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L'espace, c'est dangereux et les programmes spatiaux doivent avoir la culture du risque

Deux engins ont explosé fin octobre, une fusée Antares et le SpaceShipTwo de Virgin Galatic. Mais ce qui devrait nous étonner, c'est le phénomène auquel nous sommes désormais habitués: une fusée qui n'explose pas et qui, stable et droite comme un i, quitte l'atmosphère.

Explosion d'Antares, le 28 octobre 2014. REUTERS/NASA TV/Handout via Reuters
Explosion d'Antares, le 28 octobre 2014. REUTERS/NASA TV/Handout via Reuters

Temps de lecture: 13 minutes

Deux engins spatiaux se sont écrasés à quelques jours d'intervalle. Le premier, une fusée, transportait une capsule de ravitaillement pour l'ISS. L'autre accident est survenu lors d'un vol d'essai d'une navette spatiale dédiée au tourisme suborbital. Il faudra du temps avant de connaître les causes de ces deux accidents, mais rien n'indique qu'ils aient quoi que ce soit en commun, si ce n'est un hasard du calendrier.  

Dans les deux cas, il s'agit «d'accidents normaux», pour reprendre la célèbre formule du sociologue Charles Perrow: des catastrophes qui ne s'expliquent pas tant par des causes proximales –une manette mal enclenchée, une valve défaillante, par exemple– que par la complexité technologique inhérente à de tels systèmes. Comme l'écrit Perrow, «le risque ne sera jamais éliminé des systèmes à haut-risque». De fait, selon Perrow, chercher à isoler l'élément spécifique qui n'a pas fonctionné peut se révéler contre-productif:

«Vu qu'[une redondance] s'ajoute souvent après la découverte des problèmes, cela crée trop fréquemment des interactions inattendues entre des parties éloignées du système que les concepteurs auraient pu difficilement prévoir.»

Le 31 octobre, le SpaceShipTwo de Virgin Galactic s'est écrasé, tuant l'un de ses deux pilotes. Selon le Conseil national de la sécurité des transports (NTSB), une agence gouvernementale américaine indépendante chargée de l'enquête officielle sur cet accident, neuf secondes après l'allumage des moteurs du SpaceShipTwo, les ailerons de sa queue se sont mis à pivoter de manière prématurée. Un dispositif qui permet un vol en «feuille morte».

Dans cette vidéo tournée lors d'un autre vol d'essai, vous pouvez voir à quoi ressemble normalement cette transition à environ 2'30:

Selon le NTSB, la conception de l'appareil fait que deux commandes doivent être activées pour que l'engin passe en mode «feuille morte». Des données télémétriques indiquent que seule l'une des deux commandes avait été activée au moment de l'accident.

Au cours des prochaines semaines et des prochains mois, un énorme travail sera nécessaire pour comprendre, précisément, pourquoi le SpaceShipTwo est parti en feuille morte à un moment inopiné. Mais ce que Perrow souligne dans son livre reste valable: l'élément qui a visiblement causé l'accident est, justement, celui dont les concepteurs de l'appareil étaient les plus fiers.

Une fierté d'ailleurs manifeste sur le site de Virgin Galactic, dans une rubrique consacrée à la sécurité et retirée peu après l'accident:

«Le dispositif de sécurité le plus radical à être implémenté sur SpaceShipOne, et maintenant SpaceShipTwo, tient sans doute à sa façon unique de revenir dans la densité de l'atmosphère, après son passage dans le vide spatial. Ce moment d'un vol spatial a toujours été considéré comme l'un des plus techniquement difficiles et l'un des plus dangereux. C'est donc avec une détermination sans faille que Burt Rutan s'est attelé à trouver une solution de sécurité intégrée en phase avec la philosophie de Scaled Composites –la sécurité dans la simplicité. Il a puisé son inspiration dans le volant de badminton qui, comme le SpaceShipTwo, intègre une conception aérodynamique et s'adapte aux lois de la physique pour contrôler son altitude et sa vitesse (…) La configuration en feuille morte est aussi hautement fiable, tant elle permet au pilote une maniabilité accrue au moment du retour dans l'atmosphère, quelque chose qui n'était pas possible dans les engins spatiaux antérieurs, sans en passer par des commandes de vol électriques contrôlées par ordinateur.»

