Tech & internet / Parents & enfants

Chers parents, vous ne pouvez pas maîtriser à coup sûr l'empreinte numérique de vos enfants

Mais vous pouvez essayer d'être les intendants de leur vie privée.

Une mini-Wonder Woman américaine, pour Halloween 2014. REUTERS/Gary Cameron
Une mini-Wonder Woman américaine, pour Halloween 2014. REUTERS/Gary Cameron

Temps de lecture: 5 minutes

Quand Brianna était enceinte de sa fille, Abigail, elle avait décidé qu'aucune image du bébé ne se retrouverait sur les réseaux sociaux. Mais quelques jours après la naissance d'Abigail, la belle-sœur de Brianna allait poster une photo du nourrisson sur Facebook. Le plan de Brianna avait échoué. (Dans cet article, tous les noms des mères et des enfants sont des pseudonymes, comme ils l'étaient dans l'étude d'où sont issus ces témoignages).

Brianna se considère comme une utilisatrice plutôt active des réseaux sociaux et il lui est même arrivé de dépasser les 1000 amis sur Facebook. Mais elle voulait préserver la vie privée d'Abigail, tout en donnant à sa fille la chance de gérer sa propre présence numérique. Malheureusement, les enfants d'aujourd'hui ne pourront se permettre un tel luxe –ils hériteront de leur empreinte numérique. 

Les habitudes numériques des parents façonnent l'identité numérique des enfants

Et de la même manière que la génétique et l'éducation contribuent à modeler l'identité d'un enfant, les habitudes numériques des parents contribueront à façonner l'identité numérique de leurs enfants, du moins jusqu'à ce qu'ils soient assez grands pour en reprendre les rênes. 

J'ai interviewé Brianna et 21 autres mères dans le cadre d'une étude dirigée par Sarita Schoenebeck, professeure en sciences de l'information, et menée au sein de l'Université du Michigan. Le but de ce travail était d'analyser les processus de décision à l’œuvre dans la publication sur Internet de photos de bébés. 

Si la plupart des mères interrogées n'avaient pas de problème particulier à partager des photos de leurs enfants sur Internet, l'impossibilité de contrôler le destin de telles informations étaient quand même un motif de préoccupation pour bon nombre d'entre elles. Bien évidemment, nous ne prétendons pas que ces 22 mères soient représentatives du vécu de tous les parents, mais ce qu'elles ont pu dire offre un point de départ intéressant pour comprendre quelles répercussions les habitudes numériques des parents sont susceptibles d'avoir sur leurs enfants.

Un contrôle absolu de l'information est impossible

L'histoire de Brianna m'a touchée, parce que cette femme a été incapable de mener à bien l'une de ses toutes premières décisions de mère. Mais une chose est claire: le contrôle n'est plus un paradigme pertinent pour évaluer les relations entre information et vie privée. 

Quand les photos de votre bébé apparaissaient sur Instagram, Dropbox, Gmail et le téléphone de mamie, qui les contrôle vraiment? Les conditions générales d'utilisation et les paramètres de confidentialité de ces outils évoluent constamment, et un contrôle absolu de l'information est impossible, même pour des experts. Sans compter que, au départ, les nouveaux nés sont dans l'incapacité de contrôler les photos qui sont prises d'eux.

Se focaliser sur le contrôle de l'information avait un sens quand les gens conservaient des tirages physiques des images. A l'ère pré-Internet, les photos qui vous montraient barboter dans votre bain ou patouiller dans votre gâteau d'anniversaire étaient rangées dans des albums ou des boîtes à chaussure, et n'étaient vues que lorsque maman décidait de les sortir de leur placard. 

Quand de telles photos apparaissent en ligne, elles accèdent à une audience bien plus large (et potentiellement inconnue) et tout le monde peut facilement les copier. Ce qui veut aussi dire que des gens peuvent faire un usage incongru, si ce n'est perturbant, des photos de bébés. Par exemple, Fast Company vient récemment de publier un article mettant en garde contre une nouvelle mode consistant à prendre des photos d'enfants dans les comptes d'inconnus et à les reposter ensuite sur les réseaux sociaux comme s'il s'agissait des vôtres.

