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Après l’avoir exporté, l’Algérie tente de renationaliser son football

Récemment entrée dans le top 15 du classement Fifa après une bonne Coupe du monde, l’Algérie poursuit une ascension fulgurante qu’elle doit indirectement à la France, mais qu'elle tente de consolider par ses propres moyens.

Les joueurs de l'ES Sétif célèbrent leur victoire en Ligue des champions africaine, le 1er novembre 2014. REUTERS/Louafi Larbi.
Les joueurs de l'ES Sétif célèbrent leur victoire en Ligue des champions africaine, le 1er novembre 2014. REUTERS/Louafi Larbi.

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Au soir du 26 juin 2014, l'Algérie se qualifiait pour la première fois pour les huitièmes de finale de la Coupe du monde au bout d’un suspens interminable face à la Russie (1-1),  validant ainsi un travail de fond entrepris depuis plus d’une décennie et libérant la joie stupéfiante de millions d’Algériens. Après l’élimination pleine de panache face à l’Allemagne (1-2 a.p.), les Fennecs ont poursuivi sur cette dynamique, sanctionnée, fin octobre, d'une 15e place au classement Fifa, où la sélection était 80e il y a moins de dix ans (elle est désormais 18e).

L’Algérie se sert aujourd’hui d’un football «européanisé» qu’elle a fait le choix de rapatrier pour briller. Mais pour continuer à grandir, le pays doit cesser d’importer ses propres talents pour les produire à nouveau.

Lors de ses deux premières participations à la Coupe du monde, en 1982 et 1986, l’équipe d’Algérie n’était presque composée que de produits «locaux». S’ils n’y étaient pas tous formés, la majorité des joueurs avait tout de même fait leurs premiers pas dans les clubs du pays, qu’ils n’avaient pour la plupart pas quittés. Mais le football, au même titre que la société algérienne toute entière, a ensuite souffert de la «décennie noire» ouverte par l’annulation du processus électoral en 1991, la prise de pouvoir de l’armée et la dissolution forcée du Front islamique du salut.

Pour relancer son football, qui souffrait de récupérations politiques en tout genre, l’Algérie a alors puisé dans ses talents expatriés. Au tournant des années 2000, «El Khadra» ne se composait plus majoritairement que de joueurs évoluant à l’étranger.

Un quart d'internationaux formés au pays

Si cet exode s'est désormais banalisé dans le football mondial, l’Algérie n’en reste pas moins un cas hors du commun: si beaucoup d’équipes nationales de haut niveau comme le Brésil, l’Uruguay ou encore la Belgique ne comptent quasiment pas de joueurs évoluant dans leurs championnats nationaux, elles s'appuient en revanche sur des joueurs qui ont reçu une formation locale avant de prendre leur envol.

Or, lors de ses participations aux Coupes du monde 2010 et 2014, l’équipe nationale ne comptait pratiquement plus de joueurs formés au pays: 26% seulement au Brésil, contre 77% lors de l'édition 1982. Une écrasante majorité a appris à jouer au football ailleurs, et principalement en France. Dont un grand nombre de binationaux, dont la présence ne constitue d'ailleurs pas une nouveauté, souligne Maher Mezahi, journaliste algérien pour le Telegraph, Al Jazeera et ESPN:

«Il y a toujours eu des binationaux. En 1982, Noureddine Kourichi, titulaire contre l'Allemagne. En 1986, Rachid Harkouk, qui ne parlait pas la langue, Alim Ben Mabrouk et Abdallah Liegeon, du nom de son beau-père français. Cela n'a rien de nouveau pour l'Algérie et son football.»

Le président de la Fédération algérienne de football (FAF), Mohammed Raouraoua, a énormément contribué au rapatriement de joueurs d’origine algérienne qui n’étaient autrefois pas tentés de rejoindre les Fennecs pour différentes raisons. Si certains, comme Ali Benarbia ou Brahim Hemdani, l’ont accepté tardivement, tout a été mis en place pour que les jeunes générations soient plus promptes à le faire, y compris des joueurs ayant porté le maillot des équipes de France jeunes ou Espoirs comme Sofiane Feghouli, Yacine Brahimi, Saphir Taïder et Faouzi Ghoulam, et peut-être bientôt Ahmed Kashi, qui évolue cette saison en Ligue 1 avec le FC Metz.

Mais si cette arrivée de talents élevés au football européen a permis à l’équipe nationale d’Algérie de passer un cap, les autorités fédérales tentent aussi de reprendre la main sur la formation, délaissée depuis de nombreuses années. La crise du pays dans les années 90 a en effet eu un impact sur les entreprises nationales qui parrainaient les clubs, dont l'organisation a sombré.