A première vue, le «dispositif de sécurité le plus radical» du SpaceShipTwo est la raison même de son crash. Mais, pour autant, la leçon à retenir ici n'est pas que la feuille morte est un mauvais dispositif; ce processus est sans doute aussi brillant que le prétend la plaquette promotionnelle de Virgin. Non, ce qu'il y a a retenir, c'est qu'il n'existe aucune «solution de sécurité intégrée», ni aucune navette spatiale «simple».

L'accident qui a précédé celui de Virgin Galactic concerne d'ailleurs un engin bien plus rudimentaire. Le 28 octobre, une fusée Antares conçue par Orbital Sciences a été délibérément détruite à la suite d'une panne survenue quelques secondes après son décollage de Wallops Island, la base de lancement de la Nasa située en Virginie.

L'an dernier, je me suis rendu sur le site pour assister au lancement d'un Minotaur, une fusée plus petite aussi développée par Orbital. (Le Minotaur et Antares sont toutes les deux partiellement conçues sur le modèle des anciens missiles balistiques américains Peacekeeper; le premier étage d'Antares est de conception russe.)

Mais ne vous méprenez pas: rien n'est simple dans un vol spatial. Sauf à assister personnellement au lancement d'une fusée, il est facile d'ignorer ce qu'il y a de fondamentalement improbable dans le fonctionnement même de ce genre d'engins.

A quelques kilomètres de distance –le plus près possible pour la plupart des observateurs– c'est une explosion géante qui apparaît à l'horizon, suivie d'un petit cylindre s’élevant dans le ciel, au sommet d'une lumière aveuglante. Quelques secondes plus tard, le son arrive à vos oreilles. Un grondement sourd et brutal qui vous heurte de plein fouet. Même dans le cas d'une fusée relativement petite, à l'instar du Minotaur, le bruit est omniprésent –comme si la Terre réagissait d'une manière primitive. Ce qui prouve qu'une extraordinaire quantité d'énergie est libérée en très peu de temps (l'énergie d'un lanceur spatial équivaut à peu près au dixième de la bombe atomique d'Hiroshima).

Dès lors, peut-être que les accidents d'engins spatiaux, comme les deux que nous venons de connaître, ne devraient pas nous surprendre. Au contraire, ce qu'il y a de véritablement étonnant, c'est le phénomène auquel nous sommes désormais habitués: une fusée qui n'explose pas et qui, stable et droite comme un i, quitte l'atmosphère.

Comme Randall Munroe l'explique si intelligemment dans XKCD, il est bien plus difficile d'atteindre l'orbite de la Terre que d'arriver dans l'espace (il n'y a pas de frontière spécifique entre l'atmosphère terrestre et l'espace –par convention, le début de l'espace commence à 100 km au-dessus du niveau de la mer). Mais, pour autant, lancer un appareil suffisamment gros pour transporter des personnes, leur permettre une incursion suborbitale et les ramener en toute sécurité sur le plancher des vaches n'a rien de facile non plus, d'où toutes les innovations sur lesquelles travaille Virgin Galactic pour y arriver. Et si la solution du vol en «feuille morte» du SpaceShipTwo est susceptible d'être si utile, c'est justement parce que revenir dans l'atmosphère est un défi technique aussi complexe que le lancement d'une fusée.

Et c'est aussi pourquoi Virgin Galactic –et ses associés comme The Spaceship Company et Scaled Composites– verront leur culture examinée à la loupe.

Montage de photos du SpaceShipTwo de Virgin Galactic qui a explosé le 31 octobre 2014. REUTER/Kenneth Brown

Dans un communiqué publié le 2 novembre, Virgin Galactic réitérait sa volonté de «poursuivre le projet d'un espace accessible et démocratisé –et de le faire en toute sécurité». Mais l'entreprise aurait tout intérêt à admettre une autre vérité dont elle a forcément conscience. Cette vérité, c'est que le projet d'un «espace accessible et démocratisé» demande, dans un premier et long temps, d'accepter un niveau de risque très élevé. «Un système complexe a des risques accrus d'échec», reconnaissait Virgin sur son site promotionnel. Ce qui est parfaitement exact; l'erreur de Virgin est de prétendre que son système –d'une complexité extrême, comme se doit de l'être une navette spatiale– est simple.   

Richard Branson et son entreprise sont les plus célèbres acteurs de ce qui, espère-t-il, deviendra un marché florissant pour le tourisme spatial. Aux yeux du grand public, Virgin Galactic est, avec SpaceX, l'exemple le plus visible d'une nouvelle génération de firmes spatiales, financées au départ par de richissimes individus, et dont l'objectif est de concurrencer la vieille garde de l’aérospatiale, Boeing et Lockheed Martin notamment.

