Société

Seconde Guerre mondiale: au moins deux Françaises parmi les «femmes de réconfort» de l’armée japonaise

Durant le conflit, 200.000 femmes, principalement coréennes et chinoises, ont été réduites, de manière organisée, à l’état d’esclaves sexuelles par l’armée japonaise.

Des «femmes de réconfort» chinoises et malaisiennes dans les îles Andaman, en 1945. <a href="http://en.wikipedia.org/wiki/Comfort_women#mediaviewer/File:The_Allied_Reoccupation_of_the_Andaman_Islands,_1945_SE5226.jpg">Via Wikimédia Commons.</a>
Des «femmes de réconfort» chinoises et malaisiennes dans les îles Andaman, en 1945. Via Wikimédia Commons.

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En 1945, les soldats japonais, sous prétexte de contrôle et d’observation, envahissent le territoire indochinois, administré alors par la France, après l’invasion de la péninsule coréenne et d'une partie de la Chine. Certains d'entre eux vont alors arrêter, séquestrer et violer deux sœurs françaises, sept semaines durant.

C’est ce que révèlent les dernières recherches de l’historien Hirofumi Hayashi, professeur à l’Université de Kanto Gakuin au Japon. Selon un acte d’accusation de 1947 rendu par le tribunal militaire permanent de Saigon (maintenant Ho-Chi-Minh Ville, au Vietnam), un capitaine de l’armée japonaise aurait arrêté les deux sœurs, dont la plus jeune avait 14 ans, avant de violer la plus âgée et de les «réquisitionner» toutes les deux. Ce même capitaine aurait, du 15 mars au 3 mai 1945, «organisé ou toléré les agissements criminels de ses subordonnés, à savoir les viols quotidiens commis pendant plusieurs semaines et à son investigation par les hommes de sa compagnie», peut-on lire sur l’acte d’accusation.

Le 3 mai 1945, le capitaine et son sergent chef abattent les deux Françaises d’une balle de revolver. Le tribunal finira par condamner à la peine de mort le capitaine japonais pour assassinat, viols, complicité de viols et vols qualifiés. La sentence sera exécutée le 12 août 1947.

C’est la première fois que des documents officiels rapportent et prouvent que de tels sévices ont été commis sur des ressortissantes françaises, comme envers des centaines de milliers de femmes qualifiées à l'époque de «femmes de réconfort», euphémisme pour esclaves sexuelles.

Un extrait de l'acte d'accusation dressé par le tribunal militaire permanent de Saigon ern 1947.

A l’époque, les troupes japonaises ne devaient se limiter, en Indochine, qu’à des missions de contrôle et d’observation. Néanmoins, le 9 mars 1945, le commandement japonais prémédite un coup de force donnant lieu à «des brutalités sans nombre et des crimes injustifiables», selon les documents retrouvés par le professeur Hayashi. Un comportement contraire aux affirmations humanitaires du haut commandement: «Le but de l’armée japonaise se bornerait à neutraliser l’armée française, […] les civils n’étant pas considérés comme des ennemis.» Dans les jours qui suivent, une chasse à l’homme aura pourtant lieu envers les nationaux français, menant à diverses exactions.

Plus de dix hommes par jour

Le professeur Hayashi a eu accès à ces documents après leur transfert du ministère de la Justice japonais aux Archives nationales, l’été dernier. Jusqu’alors, ni lui ni le Centre de recherche et de documentation des responsabilités de guerre du Japon, qu’il dirige, n’avaient connaissance de tels actes envers des femmes françaises. Selon lui, l’armée française pourrait être en possession de rapports d’enquête pouvant témoigner d’autres cas. Des situations similaires avaient déjà été révélées, notamment en Indonésie, sur des femmes néerlandaises.

Hirofumi Hayashi a communiqué ces informations lors d’une conférence de presse organisée le 28 novembre à Paris, et qui n'a que peu retenu l'attention des médias français. Cette conférence était organisée par le Conseil coréen pour les femmes requises pour l’esclavage sexuel militaire japonais, en présence d’une des rares survivantes coréennes, Won-ok Gil. Elles ne seraient qu’une cinquantaine encore en vie en Corée du sud.

Ces milliers de femmes ont été réquisitionnées de force dans des «centres de délassement» pour soldats japonais, aux abords des champs de bataille. Elles devaient parfois se donner à plus de dix hommes par jour, alors que certaines n’avaient pas plus de 13 ans, comme Won-ok Gil: «En 1940, j’ai été envoyé à Harbin, en Mandchourie, comme "femme de réconfort". Puis, souffrant de MST, je ne pouvais plus recevoir de soldats.» Elle sera renvoyée en Corée.

L’organisation était méthodique. Des visites médicales se tenaient régulièrement pour vérifier que ces femmes ne portaient pas de maladies sexuellement transmissibles –qui avaient décimé une partie de l’armée japonaise en Sibérie quelques années auparavant, à la suite de viols commis sur les populations locales. Certaines recevaient de l’argent en retour, qu’elles investissaient dans de l’alcool ou du tabac.

Le Japon refuse ses responsabilités

Au lendemain de la résolution du conflit, les victimes de cet esclavage, vivant dans la honte et la peur du rejet, ne voulaient pas parler de leur histoire. Ce n’est que dans les années 90 que les premières voix se sont élevées.

Depuis, le Japon refuse d’enquêter, par crainte de devoir reconnaître ses responsabilités et de voir inscrire cette partie de son histoire dans les manuels scolaires. Il estime que toutes les victimes de guerres ont été indemnisées lors du traité de 1965. C’est pourquoi, chaque mercredi depuis plus de vingt ans, le Conseil coréen, les survivantes et leurs soutiens manifestent devant l’ambassade du Japon à Séoul. Ils y ont fait ériger un monument en l’honneur des victimes disparues: une jeune fille assise sur une chaise, fixant l’ambassade japonaise de son regard. A ses côtés, une chaise vide, pour les survivantes ou militants. «Les droits de l’homme, des femmes et la justice, une fois piétinés, sont difficiles à réparer. Il faut travailler pour la paix, pour que ce type de crimes de guerre ne se répète jamais», implorait Won-ok Gil lors de sa visite en France.

Depuis quelques années, une «tournée internationale» a été lancée afin de mobiliser l’opinion et de chercher l’appui de gouvernements étrangers. En France, le Conseil a rencontré de nombreuses personnalités politiques, comptant sur «le pays des droits de l’homme» pour lui apporter son soutien, décisif, à la veille du 70ème anniversaire de la fin de la guerre.

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