Sciences

Faut-il s'enthousiasmer pour le projet lunaire Lunar Mission One?

En quelques jours, ce projet visant à mener une étude géologique de notre satellite et à y enterrer des souvenirs personnels a recueilli plusieurs centaines de milliers de dollars sur Kickstarter. Rafraîchissant ou inquiétant?

La Lune prise en photo par Chris Hadfield, de l'agence spatiale canadienne, en mars 2013. REUTERS/CSA/Col. Chris Hadfield/Handout
La Lune prise en photo par Chris Hadfield, de l'agence spatiale canadienne, en mars 2013. REUTERS/CSA/Col. Chris Hadfield/Handout

Temps de lecture: 3 minutes

Il nous faudra une décennie, mais nous retournerons sur la Lune! Lunar Mission One, désignée (du moins par ses initiateurs) comme la mission lunaire la plus époustouflante depuis Apollo, projette d'envoyer un module sur le pôle sud encore inexploré de notre satellite. Un robot novateur déposé par une sonde aura pour fonction de forer la surface lunaire, entre 20 et 100 mètres, afin de «dé-luner» de la roche vieille de 4,5 milliards d'années et d'étudier la composition et les origines géologiques de la Lune, leur lien avec notre Terre et la faisabilité d'établir une présence humaine permanente.

Autre but qui a de quoi piquer la curiosité: la mission prévoit d'enterrer un coffret-mémoire du XXIe siècle recelant des données numériques de la vie sur Terre consultables par tous —les «archives publiques»– ainsi que des millions de «boîtes à souvenirs numériques» individuelles comprenant chacune messages, photos, vidéos et un espace réservé à une relique bien physique: une mèche de cheveux. Ces trésors terrestres seront placés au fond du forage, qui sera ensuite scellé.

Pour financer le milliard de dollars que devrait coûter cet ambitieux projet, Lunar Missions Ltd., basée à Londres, s'est tournée non pas vers le gouvernement britannique, l'Agence spatiale européenne ou la Nasa, mais vers le site de financement participatif Kickstarter


En échange de seulement 24 dollars, on gagne des remerciements certifiés; pour près de 8.000 dollars, on réserve une place attitrée dans la galerie d'observation du centre de contrôle pour assister à l'alunissage. Une boîte à souvenirs numériques –pour usage personnel ou comme cadeau ultime pour les fêtes– vaut dans les 100 dollars. La récolte de fonds sur Kickstarter a pour objectif de réunir 1 million de dollars pour garantir les premiers stades du programme et établir un calendrier. Le plus gros de la campagne commerciale pour lever les 999 millions restants sera lancé en 2019.

La Lune a retrouvé le chemin de nos cœurs

Après l'atterrissage du robot Philae sur la comète Tchouri, la Lunar Mission One enflamme les imaginations et ravive l'enthousiasme des foules pour la conquête spatiale. En quelques jours, plus de 6.000 donateurs ont ainsi versé la quasi-totalité de l'objectif. La Lune a retrouvé le chemin de nos cœurs.

Les conséquences de l'alunissage, du forage et de l'enfouissement d'un coffret-mémoire sont cependant largement inconnues et imprévisibles. Avec cela à l'esprit, la prochaine décennie devrait être consacrée, outre à la collecte de fonds et au développement du module d'alunissage et de l'appareil de forage, à la mise en place d'un guide éthique pour notre prochain voyage sur la Lune.

En préambule, je propose trois grands principes:

  • 1: Respecter la valeur intrinsèque de la Lune et protéger son état naturel pendant que nous l'étudions et qu'elle nous livre ses enseignements.
  • 2: S'efforcer d'éviter toute contamination de l'astre, ainsi que toute contamination de la Terre par des matériaux lunaires.
  • 3: Etre conscients des limites de nos connaissances et observer une vigilance avisée quant à ce qui est envoyé sur la Lune, déposé sur ou sous sa surface et ramené sur la Terre.

Une vigilance avisée est nécessaire

La prudence exige de bien réfléchir aux méthodes d'évaluation de la sûreté, de la sécurité et de l'impact environnemental d'une mission spatiale –avant, pendant et après– et d'estimer ces facteurs au regard des bénéfices potentiels de ladite mission.

Quel est l'apport d'une plus grande compréhension des origines de la Lune face à la sécurité humaine et à celle des données des boîtes à souvenirs; et face aux répercussions environnementales du forage, de l'extraction de carottes lunaires et de l'enfouissement d'un coffret-mémoire? Quelles incidences négatives le dépôt d'objets terrestres sur la Lune pourrait-il avoir? Nous l'ignorons, et c'est justement la question; nous devons tenter d'y répondre. Rappelons-nous que les explorations ici, sur la Terre, aussi bien intentionnées soient-elle, ont bouleversé l'équilibre écologique, fait diminuer la biodiversité, détruit des habitats naturels et introduit des maladies étrangères chez des espèces indigènes. Gardons-nous de répéter les mêmes erreurs dans l'espace.

Un système de prise de décision fiable et transparent permettra une bonne évaluation des risques liés au développement et à la diffusion de nouvelles technologies, et aidera à fixer les bonnes limites s'il s'avère que le risque de dommages importants et irréversibles est trop élevé. Vigilance avisée ne veut pas dire excès de précaution; loin de paralyser, elle favorise le sens des responsabilités dans le domaine de l'exploration spatiale.

La surface de la Lune est déjà jonchée d'une myriade d'objets humains, appelés «biens lunaires» par la Nasa et «déchets» par d'autres: balles de golf, outils en tous genres, modules abandonnés, etc. (mais pas de sacs de vomi). L'agence spatiale américaine souhaite les conserver –au même titre que les empreintes de pas et les traces de pneu– comme témoins des prouesses de l'humanité, comme on protège des ravages du temps les pétroglyphes préhistoriques ou l'Acropole. Mais comment penser des souvenirs numériques et des cheveux humains enfouis sous la Lune: biens à préserver ou déchets ?

N'oublions pas le contribuable

Aucun gouvernement ni agence spatiale publique n'est à ce jour engagé dans le projet Lunar Mission One. Le financement de la conquête spatiale est passé du public au privé, de la Nasa au constructeur astronautique SpaceX. Or, si le secteur privé a toujours eu un rôle essentiel à jouer, une prise en charge gouvernementale oblige davantage à rendre des comptes.

Le financement de l'exploration spatiale par le contribuable n'est-il pas la quintessence du financement participatif? Il nous implique tous –pas seulement ceux qui ont acheté une boîte à souvenirs– dans la découverte de la Lune, du système solaire et de nous-mêmes, sans qu'il soit besoin d'enterrer photos, vidéos et ADN humain.

Portés par le souvenir d'Apollo et le rêve de retour sur la Lune, il nous faut encourager un financement solide de l'exploration spatiale par le secteur public et plaider pour un renouveau du partenariat public-privé dans le domaine scientifique –en ayant toujours en ligne de mire une vigilance avisée.

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