Orbital, qui a construit la fusée Antares, est l'un des tous premiers précurseurs de ce mouvement, et il y a sans doute quelques leçons à tirer de ses 32 ans d'histoire. Orbital a été fondée en 1982 par trois diplômés de la Harvard Business School qui, comme l'écrivait le New York Times en 1983, étaient frustrés par «l'absence d'entrepreneurs réellement disposés à prendre des risques pour “faire bouger les choses”».

Son Pegasus, lancé pour la première fois en 1990, fut le premier système commercial capable de mettre des satellites en orbite à partir d'un avion gros porteur. Ce fut aussi le tout premier vaisseau spatial à être financé par des fonds privés. Aujourd'hui, Orbital s'est associé avec Scaled Composites pour concevoir une fusée spatiale bien plus conséquente que le Pegasus ou SpaceShipTwo et capable de mettre en orbite de gros chargements. Mais si ce dernier projet d'Orbital est révolutionnaire, Antares, sa fusée qui vient d'exploser, se situe à l'autre bout du spectre du développement aérospatial commercial par rapport au SpaceShipTwo. 

Antares est un bric-à-brac de vieux matériel. Son premier étage, là où est très probablement survenu le problème à l'origine de l’accident, est composé de versions modifiées de moteurs-fusées soviétiques, les NK-33.

Les NK-33 ont été conçus pour la tristement célèbre N-1, une fusée qui aurait dû être la première soviétique à aller sur la Lune, si elle n'avait pas eu la mauvaise idée d'exploser à chacune de ses tentatives de lancement. La seconde explosion d'une N-1, le 3 juillet 1969, quelques semaines avant l'alunissage réussi d'Apollo 11, fut l'une des explosions non-nucléaires les plus dévastatrices de l'histoire: «Sans exagérer, j'ai assisté à la fin du monde. Et ce n'était pas un cauchemar, j'étais parfaitement éveillé et juste à côté», allait déclarer un officier russe quelques années plus tard.

Le problème du succès

Dans certaines régions du monde high-tech américain, l'échec est vénéré comme un fétiche. Les célèbres mots de Samuel Beckett, «Essayer encore. Rater encore. Rater mieux», sont devenus une sorte de slogan, dénué de sa signification d'origine. Mais si l'échec est accepté et révéré dans le secteur du numérique, où l'on peut se targuer de ne pas être devenu le futur Google ou le futur Facebook, le véritable échec, celui qui se termine par de la mort et des destructions –comme une explosion de fusée– est difficile à avaler. Selon le Wall Street Journal, la FAA, l'agence de régulation et de contrôle de l'aviation civile américaine, réfléchirait d'ores et déjà à une régulation plus stricte de Virgin Galactic et de ses concurrents.

Mais une telle sévérité réglementaire va probablement faire plus de mal que de bien. Branson a proposé de rembourser ses futurs touristes spatiaux qui avaient réservé un billet avec sa compagnie. Mais les putatifs clients de Virgin Galactic seraient bien malavisés d'accepter son offre, qu'importe que la rhétorique commerciale de l'entreprise ait exagéré sa sécurité et sa simplicité. Si vous n'avez pas conscience des risques réels d'un vol spatial, quel intérêt avez-vous à donner un acompte de plus de 200.000 euros à Virgin?

A l'aube de l'ère spatiale, l'échec était communément toléré s'il causait la destruction de fusées, sans tuer personne. Dans les années 1950 et 1960, les fusées explosaient tout le temps, mais il s'agissait en général de vaisseaux sans aucun humain à bord. Trois astronautes d'une mission Apollo sont morts en janvier 1967 à cause de l'incendie de leur cabine et, quelques mois plus tard, un cosmonaute Soyouz est décédé à cause d'un parachute défaillant.

A l'inverse, dans les premiers jours de l'aviation, la mort était partout. Le 17 septembre 1908, le co-pilote d'Orville Wright, Thomas Selfridge, devenait la première personne à se tuer dans un accident d'avion. Comme Tom Crouch l'écrit dans Wings, une histoire de l'aviation, 34 aviateurs allaient mourir entre 1908 et 1910.

La question à se poser, c'est de savoir si l'échec survient parce que l'on poursuit une vision crédible et désirable du progrès, ou pour d'autres raisons.

