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Osons les cours d'informatique à l'école, marqués à l'emploi du temps, avec des profs d'informatique

Tout le monde s'accorde (ou presque) pour dire que l'informatique est indispensable. En revanche, il y a un point qui fait frémir: quels cours supprimeriez-vous pour l'enseigner? Une tribune du président et du président du Conseil scientifique de la Société informatique de France.

<a href="https://flic.kr/p/556MQr">Un clavier</a> / Frederico Cintra via FlickrCC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/">License by</a>
Un clavier / Frederico Cintra via FlickrCC License by

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La récente annonce, par la ministre de l’Education nationale, de la création, non d'un Capes d'Informatique, mais d’une simple option Informatique au Capes de Mathématiques et les déclaration répétées de l'Inspection générale de l'éducation nationale défavorables à l’informatique en tant que discipline déconcertent ceux qui avaient placé leurs espoirs dans ce gouvernement pour moderniser l'école de la République et lui permettre de transmettre aux générations à venir une culture scientifique solide et diverse.

Alors que les pays autour de nous font le choix de former au numérique par l’enseignement de l’informatique (le blog Binaire propose régulièrement des articles sur la situation dans d'autres pays), que cette solution est celle proposée par l'Académie des Sciences, par le Committee on European Computer Science Education, par le Conseil national du numérique mis en place par le président de la République, par le Conseil supérieur des programmes, le choix français semble aujourd’hui être de distribuer des tablettes et des jeux, comme jadis les empereurs romains décadents distribuaient du pain, et, plutôt que de faire appel aux informaticiens pour enseigner l’informatique, de tenter de les recruter pour leur faire enseigner les mathématiques.

L'ensemble des choix et des non-choix qui depuis des mois sont ceux du ministère de l'Education nationale s'accompagnent d'un lancinant leitmotiv:

«Le cabinet est contre la création d’une nouvelle discipline: l’informatique.»

Il n'est plus possible aujourd'hui de partir de ce postulat sans en interroger le bien-fondé: pourquoi donc le cabinet de Madame la Ministre est-il contre la création de la discipline informatique?

Peut-on douter de l’utilité de l’informatique dans la formation des jeunes générations, de son importance dans la culture scientifique contemporaine, de sa pérennité? Depuis vingt ans, nombreux sont les augures à avoir prédit la fin de l'informatique, après le bug de l’an 2000, après la bulle Internet, après l’arrivée des programmeurs indiens… Y a-t-il vraiment une raison pour que ces Cassandre aient raison aujourd’hui, alors qu’ils se sont toujours trompés?

Peut-on également penser que le numérique doit être traité de façon non scientifique? Qu’il convient de former aux usages plutôt qu’à la science? Cela fait 20 ans que la France a fait ce choix et que des générations de petits Français apprennent à utiliser des logiciels. Pour quel résultat?

Peut-être un tel enseignement n'est-il pas prioritaire, au moment où, selon certains, les jeunes générations ne savent ni lire, ni écrire, ni compter? Ces personnes proposent-elles également que l’histoire, la géographie, les langues étrangères, l’éducation physique, la biologie, la physique et tant d’autre matières soient sacrifiées sur l’autel de ces savoirs jugés fondamentaux? Et peut-on vraiment ignorer que la notion même de savoir fondamental n'a, au cours de l'histoire jamais cessé d'évoluer, et qu'elle évolue particulièrement rapidement en ce début de XXIe siècle? Peut-on vraiment feindre d'ignorer qu’un enfant de 2014 aura nécessairement, quel que soit son métier, et au-delà de son métier, à manipuler avec intelligence et compétence des objets numériques?

Mais peut-être la raison de ce refus d’accepter que l’informatique soit enseignée est-elle économique? Cela coûterait-il donc plus cher de former un professeur d’informatique qu’un professeur de physique ou de géographie? Le nombre d’enseignants augmenterait-il avec l’introduction de l’informatique?

Non, bien entendu. Aucun de ces arguments n'a la moindre valeur.

La seule raison, rarement explicitée, est que cela fâcherait les autres disciplines et qu’il faudrait un courage politique extraordinaire pour décider d’enlever des heures ailleurs, afin que les enfants reçoivent un véritable enseignement d’informatique.

De temps en temps, quelqu’un pose la question qui fâche, la seule qui paralyse le ministère de l'Education nationale: que supprimeriez-vous des emplois du temps pour faire une place à l’informatique?

Il serait raisonnable que nous ne répondions pas à cette question, qui n'est pas de la responsabilité des seuls informaticiens. Mais, puisque personne n'ose répondre à cette question paralysante, allons-y.

La question posée est donc: si l'on imagine qu’il faut enseigner l’informatique, à raison de trois heures par semaine, de la sixième à la terminale, où faut-il aller chercher les heures? Un élève, par exemple un collégien de quatrième, suit 104 heures de cours par mois (26 heures hebdomadaires dont 8 sont consacrées aux sciences et aux techniques). Enseigner trois heures d'informatique par semaine demande de supprimer douze heures par mois aux autres disciplines. Pour faire avancer le débat, nous proposons de supprimer chaque mois

  • une heure de français,
  • une heure de mathématiques,
  • une heure de première langue vivante étrangère,
  • une heure de deuxième langue vivante,
  • une heure d'histoire-géographie-instruction-civique,
  • une heure de sciences de la vie et de la Terre,
  • une heure de physique et chimie,
  • une heure de technologie,
  • une heure d'art plastiques,
  • une heure d'éducation musicale,
  • une heure d'éducation physique et sportive,
  • et une heure d'informatique.

Chaque discipline gagnera dans une telle réforme des temps scolaires: les professeurs de mathématiques pourront ainsi donner à leurs élèves des exercices de programmation qui leur permettront d'aborder les concepts mathématiques de manière beaucoup plus concrète, les professeurs de technologie seront débarrassé de l'enseignement des technologies numériques, qu'ils aiment rarement enseigner et pourront ainsi se concentrer sur le cœur de leur métier, les professeurs de français pourront motiver l'enseignement de la grammaire par les problèmes de traitement des langues naturelles que les élèves auront vus en informatique, les professeurs de sciences de la vie et de la Terre pourront enfin aborder les questions d'algorithmique du génome qui sont au centre de la biologie contemporaine, les professeurs de physique pourront aborder la question de la modélisation et de la simulation, qui joue désormais une place si importante dans leur discipline...

Voilà, ce n'était pas si compliqué...

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