle semble en avoir récemment pris conscience. Même si elle n’a jamais renié Buffy ni balancé sur ses anciens camarades (son mari s’en est chargé), sur Twitter, elle poste de plus en plus de photos liées à la série, n’oubliant jamais l’anniversaire de ses anciens collègues
.@David_Boreanaz Happy Birthday to my "Angel" then and now pic.twitter.com/WKbGeKkxB3
— Sarah Michelle (@RealSMG) 16 Mai 2014
faisant des FF à Buffy toutes les semaines, et assurant même la promotion de la poupée (moche) de tueuse
Ok I showed you mine...now you show me yours #FunkoSDCC my favorite gets a signed figure #SDCCorBust pic.twitter.com/Elk4s5K9Ks
— Sarah Michelle (@RealSMG) 21 Juillet 2014
ou postant des photos avec les rares anciens collègues qu'elle fréquente encore.
Le film?
Après dix années de réflexion intense sur le sujet, je suis malheureusement arrivée à la conclusion qu’il vaudrait mieux éviter. Whedon et Gellar en ont bien conscience, même s’ils continuent d’en parler. D’abord, comme le dit Gellar «le truc avec Buffy, c'est qu'avant d'être une série, c'était un film qui n'a pas marché». Parce que le réalisateur a complètement dénaturé le scénario de Whedon (ce qui explique qu’il ait décidé de passer à la réalisation pour la série). Mais peut-être aussi parce que le Buffyverse est trop riche pour être limité à la durée d’un long métrage.
Le passage d’une série en film est toujours une perte. (Veronica Mars en a été un exemple récent, malgré tout mon amour pour Kristen Bell.) Parce qu’une série nous a habitués à des intrigues complexes, se développant sur l’équivalent de 10 longs métrages. Vouloir la réduire pour la forcer à rentrer dans le cadre du film, c’est l’appauvrir.
Mais Whedon ayant du mal à faire son deuil de Buffy, les aventures de la tueuse se poursuivent sous forme de comics. Sauf que dedans, Alex est en couple avec Dawn. Si le film s’en inspire, a-t-on vraiment envie de voir ça?
Et enfin, il y a un dernier problème propre à l’univers de la série. Il s’agit de vampires, or les vampires ne vieillissent pas. L’acteur qui joue Spike a aujourd’hui 52 ans... «J’ai dit à Joss qu’il avait sept ans pour filmer le personnage après la fin de la série Angel parce que Spike n’est pas censé vieillir alors que moi oui.» La date de péremption de Spike était donc 2011.
Bonus:
Pour respecter une tradition implicite voulant que chaque article sur Buffy révèle des «trucs que vous n’avez jamais su sur la série mais qu’à force on finit quand même par tous connaître».
- Qui sont ces jeunes hommes?
Oui, Nicholas Brendon a un vrai jumeau, Kelly Donovan qui a joué Alex dans l’épisode où il se dédouble.
- Quel bruit fait Joss Whedon quand il fait l’amour à Buffy? Il suffit de regarder en VO l’épisode Innocence 2 (S02E14). Trop gêné pour demander aux acteurs de bruiter la scène de sexe entre Buffy et Angel, c’est Whedon qui s’est chargé de faire les soupirs et gémissements, aidé de la technicienne du son.
- Ça n’a rien à voir mais comment passer sous silence cette information? L’une des meilleures amies de Sarah Michelle Gellar est Shannen Doherty. Le monde est un cercle.