 

Avec la popularisation de l'aviation, le bilan n'a cessé de s'alourdir: 84 pilotes tués en 1911 et 143 en 1912. En tant que tel, l'échec n'a rien de méritoire, et les premiers jours de l'aviation n'avaient non plus rien d'un âge d'or de l'innovation. Comme le fait remarquer Crouch, les frères Wright se sont lancés dans des luttes de brevets qui allaient desservir le tout jeune secteur aéronautique américain. Accepter l'inéluctabilité d'accidents mortels est une condition nécessaire du progrès.

Et, bien évidemment, les ingénieurs d'aujourd'hui ont à leur disposition tout un tas d'outils diagnostiques qui n'existaient pas voici un siècle. Nous devrions avoir moins de morts. Mais nous devrions aussi faire montre de davantage de force de caractère en cas de catastrophe.

La question à se poser, c'est de savoir si l'échec survient parce que l'on poursuit une vision crédible et désirable du progrès, ou pour d'autres raisons. Ainsi, il est bien plus difficile de défendre Orbital et ses fusées relativement meilleur marché (et visant à augmenter ses profits) conçues à partir de vieux équipements russes, que Virgin, qui tente de créer un vaisseau spatial fondamentalement nouveau.

Le problème étant que, ces dernières années, les échecs du programme spatial américain ont été de la pire espèce. La tragédie de Challenger, la navette spatiale qui s'est écrasée en 1986, ce n'est pas que son booster droit ait explosé, mais qu'il ait explosé pour des raisons que ses ingénieurs avaient prévues. L'échec n'est pas survenu parce qu'on cherchait à acquérir de nouvelles connaissances, mais parce qu'on n'a pas écouté les ingénieurs qui connaissaient les limites du système qu'ils avaient conçu.

Ce qui s'applique aussi en 2003 avec la catastrophe de la navette Columbia, désintégrée durant sa phase de rentrée atmosphérique. Selon les conclusions du bureau d'enquête officiel, l'échec est dû à «des barrières organisationnelles s'opposant à une véritable communication des informations critiques pour la sécurité et des blocages engendrés par des différences d'opinions professionnelles».

Comme l'écrivait en 2005 James Oberg, journaliste spécialisé en aérospatiale et ancien ingénieur de la Nasa, que ce soit dans les explosions des navettes spatiales ou dans l'incendie d'Apollo, «aucune de ces personnes ne devait mourir; leur mort n'a rien appris d'autre à la Nasa que ce qu'elle devait déjà savoir».

Dans le cas d'Antares ou du SpaceShipTwo, on n'en sait encore trop peu sur les causes des accidents pour dire si ces échecs sont de ceux qu'il faut accepter au profit du progrès, ou s'ils ne font que révéler des entraves de type bureaucratique. Comme l'explique un excellent article publié dans le numéro d'octobre de Popular Mechanics, les moteurs-fusées du SpaceShipTwo n'ont eu de cesse de multiplier les défaillances ces dernières années. Mais, pour l'instant, ces moteurs ne semblent pas être impliqués dans l'accident.

Qu'on laisse les téméraires prendre des risques

J'aurais tendance à être indulgent avec Virgin Galactic. Ce ne sont pas leurs ingénieurs qui ont rédigé leurs plaquettes promotionnelles. Que la FAA surveille de près le marché du tourisme spatial risque d'entraver un secteur dont la capacité d'innovation a été plus que manifeste ces dernières années.

La FAA doit surveiller de près les compagnies aériennes. Et c'est bien normal –les vols commerciaux sont devenus une nécessité de la vie quotidienne. Mais personne n'a besoin de prendre un vol suborbital pour rendre visite à sa famille ou assister à une réunion; c'est une activité qui relève du volontariat le plus total. Le gouvernement devrait laisser les téméraires prendre des risques.

Ce serait une erreur de soumettre Virgin Galactic aux mêmes réglementations qu'une compagnie aérienne. Pour le secteur naissant du tourisme spatial, le parachutisme pourrait servir de meilleur modèle réglementaire, tant l'activité est soumise à des restrictions basiques dont le but est d'assurer la sécurité des personnes au sol. Les gens qui adorent sauter d'avions en plein vol sont auto-régulés par l'United States Parachute Association, qui est reconnue par la FAA et qui travaille en collaboration avec elle. Ce qui permet à une réglementation raisonnable d'être conçue par des participants informés et conscients des risques qu'ils prennent tout à fait volontairement.

