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Etats-Unis, Japon, Europe: les gouvernements en panne

L'incapacité des pays développés à sortir pour de bon de la crise divise les économistes. Les uns y voient l'échec de la politique de relance monétaire. Les autres, l'effet de la baisse des salaires qui étouffe la reprise.

Des caricatures d'Obama, Abe, Hollande et Merkel à Varsovie, en novembre 2013. REUTERS/Kacper Pempe
Des caricatures d'Obama, Abe, Hollande et Merkel à Varsovie, en novembre 2013. REUTERS/Kacper Pempe

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Le Premier ministre du Japon, Shinzo Abe, va-t-il devoir convoquer des élections anticipées? On en parle pour décembre. Fanfaronnées à son arrivée en décembre 2012, les mesures de relance monétaire, les «Abenomics», n'ont réussi qu'un court moment. La croissance est retombée sèchement au deuxième trimestre, elle ne sera que de 0,5% cette année. La baisse du yen n'a pas provoqué l'effet massif attendu sur les exportations. Les réformes dites structurelles, la «troisième flèche de l'arc Abe», non plus. La hausse de la TVA nécessaire pour afficher une maîtrise de la dette, qui atteint 240% du PIB, a coupé la consommation des ménages. Le couplage «à la japonaise» d'une relance et d'une politique de l'offre est plus ardu qu'escompté.

Aux Etats-Unis, l'impuissance est politique. Le président n'a plus de majorité et son opposition républicaine est décidée à ne rien laisser passer. C'est un paradoxe pour un des rares dirigeants de la planète à avoir été réélu au cours de la crise que de voir son relatif succès économique non récompensé. La chronologie et le curseur des politiques monétaire et fiscale ont été mieux gérés qu'ailleurs. Mais, in fine, la croissance retrouvée n'est pas si bonne (2%) et elle n'est pas partagée. Outre-Atlantique aussi, la politique de sortie de crise est décevante.

C'est bien entendu en Europe que les déceptions sont les plus grandes. L'Union européenne n'est pas parvenue à combler la chute due à la crise, son PIB est toujours de 15% inférieur à ce qu'il aurait été sans elle. En outre, la zone euro est aux bords d'un «triple dip», un nouveau plongeon dans la récession. L'éviterait-elle que ses perspectives de croissance de moyen terme se sont dangereusement aplaties.

Ici, la faute en incombe à l'immobilisme des responsables. Les remèdes sont connus: il faut à la fois une relance (par les pays excédentaires comme l'Allemagne) et des réformes d'offre dans les pays déficitaires. Mais même si cette politique était mise en oeuvre, ne nous leurrons pas: il ne faut pas en attendre monts et merveilles. La politique monétaire, fût-elle «relancée» en grand (1.000 milliards d'euros) par Mario Draghi, bute non pas sur un manque de crédits mais sur un manque de projets. L'Allemagne accepterait-elle de lancer enfin des travaux pour moderniser ses infrastructures (elle va le faire pour 10 milliards) que l'effet d'entraînement serait bas. Les investissements de 300 milliards de Jean-Claude Junker démarreraient-ils demain matin que les retombées seraient lentes et incertaines.

Les gouvernements sont en défaut, partout, parce que la crise résiste, partout.

Le monde développé n'a toujours pas trouvé de modèle pour une nouvelle croissance à la fois forte et équilibrée dans un monde ouvert avec des flots de capitaux libres et gigantesques. Les économistes s'opposent sur l'explication de cette impuissance entre les «classiques» et les «keynésiens», avec des bons arguments dans chaque camp. Côté «classiques», où se rangent les Allemands, la relance par la politique monétaire est un échec. Les milliards de billets imprimés par les banques centrales n'ont abouti qu'à regonfler les marchés financiers. Voir les records sur records battus par Wall Street ou les prix des logements à nouveau effarants à Londres et dans les capitales. La monnaie distribuée si facilement n'est qu'un leurre, elle ne fait que repousser le traitement des vrais maux: le remboursement des endettements publics ou privés et la purge des surcapacités. La réalité des chiffres de dette donne raison à cette thèse: l'endettement mondial rapporté au PIB a crû de 38% depuis 2008, à 212%. Quant à la purge, le rebond des exportations des pays du sud européens montre que les baisses de salaires sont très douloureuses, mais elles commencent à payer.

Ce à quoi les keynésiens répondent que, sans le financement par les banques centrales, la crise eût été pire qu'en 1930. Et que les baisses de salaires redonnent, certes, de la compétitivité relative, mais qu'elles appauvrissent la demande et donc étouffent la reprise.

Une «synthèse» momentanée des deux écoles est possible: relancer ce qu'on peut, réformer ce que l'on doit. Tel est le deal possible entre les deux représentants de chaque bord: l'Allemagne et la France. Toutes voiles dehors, cette politique de compromis peut faire revenir l'expansion vers 1,4% l'an dans la zone euro, ce serait déjà ça. Mais cela resterait inférieur de moitié à la tendance d'avant-crise (2,7% l'an). Les clefs d'une croissance à la fois forte pour plaire aux keynésiens et financièrement stable (sans bulles) pour plaire aux classiques sont perdues.

Est-ce dû au vieillissement des populations dans ces pays? A une panne du progrès technique? A une régulation bancaire mal dessinée qui pénalise l'économie réelle sans arrêter les bulles? Aux inégalités qui élèvent les précautions d'épargne et prive d'investissement? Aux monopoles gagnés par les géants mondiaux, comme dans les technologies, où Apple ou Google ont accumulé des tas d'or aussi historiques qu'inemployés? A toutes ces causes ensemble? Chaque pays a ses défauts propres, chaque gouvernement ses fautes, chaque dirigeant son manque de courage. Mais la persistance de la crise partout force à la modestie. Le centre-gauche au Japon, la droite aux Etats-Unis et en France devraient se garder de nous promettre le retour facile de l'expansion et de l'emploi. La crise persiste, les causes ne sont pas tirées au clair et personne ne sait comment vraiment en finir.

Article également publié dans Les Echos

 

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