Partager des images de leurs enfants a aidé ces mères

Dire aux parents de ne jamais poster d'images de leurs enfants en ligne pourrait être tentant, mais le conseil méconnaît les bénéfices réels d'un tel comportement. Partager les photos de leur bébé sur Internet a aidé les mères que j'ai interrogées à se sentir connectées à leur famille et leurs amis, ce qui est particulièrement important pour des parents vivant loin de leurs proches. 

Un tel partage permet de recevoir assistance et validations sociales, ce qui est très utile quand vous avez à gérer le manque de sommeil et le poids des responsabilités inhérentes aux soins d'un petit être humain. Pour celles qui ont adoré l'expérience de la maternité, partager des images sur Internet permet aussi d'en fixer le souvenir. En outre, les amis et les membres de la famille demandent constamment à voir des images du bébé, ce qui incite d'autant plus les parents à en poster.

Parallèlement, les mères admettaient qu'en partageant de telles images, elles prenaient des décisions au nom de leurs enfants sur lesquelles il n'était pas facile de revenir. Un jour ou l'autre, leurs enfants allaient grandir et se faire leur propre opinion sur ce que leurs parents auraient dû ou non partager.

Pour une «intendance de la vie privée»

Au lieu de chercher à contrôler l'empreinte numérique de leurs enfants, les parents pourraient envisager ce que nous appelons une «intendance de la vie privée». En l'espèce, les parents pourraient déterminer quels types d'informations ils considèrent comme appropriés ou non à partager quand cela concerne leurs enfants, et informer leurs parents et amis de leurs préférences. 

Dans notre étude, à peu près la moitié des mères avait discuté avec leur mari de cette question. Et deux mères avaient précisé leurs préférences de partage dans les e-mails annonçant la naissance de leur enfant. Ainsi, Rebecca avait demandé de ne pas poster des photos de sa fille sur Facebook et Judy avait demandé de ne pas y poster le prénom de son fils.

Mais, dans tous les cas, il est impossible de contrôler les actions d'autrui. De temps en temps, la belle-mère de Judy appelle son petit-fils par son prénom dans ses commentaires sur Facebook, et Judy la rappelle à l'ordre par SMS. La belle-sœur de Lindsay a reposté des images que Lindsay avait partagées sur son propre profil, malgré le désir de Lindsay de ne pas voir d'autres personnes qu'elle poster des images de sa fille sur Internet. La mère de Clara a posté sur Facebook une image de son fils, Ryan, le montrant prendre son premier bain. Clara ne voulait pas que des photos de son fils nu apparaissent sur Internet, mais elle n'a rien dit à sa mère pour respecter sa décision. Le vécu de ces mères illustre bien comment des informations que les parents ne veulent absolument pas voir apparaître sur Internet peuvent toujours, par un moyen ou un autre, se retrouver sur Internet.

Partager beaucoup ne veut pas dire n'importe comment

Avec l'intendance de la vie privée, vous admettez que les décisions de partage varient d'un parent à l'autre. Des parents peuvent partager un grand nombre d'informations sur leur enfant sur Internet, et toujours avoir en tête son meilleur intérêt. Prenez par exemple Marina et Cara. La meilleure amie de Marina tient une chaîne YouTube très populaire, avec des centaines de milliers d'abonnés, et Marina n'a aucun problème à ce que son amie fasse apparaître son fils dans ses vidéos. Cara a créé un profil Facebook pour son fils et y poste des photos et des vidéos qui dépeignent tout le spectre de sa personnalité en développement, des moments où il est le plus mignon à ceux où il pique d'énormes colères.

Si ces deux mères partagent fréquemment des images de leur fils sur Internet, elles ne le font pas à l'aveugle. Marina ne partagera jamais une image de son fils en train de pleurer, parce qu'elle veut que sa famille et ses amis le voient comme un bébé toujours heureux et toujours de bonne humeur. Un jour, Cara a retiré une photo de son fils en train de manger un gressin, parce qu'elle ne voulait pas que des gens y voient une pose sexuellement suggestive.

Élever un enfant est (et a toujours été) difficile. Gérer l'empreinte numérique d'un enfant pourrait donner l'impression d'une nouvelle tâche à accomplir, sur la liste toujours plus longue des responsabilités parentales. Mais si les parents abandonnent l'idée de contrôler l'empreinte numérique de leur enfant, et préfèrent se considérer comme les intendants de sa vie privée, une telle tâche pourrait devenir un peu plus facile.

cover
-
/
cover

Liste de lecture