Parents & enfants / France

Cher François Bégaudeau, j’ai rarement lu un truc aussi pourri sur l’école

Il faut que les profs –et anciens profs– arrêtent de critiquer gratuitement l'école publique française.

A Marseille, le 2 septembre 2014. REUTERS/Jean-Paul Pelissier
A Marseille, le 2 septembre 2014. REUTERS/Jean-Paul Pelissier

Temps de lecture: 3 minutes

Le problème avec l’école, ce n’est pas seulement que tout le monde dit n’importe quoi. C’est normal d’avoir un avis sur l’école, fut-il absurde. Le problème c’est quand ce sont des enseignants qui se livrent à des critiques gratuites qui sapent le moral de tout le monde sans faire progresser la réflexion.

Notre école est imparfaite. Elle est injuste, elle reproduit les inégalités, on s’y ennuie pas mal. Il faut la réformer, c’est en cours depuis… au moins depuis que j’ai l’âge d’écouter les informations. Le gouvernement a lancé une «Refondation» en 2012, des chantiers sont ouverts: l’éducation prioritaire, la réforme de l’évaluation, la lutte contre le décrochage.

Bien sûr on peut critiquer les réformes mais je suis fatiguée des critiques stériles. Et surprise qu’elles viennent d’enseignants ou d’anciens enseignants: Jean-Paul Brighelli ou Natacha Polony, ou moins connu Loys Bonod, en étaient jusqu’à présent les meilleurs exemples avec leur propos sur la Fabrique du crétin, l’effondrement du modèle républicain et la critique systématique de toutes les réformes.

François Bégaudeau vient de rejoindre leur clan avec cette belle déclaration, en réponse à une journaliste des Echos qui l'interrogeait sur «la mesure audacieuse qu'il faudrait prendre en France aujourd'hui?» (–et après avoir énoncé deux autres mesures):

«une mesure très pragmatique, la suppression de l'école obligatoire, et son remplacement par un service d'éducation non obligatoire à partir de l'âge de huit ans. Jusqu'à cet âge, l'école a la vertu de soulager les femmes… Mais elle n'est pas une fabrique d'audace: elle est davantage faite pour discipliner que pour faire bouger les codes et créer des gens audacieux.»

Mais cher François Bégaudeau, j’ai rarement lu un truc aussi pourri sur l’école et en tant que femme, et mère, ce qui va me soulager, c’est plutôt d’expliquer tout le mal que je pense d’un tel propos.

Je suis une femme, une mère, et je ne pense pas que l’école me soulage de la garde de mes enfants. En tant que parent, je suis heureuse de vivre dans un pays où je n'ai pas à apprendre moi-même à lire à mes enfants, ni à compter. Notamment parce que je ne saurais pas le faire. Je préfère leur lire des histoires, jouer aux Playmobil, faire des gâteaux, les emmener se promener. Et tout ça je sais faire.

L'école n'est pas obligatoire

Par ailleurs François, l'école n'est pas obligatoire. C'est l'éducation qui l'est. Il est déjà possible pour des parents d'instruire leurs enfants à domicile, sous des contrôles stricts. Ils sont peu à faire ce choix (moins de 20.000 enfants pour la période 2010-2011 selon une enquête menée auprès des directions des services départementaux de l'éducation nationale). Vous pensez qu'ils devraient être plus nombreux?

Il faudrait quoi, que tous les parents restent à la maison pour s'en occuper? Payent une personne qualifiée? Ou qu'à défaut de l'école, il y ait un service… à la carte? Il induirait l'idée d'un choix nécessaire entre différentes options pédagogiques. Comment faire le tri? Aussi précieuse –et créative et intelligente– que soit la chair de ma chair, je fais confiance aux professionnels, aux enseignants, pour s’occuper de leur éducation. Bien mieux que moi.

Et comment pouvez-vous écrire que l’école a pour vertu de soulager les femmes? (et oublier au passage que les papas s'occupent aussi, et heureusement de plus en plus, de leurs enfants) Je n’arrive même pas, au fond, à comprendre ce que vous voulez dire. J’émets des hypothèses: On s’en fout de ce que les élèves font à l’école? Les enseignants de maternelles sont là pour faire du gardiennage?…

Mais n’importe quelle puéricultrice qui travaille dans une crèche a un point de vue plus avancé que le vôtre sur la pédagogie!

L'intérêt de l'école avant 8 ans

Il n’y a aucune audace, contrairement à ce que vous semblez croire, à dire du mal de l’école. De François Dubet à Alain Finkielkraut, tout le monde le fait. Mais surtout, il n’y a aucune audace à baisser les bras! Ni à dire que l’école ne sert à rien. Vous croyez sincèrement que supprimer l’école avant huit ans rendrait services aux enfants des quartiers populaires? Aux enfants en général?

En fait la dernière livraison de l’étude Pisa qui compare les résultats des pays de l’OCDE  montre un avantage certain pour les enfants ayant participé à l’éducation préélémentaire pendant un an et plus. Particulièrement en France, nous disent les statisticiens des services de l’Education nationale. Et, d’après les études, plus la durée de la scolarisation préélémentaire est longue, meilleurs sont les résultats.

Je lis, bien évidemment, dans vos propos une référence à Ivan Illitch et son célébrissime ouvrage Une société sans école: l’école exerce une forme d’oppression et les enfants apprendraient mieux ailleurs. Il est où, cet ailleurs?

Surtout, vous faites références, et peut-être sans le savoir, aux pires théories ultra libérales sur l’école: la liberté scolaire absolue prônée par Milton Fridman (dans Capitalisme et Liberté, dès 1962) et l’idée reprise en France par un auteur très à droite comme Philippe Nemo.

Je connais les problèmes et les difficultés de notre système éducatif. C’est mon métier d’en parler. Il faut à tout prix améliorer ce système qui fonctionne mal, je le redis, essentiellement pour les enfants issus des catégories populaires. L’enjeu est immense, vertigineux mais il est aussi stimulant. Il engage de l’imagination –et de l’audace justement. De la part des gens qui sont responsables de l’éducation des enfants, les adultes, les enseignants. Une imagination qui va bien au-delà du fait de dire qu’il faut mettre la clé sous la porte.

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