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Le rapport de Pisani-Ferry et Enderlein symbolise la relation franco-allemande

Berlin est consciente qu’un effondrement économique de la France serait une catastrophe pour l’ensemble de la zone euro donc aussi pour l’Allemagne.

Emmanuel Macron et Sigmar Gabriel, le 27 novembre 2014 à Paris. REUTERS/Charles Platiau
Emmanuel Macron et Sigmar Gabriel, le 27 novembre 2014 à Paris. REUTERS/Charles Platiau

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Les deux économistes estampillés «centre-gauche» qui ont été chargés par les ministres de l'Economie à Paris et à Berlin d’un rapport sur les réformes nécessaires des deux côtés du Rhin, sont lucides: «Notre conclusion est simple: la France et l'Allemagne passent beaucoup de temps à élaborer des déclarations et des initiatives communes. Il nous faut de l'action», disent Jean Pisani-Ferry et Henrik Enderlein. Comme ils ne sont pas les décideurs, on se saurait reprocher à leur texte d’appartenir à la première catégorie, celle des déclarations aussi argumentées et pertinentes soient-elles.

Evitons les sujets qui fâchent

Jean Pisani-Ferry et Henrik Enderlein font un constat et des propositions qui ont le mérite d’être cohérentes, mais ils ont évité les sujets qui fâchent. Ils le reconnaissent dans la conclusion de leur rapport:

«Rien dans nos propositions n’est radical. Nous ne proposons pas une révolution de politique économique. Nous n’appelons pas non plus à une cure de jouvence du modèle social. Nous ne suggérons pas la construction d’un Etat européen, ni le démantèlement de l’Union européenne. Les mesures que nous proposons son concrètes et réalisables.»

Ils répondent ainsi exactement à ce qu’attendaient leurs commanditaires. Emmanuel Macron et son collègue allemand de l’Economie, le président du Parti social-démocrate Sigmar Gabriel qui font la démonstration de leur volonté partagée de relancer la coopération franco-allemande et engrangent des arguments pour la discussion dans leur gouvernement respectif: plus de flexibilité de l’emploi et des salaires en France et réformes à long terme en Allemagne. Mais sans rien brusquer. La faiblesse française et le «contentement excessif» allemand exigent d’être abordés avec doigté.

Toute la difficulté de l’actuelle relation franco-allemande est là. Le front est nettement délimité. Il a été décrit d’une manière presque caricaturale quand le ministre français des Finances Michel Sapin a donné l’impression de proposer un donnant-donnant: 50 milliards de réduction des dépenses publiques en France, 50 milliards d’investissements supplémentaires en Allemagne.

Le point de vue allemand

A Berlin, les défenseurs de l’orthodoxie ne partagent pas l’analyse, qui fait pourtant consensus, du Fond monétaire international à l’OCDE: la croissance européenne est anémique; les politiques de réduction des déficits budgétaires menées en même temps dans la plupart des pays de l’Union ont un effet procyclique qui tend à aggraver la situation. Pas du tout, répond-on au ministère allemand des Finances. Il n’y a pas de récession en Europe. La croissance est faible mais réelle (légèrement supérieure à 1%). Donc nul besoin d’une politique de relance. Il n’y a pas de risque de déflation, puisque que les prix continuent à augmenter, à un taux plus lent certes que l’objectif fixé à la Banque centrale européenne (2%). Les indicateurs sont meilleurs en Espagne, en Irlande et même en Grèce, «preuve que la politique menée n’est pas totalement fausse».

Il est important de continuer à diminuer l’endettement public, car on n’est pas l'abri d’un retournement sur les marchés financiers qui provoquerait une hausse des taux d’intérêt, explique Thomas Westphal, chef du département Europe au ministère allemand des Finances. Il n’est pas nécessaire d’augmenter massivement les investissements publics puisqu’il y a de l’argent disponible à bon marché. Le rôle de l’Etat est de créer les conditions réglementaires qui favorisent l’investissement privé et d’aider à identifier les projets prêts à être rapidement mis en œuvre. Inutile d’ajouter que, dans cette perspective, le plan Juncker de 300 milliards d’euros, bien que faisant faiblement appel à l’argent public, ne rencontre aucun enthousiasme chez les gardiens de l’orthodoxie.

Mais la politique européenne de l’Allemagne ne se décide pas seulement au ministère des Finances. Même si, après la décision de la Commission de Bruxelles de ne pas sanctionner –pour l’instant– la France, l’Italie et la Belgique pour non-respect du pacte de stabilité, Wolfgang Schäuble a répété que l’Allemagne avait mis de l’ordre dans ses finances publiques (déficit zéro cette année, pour la première fois depuis 1969), et qu’elle s’attendait que ses partenaire en fassent autant.

La politique européenne se fait à la chancellerie. Derrière un discours inspiré de la plus stricte orthodoxie, Angela Merkel sait se montrer pragmatique, voire accommodante, comme elle a consenti des concessions sur ses principes tout au long de la crise de l’euro. Elle n’est pas insensible aux arguments d’autres économistes allemands qui relativisent le succès des réformes lancées par son prédécesseur Gerhard Schröder et connues sous le nom d’Agenda 2010.

La prise en compte de la situation française

D’une part, l’Allemagne a donné la priorité à la compétitivité internationale et aux exportations dans un contexte de boom économique mondial qui a dopé la demande extérieure. «Nos voisins européens n’ont pas le luxe du même environnement», déclare Marcel Fratzscher, président de l’Institut allemand pour la recherche économique (DIW).

D’autre part, la politique Schröder a eu un coût politique pour son Parti social-démocrate qui a, depuis, perdu toutes les élections générales. Angela Merkel n’éprouve pas une tendresse particulière pour François Hollande et les socialistes français mais elle n’ignore pas la situation politique particulière de son partenaire. La montée du Front national inquiète en Allemagne, même si personne ne croit à la possibilité d’une victoire de Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2017.

Au-delà de l’appréciation politique, les dirigeants de Berlin sont conscients qu’un effondrement économique de la France serait une catastrophe pour l’ensemble de la zone euro donc aussi pour l’Allemagne. D’où une double attitude: encourager Paris à respecter ses engagements budgétaires et à mener à bien les réformes, d’une part; expliquer la politique du gouvernement français vis-à-vis de ses critiques les plus virulents, insister sur la bonne volonté de certains ministres, laisser à Bruxelles le pilotage des budgets pour ne pas laisser s’installer l’impression que l’Allemagne donne sans cesse des leçons, d’autre part. Mais à travers tout le spectre des partis, les responsables et les observateurs politiques souhaiteraient que la France décide au moins une réforme symbolique témoin de sa volonté de changement.

Et la réforme la plus citée est la fin de la semaine de 35 heures. Un  tabou que Jean Pisani-Ferry et Henrik Enderlein ont entamé sans oser aller jusqu’à une remise en cause fondamentale.

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