Temps de lecture: 2 minutes - Repéré sur The Guardian, The Daily Beast
En 2005, Amazon a lancé le site Mechanical Turk, sur lequel des internautes peuvent remplir de micro-tâches moyennant de micro-salaires. Par exemple, en ce moment un client a besoin pour le 1er janvier d’un internaute pour décrire correctement (tagguer) des actions humaines sur 5 images. Il aura 60 minutes pour accomplir cette tâche à partir de l’acceptation, et sera payé 0,02 dollar. Ces tâches demandent en général peu d’expertise, mais elles ne sont pas encore facilement automatisables, et le travail humain vient pallier cette insuffisance.
Cette nouvelle forme de travail à distance à la tâche a parfois été décrite comme un «digital sweatshop», en référence aux ateliers de la misère du textile et de l'industrie dans les pays en développement, qui se caractérisent par les très faibles salaires des ouvriers, la précarité et la longueur des journées de travail dans des conditions misérables.
Depuis, 500.000 digital workers (voir la définition du digital labor, dont Mechanical Turk est une forme parmi d'autres, par le sociologue Antonio Casilli) seraient passés par la plateforme d’Amazon, et pour la première fois, écrit The Guardian, ces «Turkers» ont lancé ce qui ressemble à une revendication collective de travailleurs. Sous l’impulsion d’étudiants et de chercheurs de l’université Stanford, ils ont entamé une campagne de publication en ligne de lettres adressées à Jeff Bezos, fondateur et dirigeant d’Amazon, pour lui soumettre leurs revendications à l’approche de Noël.
Les travailleurs à distance du numérique viennent-ils d'accéder à la conscience de classe?
«Je suis un être humain, pas un algorithme», écrit par exemple Kristy Milland, une étudiante canadienne de 35 ans qui aurait réalisé 830.000 tâches sur Mechanical Turk en neuf ans… Car il faut rappeler que le nom étrange de la plateforme d'Amazon est un clin d'oeil –quelque peu cynique– à un automate créé au XVIIIe siècle qui prenait l'apparence d'un Turc en cape et en turban et était capable de jouer aux échecs. En réalité, un joueur humain était caché dans le meuble et actionnait les pièces...
Parmi les points soulevés par les Turkers, on trouve le fait qu’Amazon ne fixe pas de salaire minimum en ligne, ou qu’il se réserve une commission de 10% sur chaque transaction. Car les Turkers ne travaillent pas forcément pour le libraire en ligne, Amazon jouant aussi l’intermédiaire entre les travailleurs et les besoins d’entreprises tierces, telle une agence d’interim numérique. Les plaintes concernent donc surtout les commanditaires de ce micro-travail, certains refusant de valider le travail effectué parce qu'il ne leur convient pas, sans que les internautes aient de recours ou de possibilité de défendre la qualité de leur travail.
Sur le site de leur campagne, les Turkers expliquent aussi qu’ils veulent que le monde sache qu’ils ne sont pas tous des salariés de pays en développement, qu’ils sont pour certains très qualifiés et que le peu de revenu qu’ils tirent de Mechanical Turk compte pour eux. Pour certains, c’est un travail à plein temps, et choisi. Pour d’autres, un job à distance occasionnel pour payer leurs vacances ou leurs dettes.
Des témoignages poignants
Les premiers témoignages des travailleurs sont poignants, et reflètent la diversité des profils et des motivations. On trouve par exemple une veuve retraitée qui explique que le revenu de Mechanical Turk complète sa pension de retraite, et que certaines tâches proposées, ardues, l’aident à conserver une vivacité mentale.
Dynamo, c’est le nom du site qui héberge les contributions, est un site qui se veut «neutre» et n’est pas géré par des «Turkers». Les leaders du mouvement insistent sur l'importance de ne pas braquer leur employeur et de présenter leurs griefs d'une manière constructive. C'est pourquoi les internautes commencent leurs lettres en listant ce que le travail à distance en ligne leur a apporté de bénéfique.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’un syndicat géré en ligne, détaille The Daily Beast, mais plutôt d’une plateforme pour que les digital workers s’accordent sur des revendications minimales et, si la chose est envisageable, rééquilibrent le rapport de force en leur faveur.