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Contre la pollution, Paris devra se montrer plus nuancé

Anne Hidalgo prêche l'air du temps en disant vouloir «la fin du diesel à Paris en 2020». Un objectif qui devra être affiné pour que la lutte contre la pollution progresse effectivement.

L'Esplanade de la Défense, pendant le pic de pollution qui a touché Paris et sa région le 27 mars 2014. REUTERS/Charles Platiau
L'Esplanade de la Défense, pendant le pic de pollution qui a touché Paris et sa région le 27 mars 2014. REUTERS/Charles Platiau

Temps de lecture: 4 minutes

Maire de la capitale qui pointe au 14e rang des villes les plus polluées d’Europe selon l’association Respire, Anne Hidalgo déclare –de nouveau– la guerre au diesel. Elle en fait légitimement un devoir, et l’a exprimé dans le Journal du Dimanche par une formule choc:

«Je veux la fin du diesel à Paris en 2020.»

Mais une interdiction des véhicules consommant du gazole ne règlerait pas tout: d’après Airparif, ils ne sont responsables que de 25% des émissions de particules fines dans le ciel d’Ile-de-France. C’est suffisant pour s’attaquer à la question, pas pour régler le problème.

De la voiture au poids lourd, une échelle de pollution

Personne n’a intérêt à établir un amalgame entre les voitures diesel modernes équipées d’un filtre à particules et les anciennes qui en sont dépourvues, même s’il est vrai qu’en ville ce filtre n’a pas la même efficacité que sur route.

Par exemple en ce qui concerne les émissions de particules fines, la norme européenne Euro 5 d’octobre 2009 a imposé une réduction de 80% par rapport à la norme Euro 4 de janvier 2005. Et pour les oxydes d’azote, la nouvelle norme Euro 6 de septembre 2014 impose pour les moteurs diesel une diminution de 50% par rapport à Euro 5, qui était déjà en recul de 20% par rapport à Euro 4.

Ainsi, en moins de 10 ans et si on se réfère aux normes, les moteurs diesel modernes polluent grosso modo cinq fois moins que les anciens. Ce qui peut justifier des traitements différenciés.

On ne peut non plus traiter sans distinction les petites voitures urbaines (même si le diesel en ville pour ces véhicules est injustifié) et les utilitaires qui, selon le Laboratoire d’économie des transports, représentent 20% du trafic mais 30% des émissions de gaz à effet de serre.

Ni appliquer le même traitement aux voitures particulières le plus souvent au parking et aux autocars regroupés dans quelques quartiers de la capitale, en stationnement mais moteur tournant pour chauffer l’habitacle.

De même pour les poids lourds en transit qui empruntent les boulevards périphériques en émettant six fois plus de polluants qu’un véhicule de tourisme alors qu’ils pourraient choisir d’autres itinéraires.

Des projets souvent sans lendemain

De la nuance, donc. Avec un objectif aussi radical et rapproché que l’a annoncé la maire de Paris, l’entreprise risquerait d’être vouée à l’échec. Même au Japon où les automobilistes sont plus disciplinés, les autorités de Tokyo ne sont pas parvenues à ce résultat: contrairement aux affirmations un peu intempestives, il n’existe pas d’interdiction formelle du diesel mais une réglementation très stricte qui, de fait, élimine du parc automobile les anciennes voitures diesel non équipées de filtres à particules. Mais pas les plus modernes. Et il aura fallu dix ans pour y parvenir.

Néanmoins, il est vrai que, dans la lutte contre la pollution, hormis Vélib' ou Autolib', Paris traîne les pieds. A l’image de la France, d’ailleurs, où le diesel s’est irrationnellement développé. Si les pouvoirs publics communiquent depuis des années sur la pollution automobile en ville, les décisions ne sont pas à la hauteur des grandes déclarations.

On se souvient par exemple du sort réservé aux zones d’actions prioritaires pour l’air (zapa) qui devaient voir le jour début 2012. Leur mise en place fut repoussée par la droite pour cause d’élection, puis enterrée par la gauche pour des motifs purement politiciens.

