Culture

Le «Marco Polo» de Netflix mérite-il dix heures de votre vie?

La série en costumes et à gros budget est disponible sur la plateforme de VOD par abonnement. Un format qui lui convient, car on ne donnerait pas cher de sa peau en diffusion TV traditionnelle.

Marco Polo - DR Netflix
Marco Polo - DR Netflix

Temps de lecture: 3 minutes

Disponible depuis le 12 décembre sur Netflix, la série Marco Polo marque les débuts du service de VOD par abonnement dans le domaine du blockbuster TV friqué. Non pas que ses précédentes productions maisons comme House of Cards ou Hemlock Grove, pour ne citer qu'elles, soient particulièrement modestes. Mais avec ses 90 millions de dollars de budget et des tournages en Italie, au Kazakhstan et en Malaisie, cette relecture de la vie de l'explorateur vénitien du XIIIe siècle illustre bien les ambitions internationales de Netflix.

On notera d'ailleurs que le créateur de Marco Polo (le scénariste John Fusco) et ses producteurs (les redoutables frères Weinstein) sont également à l'œuvre sur l'autre projet phare de la plateforme: la suite de Tigre et Dragon prévue pour août 2015 en exclusivité sur Netflix.

Promu dans le monde entier façon film hollywoodien à coups de press junket trimbalant acteurs et showrunners, Marco Polo bénéficie fort logiquement d'une bande-annonce elle aussi pensée selon les standards de l'épopée cinématographique:


Conformément à ses habitudes en matière de promotion, Netflix n'avait donné accès à la presse en amont du lancement de la série qu'à la première partie de la saison (6 épisodes sur les 10). Ceci explique que l'intégralité des articles publiés avant la mise à disposition de la série se fondent sur une vision tronquée –l'auteur d'une critique très négative du Hollywood Reporter reconnaît ainsi n'avoir vu que les quatre premiers épisodes de «cette chose si moyenne qu'une chaîne du câble aurait pu le sortir sans tournage à l'étranger pour 84 millions de dollars moins cher».

Après avoir vu les dix épisodes, difficile en effet de défendre la série vent debout contre ces jugements hâtifs.

Les jolis décors construits dans les studios malaisiens de Pinewood et les plans extérieurs léchés peinent à masquer les nombreux défauts d'une saison poussive. On serait toutefois hypocrites de prétexter «l'exigence professionnelle» pour justifier d'avoir regardé Marco Polo de A à Z. En raison du fonctionnement même de Netflix (qui enchaîne directement les épisodes d'une série, forçant ainsi la main au spectateur paresseux) et grâce aux fins d'épisodes relativement réussies (le coup classique des cliffhangers), engloutir les 10 heures de Marco Polo ne relève pas vraiment de la torture, loin de là.

Sans aller jusqu'à parler de «nivellement par le bas», on constate que le format Netflix (la fameuse mise à disposition de toute la série d'un bloc) est sans doute la meilleure chose qui pouvait arriver à Marco Polo. Initialement développée pour la chaîne Starz, soit pour une diffusion hebdomadaire classique, la série aurait eu tout à perdre d'être découverte semaine après semaine: pas sûr qu'on aurait eu le courage de dépasser le stade du troisième épisode dans de telles conditions.

Envisagée comme un long film visible par exemple en trois fois trois heures, façon trilogie du Seigneur des Anneaux (toutes proportions gardées, bien sûr), l'œuvre devient paradoxalement bien plus digeste. Le fait d'avoir rapidement laissé tomber la série de pirates Black Sails diffusée justement outre-Atlantique sur Starz de manière traditionnelle –-et en France sur OCS– nous conforte dans cette impression, la série n'étant in fine pas forcément pire que Marco Polo.


Ce sentiment assez peu flatteur pour l'estime du spectateur («je regarde tout parce que j'ai tout à disposition et parce que ce n'est pas si insupportable que ça») a de quoi inquiéter.

On espérait de Netflix que sa non-dépendance à des mesures d'audience classiques épisode par épisode débriderait la créativité de ses scénaristes et metteurs en scène, on se retrouve avec un long téléfilm banal bien léché mais sans âme où un casting international dialogue uniquement en anglais entre deux scènes de kung fu inutiles. Accident de parcours ou conséquence fâcheuse d'une sortie simultanée sur de nombreux territoires tendant à privilégier l'uniformisation à la prise de risques, à l'image des franchises de blockbusters estivaux pondus chaque été par Hollywood?

On ne peut qu'espérer qu'une hypothétique deuxième saison –tout à fait possible compte tenu de la fin de la première, mais pas encore confirmée par Netflix– rectifie le tir en commençant par soigner un minimum son personnage principal.

Rencontré à Paris en novembre, le créateur de la série John Fusco (un passionné d'arts martiaux et d'équitation, ce qui transparaît évidemment dans la série) évoquait le potentiel d'une suite de la série via le récit d'une anecdote:

«Alors que Marco Polo était sur son lit de mort, des parents et un prêtre lui avaient demandé s'il n'avait pas des corrections à apporter sur ses récits, car bien entendu lorsqu'il est revenu d'Asie à Venise, on l'avait accusé d'avoir inventé des choses. C'était donc pour lui l'occasion de se repentir, d'expier des mensonges. Sa réponse a été: "je n'ai pas raconté la moitié de ce que j'ai vu".»

Traduction: déjà pas forcément irréprochable en matière de réalisme historique, la série n'hésitera pas à persévérer dans la dramatisation parfois outrancière de la vie de l'explorateur –qui n'explore d'ailleurs pas grand-chose au cours de ces dix premiers épisodes.

Au passage, si la durée de dix heures vous semble bien trop longue pour une histoire de héros lettré propulsé dans un royaume étranger et forcé de prendre les armes, on peut suggérer dans ce domaine une œuvre bien plus recommandable (et courte): le 13e guerrier, de John McTiernan, toujours aussi puissant quinze ans après sa sortie. Par contre, on a cherché, il n'est pas dispo sur Netflix.

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