France

Combien ça pèse, les «sacs passe-partout» remplis d'argent de Serge Dassault?

Un comptable suisse a affirmé devant la justice avoir apporté des millions d'euros en liquide à l'élu de l'Essonne. Nous avons voulu savoir comment il faisait.

Serge Dassault lors de son arrivée à un meeting de l'UMP, en 2012. REUTERS/Régis Duvignau.
Serge Dassault lors de son arrivée à un meeting de l'UMP, en 2012. REUTERS/Régis Duvignau.

Temps de lecture: 3 minutes

Le journal Libération et France Inter ont fait de nouvelles révélations, ce mardi 18 novembre, sur l'affaire Serge Dassault et comment fonctionnait sa «machine à cash» supposée. Un comptable et ami de l'homme d'affaires et élu, Gérard Limat, à raconté comment, de 1995 à 2012, il avait «remis en cash à l’ex-maire de Corbeil 53 millions d’euros, transférés de Suisse».

Par le passé, nous avons déjà essayé de comprendre à quoi ressemblaient les Tupperware pleins de billets de Didier Schuller ou combien pesaient les valises de billets que Robert Bourgi, ancien monsieur Afrique de Jacques Chirac, affirmait ramener à l'Elysée dans des djembés. C'est donc tout naturellement que nous avons voulu savoir comment seraient arrivés ces millions d'euros en cash dans les poches du sénateur UMP. 

C’est pour la période 2008-2012 que nous disposons du maximum de détails sur ces remises d’argent, puisqu’elles concernent trois campagnes électorales à Corbeil-Essonnes (2008, 2009, 2010) sur lesquelles la justice enquête en raison de soupçon d’achats de votes, de corruption, de blanchiment et d’abus de biens sociaux.

Pendant ces cinq années, le comptable suisse affirme avoir remis 7,45 millions d’euros en 33 livraisons dans le bureau de Serge Dassault, près du rond-point des Champs-Elysées. «Je précise que Serge Dassault ne me demandait pas une somme en particulier, a raconté Gérard Limat. Il m’appelait, il me disait qu’il avait besoin de me voir, je comprenais qu’il avait besoin d’argent liquide.» A chaque fois, des sommes variant de 100.000 à 700.000 euros, qu’il récupérait auprès d’un livreur Cofinor (société financière genevoise qui fournissait l'argent en cash), étaient convoyées.

Gérard Limat a d’ailleurs expliqué aux enquêteurs qu’il s’agissait uniquement de «liasses de billets de 100 euros.» L’épaisseur d’un billet d’euros, quelle que soit sa valeur, est de 0,1 millimètre. Un billet de 100 euros mesure 147 millimètres de longueur et 82 de largeur (et, pour votre information, il est décrit comme étant «baroque et rococo»).

Pour calculer le volume d’un billet, il faut utiliser la formule suivante : V = longueur x largeur x hauteur, soit 0,1 x 147 x 82 = 1.205,4 mm3. Le volume d’un billet de 100 euros est donc de 1 205,4 mm3, soit 0,001205400 litre.

Les sacs plastiques, maintenant. Le comptable évoque des remises d’argent grâce à des sachets en plastique «passe-partout (Carrefour, Dior, Fnac, etc.)», avec à l’intérieur «l’argent en numéraire (en espèce) entouré de papier journal.» C’est là que l’affaire se corse. Il ne s’agit pas de calculer un simple volume de parallélépipède rectangle ou de sphère. Il faut prendre en compte la longueur des bretelles du sac, celle des soufflets (qui lui confère plus de volume) et le fait que ces sacs était fermés par un nœud simple. Les constructeurs de sacs eux-mêmes ne calculent pas le volume de leurs produits.

Après une tentative ratée de remplir un sac plastique (en réalité percé) avec de l’eau et un saut infructueux dans un supermarché pour nous renseigner, nous avons trouvé un logiciel du laboratoire national de métrologie et d’essais qui permet justement d’effectuer ce genre de calcul complexe.

En nous appuyant sur cette méthode de calcul et les données d’un constructeur, nous avons pu trouver un volume final de 14,6 litres pour un sac plastique blanc «passe-partout».

Impression écran du logiciel de calcul du volume d'un sac plastique (LNE).

Mais d’autres facteurs sont à prendre en compte: le fait que les billets ne soient pas tassés, qu’ils soient attachés par des bandeaux et «entourés de papier journal». Nous retiendrons donc 14 L comme volume final d’un sac plastique.

Sachant que Serge Dassault aurait reçu entre «100.000 et 700.000 euros» en billet de 100 euros, on peut désormais calculer combien de sacs étaient nécessaires à chaque livraison en utilisant la formule suivante:

Volume d’un billet de 100 euros x (montant de la livraison/100)

Soit 0,001 205 400 x (100.000/100) = 1,2 litre.

Ou 0,001 205 400 x (700.000/100) = 8,4 litres.

Le volume occupé par les billets variait donc entre 1,2 et 8,4 litres. Dans les deux cas, un seul sac suffirait donc, puisque qu’il ne serait rempli qu’entre 8,5 et 60% de sa capacité. L'expert-comptable de Serge Dassault s’en sortait donc bien, en apparence, puisqu'il aurait pu transporter près de 1,2 million d'euros.

Et en termes de poids? Un billet de 100 euros pèse 1 gramme environ, ce qui donne des sacs pesant entre 1 et 7 kg. Pour donner un ordre d’idée, un sac pesant environ 7 kilos, ou avec 700.000 euros à l'intérieur, c’est comme transporter sur soi, au choix:

  • 22 lingots d'or de 1 kg et 100 louis d'or (en valeur)
  • 1 pack de 6 bouteilles de 1 L d'eau et une bouteille supplémentaire (en poids)
  • 9 exemplaires du livre Le suicide français d'Eric Zemmour et une copie du livre Merci pour ce moment de Valérie Trierweiler (en poids)

Imaginez donc Gérard Limat, «devant l’hôtel Marriott» des Champs Elysées, recevant un de ces fameux sacs de la part d’un livreur de la Cofinor. Il devait ensuite remonter les 750 mètres de la plus belle avenue du monde, et l’une des plus fréquentées (par des touristes et des pickpockets), pour aller jusqu’au rond-point de l’Etoile livrer le pactole à Serge Dassault dans son bureau. Le tout sans se faire remarquer, ni faire tomber son sac, évidemment. 

Sûrement les 10 minutes de marche les plus angoissantes de sa vie. 

cover
-
/
cover

Liste de lecture