Même l’expérience des «pastilles vertes», introduites en 1998 pour distinguer les voitures non polluantes et qui a depuis été adoptée à Berlin, a fait long feu. Il reste bien l’hypothétique circulation alternée en cas de pic de pollution: une mesure d’urgence ne fait pas une politique de long terme.

On pourrait mentionner les nombreux débats sur l’introduction d’un péage urbain à Paris, mais aucune formation politique ne veut s’approprier ce projet au prétexte qu’une telle mesure serait «socialement contre-productive»,  avait jugé la gauche d’Ile-de-France. L’augmentation des tarifs de stationnement sert en fait d’avatar au péage urbain.

Un programme parisien dans un plan national

Aussi, lorsqu’Anne Hidalgo s'exprime, elle manifeste sa volonté de sortir d’une approche politique qui tourne en rond.  En réalité, dans le programme qu’elle a détaillé, la déclaration de guerre au diesel de la maire de Paris n’est ni aussi inattendue ni aussi innovante qu’il n’y paraît.

D’abord, elle cible les autocars, dont on s’étonne qu’aucune action n’ait déjà été engagée contre leurs émissions polluantes depuis le temps que les Parisiens s’en plaignent. Les lobbies du tourisme ont manifestement voix au chapitre, à Paris.

La maire vise aussi les poids lourds en transit; ils représentent environ 30% des camions qui traversent l’agglomération. Un dispositif de péage sur les boulevards périphériques était intégré au projet d’écotaxe. Sa remise en question leur offre un répit, mais le Conseil de Paris a déjà voté le principe d’un péage de transit des poids lourds sur le périphérique qui devrait être effectif courant 2015.

Ensuite, des opérations sont déjà engagées. Anne Hidalgo souligne ainsi la nécessité de transformer les flottes publiques de voitures en adoptant, comme à la Ville de Paris, des véhicules non polluants. Il y a bien longtemps que La Poste ou EDF comme toutes les administrations auraient dû transformer leurs parcs de véhicules qui n’ont pas besoin d’une grande autonomie: la mutation prend trop de temps, mais elle est en cours.

Même chose pour les transporteurs qui assurent les livraisons dans Paris, et l’adaptation de la logistique à la lutte contre la pollution: la première «charte de bonnes pratiques des transports et des livraisons de marchandises» dans la capitale remonte à 2006, des entreprises comme Monoprix ou Franprix ont ouvert la voie dans l’utilisation du chemin de fer ou de la voie fluviale pour acheminer leurs marchandises au cœur de l’agglomération.

Des camions électriques, hybrides ou au gaz sont maintenant proposés sur le marché pour effectuer des livraisons sans polluer. Mais la lutte contre la pollution a un coût, les transporteurs ont appris à établir leurs tarifs avec ces nouveaux matériels qui impliquent des surcoûts d’exploitation de 20% à 30%.

D’autres villes françaises (Toulouse, Lyon, La Rochelle...) sont plus en avance que Paris pour réinventer la logistique urbaine, sans parler d’autres capitales du nord de l’Europe. Pas besoin d’interdire, il faut surtout impulser. 

Surtout, les déclarations d’Anne Hidalgo embrayent sur la stratégie détaillée quelques jours plus tôt par le Premier ministre Manuel Valls à l’occasion de la Conférence sur environnementale, annonçant une future prime pour remplacer les vieilles voitures diesel par des véhicules moins polluants… électriques, hybrides ou à essence, et éventuellement diesel mais équipés de filtres à particules.

Paris s’inscrit donc dans une option nationale. Mais il faudra que chacun précise sa définition du véhicule non polluant, ou moins polluant. En évitant, face aux lobbies qui n’ont pas fini de donner de la voix, d’être trop radical pour que la mutation ait des chances d’aboutir. Et que la lutte contre la pollution l’emporte.

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