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Revivez en ligne l'histoire du premier fusillé français de la Grande Guerre

Grâce à la numérisation des dossiers des 953 soldats passés par les armes durant le conflit, il est désormais facile de reconstituer leur itinéraire. Par exemple, celui du commandant Wolff, qui fut à la fois le premier soldat et le plus haut gradé fusillé, le 1er septembre 1914.

Détail de la fiche de décès du commandant Wolff, fusillé le 1er septembre 1914.
Détail de la fiche de décès du commandant Wolff, fusillé le 1er septembre 1914.

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Dans la mémoire collective, les fusillés de la Première Guerre mondiale restent symbolisés par les mutins de 1917. Mais les exécutions «pour l'exemple» n'ont pas attendu la quatrième année du conflit et n'ont pas concerné que des soldats du rang. Le premier soldat français fusillé par les siens, le 1er septembre 1914, était d'ailleurs un officier, le commandant Frédéric Wolff, qui restera pour l'Histoire le plus haut gradé passé par les armes et, écrit le général et historien André Bach, la preuve que la justice militaire de l'époque n'était pas «totalement une justice de classe».

La toute récente mise en ligne par le ministère de la Défense des dossiers des 953 fusillés français du conflit (pour l'exemple et pour faits de droit commun ou espionnage), qui n'étaient jusqu'ici disponibles qu'au Service historique de la Défense à Vincennes, permet aujourd'hui, en quelques clics, de retracer son parcours.

Lorsqu'éclate la guerre, le commandant Wolff a 45 ans et commande un bataillon du 36e régiment d'infanterie coloniale. Né à Colmar dans une Alsace alors encore française, passé par le Prytanée de La Flèche et Saint-Cyr, il est fils d'officier et époux d'une Jauréguiberry, lignée d'un célèbre officier de marine. Il a notamment fait campagne au Sénégal, en Cochinchine et au Tonkin et a fait l'objet, selon un article récent de l'historien Patrick-Charles Renaud dans la Nouvelle Revue Lorraine, de jugements de ses supérieurs «variables voire contradictoires».

Le 25 août 1914, son régiment est chargé d'attaquer une position allemande à Einvaux, en Meurthe-et-Moselle, dans le cadre de ce qu'on va appeler la deuxième offensive de Lorraine. Sous le «feu violent et remarquablement précis» de l'armée allemande (selon le compte-rendu officiel du régiment lui-même) et face à des pertes importantes, l'officier aurait, avec une attitude «froide et calme» d'après plusieurs de ses hommes, brandi sa baïonnette surmontée d'un mouchoir blanc dans la tranchée, avant de lancer à ses hommes:

«Nous n’avons que deux choses à faire, battre en retraite ou nous rendre à l’ennemi. Si nous battons en retraite, nous nous ferons tous tuer. Il vaut mieux nous rendre.»

Extrait du compte-rendu de la journée du 25 août 1914 dans le journal de marche et opérations du 36e régiment d'infanterie coloniale.

À un lieutenant qui lui lançait «Quand on est Français, on ne fait pas ces choses-là», il aurait répliqué «Dans ces conditions, sauve qui peut», affirmant plus tard à son supérieur, le général de brigade Durupt: «C’était le seul moyen de sauver mes hommes.» Ce dernier, le mettant aux arrêts pour qu'il soit jugé, déclarera par la suite: «Si cela s’était passé devant moi, je lui aurais brûlé la cervelle.»

«Un geste malheureux, insuffisamment compris»

Pour se défendre, le commandant Wolff adoptera deux stratégies. Reconnaissant avoir arboré un mouchoir blanc, il affirmera que le but était de piéger les Allemands en les incitant à sortir à découvert, afin de «se battre contre des hommes plutôt que contre des murs». Il niera aussi avoir lancé ce «Sauve qui peut», que plusieurs témoins affirmèrent ne pas avoir entendu.

Extrait de la déposition du commandant Wolff lors de l'instruction de son affaire

Sa veuve, qui déposera en 1933 un recours un révision de son procès avant de le retirer après l'instruction, parlera elle «d’un geste malheureux, insuffisamment compris, que les circonstances du moment ne permettaient peut-être pas d’étudier à fond».

Extrait d'une lettre envoyée par la veuve du commandant Wolff à la commission de révision.

Sans apporter beaucoup d'éléments factuels nouveaux au dossier de première instance, la lecture du dossier de révision est d'ailleurs instructive: elle prouve, non seulement à quel point ces investigations étaient difficiles à mener en raison de témoins éparpillés un peu partout en France et dans le monde (qu'on se souvienne de l'enquête patiente de la jeune Mathilde dans le roman de Japrisot Un long dimanche de fiançailles), mais aussi comment des jugements très durs prononcés à chaud par la justice militaire auraient probablement été adoucis avec le temps.

«Mon sentiment est que le commandant Wolff, qui était très impressionné dès le début de la guerre par la puissance de l’armée allemande, a dû se trouver dans un moment de dépression et vouloir sauver ses hommes de la destruction», témoigne ainsi le commandant d'un autre bataillon devant les enquêteurs, faisant état de «discussions amicales» avec le fusillé. «Nous avions tous été un peu démoralisés par les gros obus allemands qui tombaient», explique un autre soldat, tandis qu'un autre reconnaît alors que la situation était «critique».

«Faire des exemples»

«Le commandant Wolff venait de conduire son bataillon à l'assaut. Il avait vu tomber ses hommes par centaines. Une soixantaine de rescapés s'étaient regroupés près de lui», écrira, en 1955, l'ex-adjudant-chef Auguste Bourgeon. Dans son article pour la Nouvelle Revue Lorraine, Patrick-Charles Renaud rappelle que «le contexte est propice pour faire des exemples», alors que la première offensive de Lorraine a été un terrible échec, pour lequel on cherche des coupables. «C'est un bouc émissaire car des officiers qui ont fait demi-tour, il y en a eu des dizaines et des dizaines», expliquait-il dans une récente interview au Républicain lorrain.


Les réponses apportées par les juges aux trois questions posées lors du procès.

Le 1er septembre 1914 au matin, le commandant Wolff comparaît devant ses cinq juges militaires. À l'unanimité, ceux-ci le reconnaissent coupable «de tentative de capitulation en rase campagne, tentative qui devait avoir pour résultat de faire poser les armes à ses troupes, et d’avoir provoqué à la fuite en présence de l’ennemi». Toujours à l'unanimité, ils le condamnent à la peine de mort avec dégradation militaire et demandent que soient prélevés sur son patrimoine les frais de justice, d'un montant de douze francs quarante (l'équivalent d'environ 40 euros d'aujourd'hui).


Extrait du rapport d'exécution du commandant Wolff.

Le général commandant la IIe armée pourrait le gracier mais préconise «de laisser libre cours à la justice». A 18h30, le jour même, le commandant Wolff est fusillé. Le rapport d'exécution précise que celle-ci «a nécessité le tir dans le crâne d’une dernière balle, la mort n’étant pas complète après le feu de peloton».

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