France

Sivens: tous les outils de la démocratie participative n’ont pas été utilisés

La contestation d'un nombre croissant de projets d'aménagement pose la question du recours au référendum local, procédure prévue par la Constitution mais peu utilisée.

Le site du projet de barrage de Sivens, le 28 octobre 2014. REUTERS/Regis Duvignau
Le site du projet de barrage de Sivens, le 28 octobre 2014. REUTERS/Regis Duvignau

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Les travaux sur le chantier du barrage de Sivens sont interrompus depuis la mort de Rémi Fraisse, jeune militant tué par une grenade offensive lancée par les gendarmes sur la «zone à défendre» (ZAD) occupée par les opposants. 

Le projet de barrage est donc en stand-by. La solution choisie par la ministre compétente, Ségolène Royal, est d'envoyer trois experts sur place pour trouver une solution alternative et, si possible, consensuelle. Il pourrait s'agir d'un redimensionnement du barrage, ou bien de retenues situées ailleurs sur la rivière. 

Autant de résultats qu'un vote local aurait pu faire émerger? Depuis plusieurs semaines, les partisans du projet de barrage dans le Tarn et ses opposants se rejettent l’accusation de ne pas respecter la démocratie. Le promoteur du projet, le président (PS) du conseil général du Tarn, se demandait à haute voix dans Le Monde peu après la mort de Rémi Fraisse comment «dans notre société démocratique, [...] des projets, validés de bout en bout par l'Etat, peuvent [...] faire l'objet d'une telle violence?»

Le collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, qui réunit les habitants opposés au projet, publie sur son site une chronologie depuis 2011 des réactions des pouvoirs publics qui trahissent, selon lui, «une attitude antidémocratique» dans le processus qui a abouti à la déclaration d’utilité publique du projet de barrage le 2 octobre 2013, par arrêté préfectoral.

Concrètement, quels outils de la démocratie participative locale ont été utilisés, avec quels résultats? Et quels sont ceux qui ont été négligés?

Ce qui a été fait: une enquête publique en 2012

Une enquête publique a bien eu lieu en 2012. Cette procédure, obligatoire dans le cas d’un projet d’aménagement, est souvent critiquée car bien qu’ayant un objectif d’information et de participation des administrés, ses dossiers de présentation, longs et techniques, sont difficilement assimilables par un public qui n’est pas expert des questions d’aménagement du territoire.

D’abord prévue pendant l’été, ce que le collectif qui s’oppose au barrage a interprété comme une volonté d’avoir le moins d’avis possible, l'enquête a été repoussée à septembre de la même année après son intervention.

Le collectif lui reproche d’être biaisée, parce que le dossier de l’enquête, qui est le document que consultent les habitants pour se faire un avis, ne contenait pas toutes les pièces, notamment un avis critique sur le projet de l’ONEMA (PDF de l'avis) (Office national de l’eau et des milieux aquatiques). Un dossier pouvant faire près de 1.000 pages, le problème est dès lors double: il peut y avoir à la fois trop d’informations, sans que toute la palette des avis soit présentée.

Les conclusions de ces rapports sont rarement exclusivement positives ou négatives, et laissent la voie ouverte à des aménagements du projet. Dans le cas du barrage de Sivens, la commission a rendu un avis favorable mais conditionné à l'avis favorable d’une autre instance chargée de l’écologie, le Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN), qui dépend du ministère de l’Ecologie. Avis qui, bien que négatif à deux reprises, n’a pas empêché le projet de suivre son chemin.

Ce qui aurait pu être fait: une consultation ou un référendum

Lors du vote sur le projet en 2012, les élus du Conseil général se sont prononcés pour à une écrasante majorité (deux absentions, un vote contre et 43 pour). Faut-il considérer que ces élus ne sont plus représentatifs de la population? Ou bien le mouvement d'opposition n'est-il que le fait d'une minorité bruyante? Un vote direct des habitants de la zone aurait pu répondre à la question. Deux types d'appel aux urnes sont envisageables dans le cadre d'un projet d'aménagement local: la consultation et le référendum. Aucun n'a été réalisé dans le cas de Sivens. 

L'option du référendum a été évoquée par le député PS Pouria Amirshahi et le vice-président de l'UMP Geoffroy Didier, rejoints ensuite par le vice-président du FN Louis Aliot. Mais ce dernier a cependant laissé entendre qu’il pensait que la majorité des électeurs aurait soutenu le projet.

1.La consultation

  • Elle peut être soit proposée par les assemblées des collectivités, soit par un dixième (ou un cinquième s’il s’agit d’une commune) des électeurs inscrits sur les listes électorales de la commune, du département ou de la région concernée. Si les électeurs la proposent, la collectivité est libre de la mettre en place ou non.
  • Ses résultats ne sont pas contraignants, ils  ne lient pas légalement les collectivités, mais leur donnent un indicateur de la popularité d’un projet. Une consultation peut donc inciter les élus à ne pas mettre en place un projet qui n’a pas rencontré l’adhésion de leurs électeurs.

2.Le référendum

Inscrit dans la Constitution  depuis la révision constitutionnelle de 2003, le référendum local n'est pourtant pas rentré dans les moeurs françaises, alors qu'il a pour vertu d'entretenir «un débat local et une culture de la participation civique» comme l'expliquait dans Les Echos en 2011 l'expert en développement local Antoine Colson. 

Quel corps électoral et quelle question?

Encore faut-il que la collectivité à l’initiative du référendum soit bien compétente en la matière. Par exemple un projet de référendum mis en place par la ville de Saint-Denis qui souhaitait soumettre au vote de ses habitants la possibilité de choisir si les étrangers pouvaient, ou non, avoir le droit de vote aux élections locales, a été déclaré illégal par le tribunal administratif

Dans le cas de Sivens cette condition est remplie dans la mesure où le Conseil général est le maître d'oeuvre. On aurait alors à faire à un vote des électeurs du département. 

Mais le corps électoral pertinent s'étend-il à l'ensemble du département? Le projet ne concerne-t-il pas avant tout les habitants de la commune de Lisle sur Tarn, ou seulement les habitants et agriculteurs mitoyens de la rivière du Tescou, sur laquelle la retenue doit être construite?

Autre difficulté: la manière dont la question est posée: le tribunal administratif peut là encore intervenir et annuler le résultat du vote s’il juge la question trop orientée ou mal posée.

Pour le porte-parole du collectif de Testet, un référendum, qui juridiquement ne peut être qu’une question à laquelle la réponse est Oui ou Non, n’aurait pas de sens. Il estime que si un tel vote avait eu lieu, les habitants auraient dû choisir entre le projet de barrage et des scénarios alternatifs, plutôt que d’avoir le choix entre tout ou rien.

 

 

Remerciements à Philippe Bluteau, avocat au Conseil d’État et à Delphine Espagno, maître de conférences en droit public à Sciences Po Toulouse, pour leurs explications.

 

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