Le temps d'une supervision réglementaire stricte viendra uniquement si et quand Virgin Galactic concrétisera son projet d'un espace «accessible et démocratisé» et fera du voyage spatial quelque chose d'aussi commun que l'était le voyage aérien en 1926, date à laquelle le Congrès ratifia le Air Commerce Act, la loi qui donna naissance à l'ancêtre de la FAA.

Mais ce qui veut dire, aussi, que Virgin devrait jouer carte sur table sur la question des risques. Au moment d'écrire cet article, le site institutionnel avait été mis hors ligne et renvoyait à un communiqué laconique orientant les journalistes désireux d'obtenir davantage d'informations vers un cabinet de relations publiques. Les tentatives maladroites pour garder hors de la vue du public certains numéros d’auto-congratulation bien embarrassants, comme celui sur la sécurité des navettes, se sont révélées aussi inefficaces qu'inutiles. 

Beaucoup de choses ont changé depuis la fin des années 1960 et la conception des NK-33 par les Russes, mais les lois physiques qui permettent à un engin d'atteindre l'orbite terrestre sont toujours les mêmes. Une énergie équivalente à une petite explosion nucléaire est toujours indispensable pour qu'un vaisseau acquière une vitesse orbitale; et une telle opération n'atteindra pas le risque 0 de sitôt. Même pour une navette suborbitale comme le SpaceShipTwo, une seule et toute petite défaillance peut se révéler catastrophique.

Un jour, peut-être, la technologie sera tellement au point que les voyages spatiaux seront quelque chose de banal, comme le sont aujourd'hui les voyages aériens dans des avions très, très complexes. Mais ce jour, s'il peut arriver, est aussi très, très lointain.

Avec l'amélioration de la collecte de données à l'intérieur des vaisseaux, le dépannage et l'analyse des défaillances sont aujourd'hui bien plus détaillés que par le passé, et les vols spatiaux bien mieux contrôlés.

Le sensationnel vol d'essai effectué par SpaceX à l'été 2013, et qui aura vu une fusée décoller du Texas, se retourner puis atterrir à l'endroit même de son lancement, est la preuve d'un tel progrès (cette fusée s'est ensuite auto-détruite lors d'un autre vol d'essai survenu la même année; la preuve des difficultés inhérentes à un tel progrès). Pour les concepteurs des NK-33, il aurait été impossible d'envisager une technologie aussi révolutionnaire. La propulsion spatiale sur laquelle travaillent Virgin Galactic et Stratolaunch, un projet financé par Paul Allen de Microsoft (et dans lequel le partenaire de Virgin Galactic, Burt Rutan, joue aussi un rôle central), promet des innovations radicales dans un secteur où le gradualisme a été la règle pendant des décennies.

Les premiers clients du tourisme spatial seront des individus conscients du risque mortel qu'ils encourent. Nécessairement

 

Le gouvernement et, par extension, les acteurs sous contrat gouvernemental, n'ont pas voulu prendre de gros risques en termes de conception aérospatiale pour de nombreuses raisons institutionnelles, au premier rang desquelles des contraintes budgétaires qui, si elles permettent encore à la Nasa de payer ses factures d'électricité, l'ont éloigné de la marche du progrès depuis de longues années. Les choses ont commencé à changer avec l'afflux d'argent venant d'investisseurs férus d'espace –les Branson, Paul Allen, Elon Musk, Jeff Bezos, et autres. Mais, à un moment donné, ces investisseurs auront besoin de clients pour donner corps à leurs ambitions.

Ces premiers clients se compteront parmi des individus conscients du risque mortel qu'ils encourent et capables de l'accepter. Un tel penchant n'a rien de particulièrement rationnel; les touristes spatiaux prudents attendront que d'autres passent avant eux et prennent ces risques. Le progrès dépend du touriste imprudent et la meilleure façon d'honorer la mémoire de Michael Alsbury, le pilote du SpaceShipTwo qui s'est tué le 31 octobre, est de s'arrêter assez longtemps pour tirer les leçons technologiques de cet accident, mais pas plus longtemps.

Se servir de moteurs soviétiques vieux de plusieurs décennies pour mettre une fusée en orbite en 2014 est une idée éminemment raisonnable. Mais un marché du tourisme spatial régulé au minimum, et un sens judicieux du risque, demeurent notre meilleur espoir pour voir advenir, le plus tôt possible, des innovations qui rendront cette idée parfaitement ridicule.

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