Pour Ali Fergani, célèbre capitaine de la formidable équipe d’Algérie de 1982, c’est bien à ce moment là que la sortie de route a eu lieu:

«Les clubs étaient livrés à eux-mêmes. N’importe qui pouvait devenir dirigeant. Nous n’étions pas regardants sur la qualité et la formation a été sacrifiée. Le jeune Algérien a le football dans le sang, il est doué, mais il y a aujourd’hui un manque de prise en charge flagrant.»

Donner les moyens de former

À plusieurs niveaux, les autorités mettent aujourd'hui les choses en place pour que le football algérien redevienne autonome. Si la Fédération oblige les clubs à posséder leur centre de formation, l’État doit leur en donner les moyens. Et même si aucun n’a un rayonnement international, les clubs algériens ont des revenus qu’ils n’utilisent pas à bon escient.

Pour Ali Fergani, l’utilisation des richesses est un postulat de départ à la progression des clubs:

«Les droits TV sont insuffisants, oui, mais tous les clubs ont des sponsors, de téléphonie notamment. Ils ont aussi des aides des gouvernements locaux et des communes. Certains clubs sont favorisés, bien sûr, mais la réalité, c’est que tous achètent des joueurs. En parallèle, aucun ne fait assez pour les jeunes.»

Pour que cela change, l’ancien milieu des Fennecs milite pour la mise en place d’un contrôle de gestion:

«Il faudrait un contrôle financier des clubs, comme avec la DNCG en France. Il faut que ce soit mis en application chez nous. Ce n’est pas normal que les clubs soient financés par le sponsoring et les deniers de l’État sans être contrôlés.»

Et de reprendre:

«Il faut ensuite obliger les clubs à s’occuper des jeunes. Ils ont des budgets faramineux, les joueurs ont de gros salaires alors que les jeunes n’ont pas d’équipements, parfois pas de souliers, et pas de terrains pour s’entraîner.»

Même si tous les observateurs s’accordent à dire que ce projet mis en place tarde à se réaliser, le coach de Montpellier Rolland Courbis, entraîneur de l’USM Alger lors de la saison 2012-2013, reste confiant et prône la patience:

«L’organisation de la CAN en 2017 permet la construction et l’indispensable amélioration des stades. C’est vrai que certains endroits ne ressemblent en rien à la Ligue 1 mais le professionnalisme n’est pas instauré depuis longtemps donc il faut être indulgent. Beaucoup de choses prennent le bon chemin, notamment les centres de formation. C’est tout nouveau, il n’est pas évident, les premières années, de mettre en place un championnat de haut niveau.»

Surtout que le contexte dans lequel se joue le championnat n’est pas simple. L’extrême passion des supporters donne trop souvent lieu à des scènes de violences inouïes et met une pression incommensurable sur les épaules des footballeurs, qui l’assument difficilement: «La défaite est interdite. Un match nul est considéré comme une demi-défaite et non pas comme une demi-victoire. C’est très compliqué. Quand tu gagnes à l’extérieur, tu as des problèmes avec les supporters adverses, et si tu perds, tu as des problèmes avec les tiens», résume Roland Courbis.

L'ES Sétif, un modèle à suivre

Le 1er novembre 2014, les Algériens ont eu plus d’une raison de festoyer. En marge de la commémoration du 60e anniversaire du début de la guerre d’indépendance, l’ES Sétif a offert à l’Algérie la Ligue des champions africaine, que ses représentants n’avaient plus ramené depuis 1990, en battant l'AS Vita Club (République démocratique du Congo) au terme d'une finale serrée (2-2, 1-1).

Pour Ali Fergani, le travail accompli au sein du club est la démonstration de ce qui doit être fait partout ailleurs:

«Le président du club a fait confiance à un entraîneur de 37 ans, ancien international, qui a souvent été adjoint. L’équipe est composée essentiellement de joueurs algériens formés en Algérie. Voici la preuve du potentiel que détient le pays, à condition que les clubs aient les moyens de redevenir professionnels pour l’exploiter.»

Voici donc la tâche qui incombe à l’Algérie: la refonte de tout un système vers une professionnalisation qui conduira son football vers les plus hautes sphères mondiales. Son vivier français, qui perdurera, ne doit à l’avenir représenter qu’un plus pour le football algérien et le sport en règle générale. Qu'il apprenne à profiter du talent de sa jeunesse, voilà ce qu’Ali Fergani espère voir dans un futur proche:

«Il faut bien tirer profit de nos jeunes, dans tous les domaines. Nous avons de très bonnes équipes de basket ou de handball. De grands boxeurs, des champions en athlétisme, en demi-fond… En Algérie, la pratique sportive devrait être bien plus développée pour l’image et le rayonnement du pays à l’international.»

Concernant le sport-roi, certains, comme Roland Courbis, prédisent une entrée de l’Algérie dans le top 10 des meilleures nations Fifa sur le très moyen terme. Peut-être n’y aura-t-il même pas à attendre jusqu'à la prochaine Coupe du monde en Russie, en 2018, à laquelle les Fennecs espèrent bien participer.

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