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La haine en modèle: avec les destructions de maisons, Israël donne le pire des exemples à ses citoyens

Cette pratique fait l'amalgame entre des terroristes et l'ensemble de la société palestinienne.

Dans les décombres de la maison de Abdel-Rahman Shaloudi, un Palestinien accusé d'avoir tué deux personnes à un arrêt de tram. REUTERS/Ammar Awad.
Dans les décombres de la maison de Abdel-Rahman Shaloudi, un Palestinien accusé d'avoir tué deux personnes à un arrêt de tram. REUTERS/Ammar Awad.

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Dans tout Israël, la colère monte contre les Arabes. Depuis l'abominable attentat palestinien commis dans une synagogue à Jérusalem –et en même temps que de violentes manifestations palestiniennes–, plusieurs attaques perpétrées par des Juifs contre des Arabes ont été signalées. Les Arabes dénoncent une augmentation de la discrimination dirigée contre eux dans le monde du travail. Un sondage publié le 20 novembre révèle que 58% des Juifs approuvent ainsi la décision du maire de la grande ville d’Ashkelon d'interdire aux citoyens arabes d'Israël de travailler à proximité de jeunes enfants.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou dénonce ces politiques et ces accès de discrimination. «Nous ne devons pas généraliser à un large public ce que fait une petite minorité violente», affirme-t-il. Pourtant, Netanyahou montre quotidiennement l’exemple de ce genre de préjugés en détruisant les maisons des terroristes présumés.

Cela fait des dizaines d'années qu’Israël a, par intermittence, recours à ces méthodes. Elles se fondent sur de vieilles lois militaires et sur l’idée qu’elles découragent des terroristes potentiels. Le gouvernement n’a pas à démontrer que les membres de la famille qui vivent dans la maison détruite –grands-parents, enfants, cousins– sont coupables ni même soupçonnés du moindre crime. Et cette politique ne s’applique qu’aux Arabes, pas aux Juifs.

Souffrance des innocents

La première leçon qu’elle enseigne aux Israéliens est qu’il est légitime de faire souffrir des innocents pour décourager le terrorisme. «Il faut un moyen de dissuader le prochain kamikaze», a expliqué Netanyahou la semaine dernière en annonçant des démolitions en représailles de l’attentat contre la synagogue. «Lorsqu’il saura que sa maison, la maison dans laquelle vit sa famille, sera démolie, cela aura un impact.» Shaul Shay, ancien membre du conseil de sécurité national israélien, opine:

«Un terroriste peut être prêt à sacrifier sa propre vie, mais peut-être y réfléchira-t-il à deux fois s’il sait que la maison de ses proches sera détruite. Si la famille en paie le prix, c’est différent.»

En d’autres termes, la logique de cette politique est de punir des gens qui n’ont pas commis d’actes de terrorisme. Les terroristes veulent mourir, par conséquent rien ne les dissuade d’agir. Israël vise leur entourage, qui souffrira encore plus cruellement, dans l’espoir que ce «prix» fera reculer le candidat au crime. C’est la logique de la prise d’otages et du terrorisme.

«Comparaison déplacée»

La deuxième leçon à tirer de cette politique est que traiter des familles arabes de cette façon ne pose aucun problème parce que les Arabes en général sont vus comme enclins à être violents. Il y a trois mois, lorsque des juristes ont mis en doute le bien-fondé de cette politique parce qu’elle n’était pas appliquée aux Juifs qui tuent des Arabes, la plus haute instance israélienne a rejeté la plainte. Un juge a expliqué au nom de la cour:

«Il est impossible de nier que les actes d’incitation et de violence se sont multipliés dans la société juive; c’est regrettable, et il est nécessaire d’agir avec fermeté contre ce genre d’événements. Mais la comparaison est déplacée, parce que la démolition de logements dans les territoires n’est pas utilisée dans les cas d’incitation et de violence mais dans ceux de meurtres particulièrement graves.

 

Je ne suis pas en train de fermer les yeux sur la terrible affaire du meurtre de cet adolescent, Mohammed Abu Khdeir [un jeune Palestinien dont le meurtre, en juillet, a été attribué à trois Israéliens d'extrême droite, ndlr], une histoire qui a choqué tout le pays et déclenché des condamnations unanimes, mais il s’agissait là d’un événement extrêmement isolé. Par conséquent, il me semble qu’il n’y a aucune place pour la symétrie artificielle réclamée par les demandeurs pour soutenir leur plainte pour discrimination.»

En d’autres termes, les familles juives ne doivent pas être traitées de cette manière parce que les Juifs commettent rarement des meurtres. En revanche, les Arabes en commettant beaucoup, il est donc normal de détruire la maison des enfants d’un meurtrier arabe dans le but de dissuader un autre Arabe de tuer des gens.

«Culture de soutien»

Le porte-parole de Netanyahou, Mark Regev, explique le lien entre les deux principes de cette politique –la punition collective et les mesures discriminatoires:

«Il existe une culture de soutien au sein de la société palestinienne –ces gens sont placés sur un piédestal, ils deviennent des martyrs, des héros, les dirigeants palestiniens les portent aux nues, leurs familles sont soutenues. Il y a également des bénéfices très concrets pour la famille en termes d’aides financières. De bien des façons, agir contre la maison, c’est rééquilibrer la balance. On leur dit que s’ils commettent un crime odieux, dans ce cas tuer un bébé, il faudra en payer le prix.»

Notez l’absence de toute analyse morale du comportement individuel. Le coupable n’est pas un hors-la-loi en particulier. C’est «la société palestinienne» dans son ensemble. Les terroristes sont récompensés par le biais de leurs familles, par conséquent Israël rééquilibre la balance en visant ces mêmes familles. Lorsqu’on a affaire à l’ennemi, l’innocence n’entre pas en ligne de compte.

Israël n’a donc pas à s’étonner si ses citoyens juifs, intégrant cette logique, s’en prennent aux Arabes israéliens, ou si des Arabes traitent des Juifs innocents de la même façon. Devant ce déferlement de furie dans les deux sens, je pense à Hadas Mizrahi, femme juive dont le mari a été tué par un terroriste alors qu’il se rendait en voiture à une célébration du Séder de Pessah en Cisjordanie au début de l'année. Hadas, indignée que le meurtrier ait aussi tiré sur ses enfants, demanda à un tribunal que la maison de l’auteur de ce crime soit détruite –et obtint gain de cause. «Nous n’avons rien fait de mal, nous étions innocents», a-t-elle plaidé. «Peut-être la démolition de cette maison sera-t-elle dissuasive.» Ou peut-être que la famille palestinienne privée de toit en tirera la même leçon que celle des Juifs: faites fi de l’innocence, pourvu qu’ils souffrent.

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