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La religion la plus persécutée au monde? Le christianisme

Près de 200 millions de chrétiens seraient victimes d’intimidations, de discriminations, de violences.

En Inde. REUTERS/Sucheta Das
En Inde. REUTERS/Sucheta Das

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Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde

Ouvrage collectif sous la direction de Jean-Michel di Falco, Timothy Radcliffe et Andrea Ricardi, coordonné par Samuel Lieven.

Editions XO (Bernard Fixot)

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Depuis lontemps circulaient des rapports alarmants, ceux du département d’Etat américain qui, chaque année, recensent les atteintes à la liberté de croyance, ceux des défenseurs des droits de l’homme comme Amnesty International, du Vatican et du Conseil oecumémique des Eglises (à majorité protestantes): tous concluaient à la dégradation de de la situation des chrétiens (catholiques, protestants, orthodoxes) dans le monde, en raison notamment de la montée des radicalismes religieux –islamiste au Proche-Orient ou en Afrique, hindouiste en Inde– et de la permanence des régimes d’athéisme militant en Corée du Nord, en Chine, au Vietnam, à Cuba.

Souvent exploitée pour des raisons identitaires et communautaires, la révélation de «discriminations antichrétiennes» a mis longtemps à émouvoir la communauté internationale. On lui opposait, fort légitimement, que les chrétiens n’ont pas le monopole de la souffrance religieuse. Que d’autres communautés, comme les bouddhistes tibétains ou les musulmans modérés dans bien des régimes arabes, sont aussi quotidiennement persécutées. Et que le christianisme –des croisades à l’Inquisition, des conversions forcées dans les Amériques aux pogroms anti-juifs d’Europe de l’Est– a été la religion la plus persécutrice de l’histoire.

Mais aujourd’hui, sans abuser du terme de «christianophobie», l’évidence des intimidations et des violences antichrétiennes commence à s’imposer, y compris dans les esprits les plus étroitement laïques.

Cet été, le monde a suivi avec effroi le sort tragique des chrétiens irakiens, ceux de Mossoul et de la plaine de Ninive où leur présence est pourtant bien antérieure à celle de l’islam, mais qui sont traqués dans leur propre pays, expulsés de leur maison par les islamistes fanatiques de Daech, pour le seul fait qu’ils sont chrétiens. De même, en Afrique subsaharienne, au Nigeria, au Soudan, mais aussi au Congo et dans bien d’autres pays du continent noir, on ne compte plus les églises attaquées et brûlées, les prêtres et les religieux rackettés, enlevés, disparus, voire assassinés.

Un livre accusatoire de 800 pages (Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde) écrit par plus de soixante-dix contributeurs français et étrangers, historiens, experts, journalistes, religieux, représentants d’ONG, est paru en France aux éditions XO le 23 octobre. Il est déjà en voie de traduction dans de nombreux pays et appelé à un grand retentissement. Ce document sans précédent, bourré de chiffres, de témoignages et d’analyses, est accablant.

Selon le recensement établi par ses auteurs, de 150 à 200 millions de chrétiens sont actuellement discriminés dans environ 140 pays et la religion chrétienne serait la plus persécutée au monde.

La fin des chrétiens d'Orient

En voici quelques échantillons. Avant la guerre du Golfe de 1991, l’Irak comptait un million et demi de chrétiens. Depuis l’intervention américano-britannique de 2003 et le chaos qui a suivi la chute de Sadam Hussein, puis la montée d'al-Qaida et de Daech, ils ne sont plus que 200.000 environ dans ce berceau oriental du christianisme. Mais tout autour de l’Irak, depuis des décennies, les chrétiens syriens, coptes (Egypte), iraniens, palestiniens sont aussi déstabilisés, opprimés, isolés par les conflits, les révolutions, les guerres civiles, la montée des extrémismes. Ils n’ont plus leur place sur des échiquiers politiques instables et sont voués à l’exil.

Plus loin en Afrique, c’est la secte islamiste Boko Aram, tragique avatar des talibans, qui veut vider le Nord-Nigéria de toute sa population chrétienne. Des villages entiers sont massacrés et ses exactions auraient fait plus de 3.000 morts en cinq ans. Un autre grand pays, le Soudan, n’en finit pas de purger une guerre civile qui a duré trente-cinq ans et provoqué au moins deux millions de morts musulmans et chrétiens. Depuis la sécession du Sud chrétien et animiste (devenu en 2011 le Soudan du Sud), des centaines de milliers de chrétiens, qui avaient trouvé refuge au Nord pendant la guerre, ont été expulsés. Les églises et les séminaires ont fermé, les congrégations religieuses ont fui, annonçant la fin de toute présence chrétienne dans ce pays.

Le «livre noir» rapporte aussi des témoignages concrets et poignants.

Au printemps 2014, une jeune Soudanaise, Meriam Ishag, a été condamnée à mort pour apostasie de l’islam. Née d’un père musulman qui l’avait abandonnée à sa petite enfance et élevée dans la religion chrétienne par sa mère éthiopienne, elle avait épousé un chrétien, mais elle fut aussitôt dénoncée car, selon la loi islamique, elle aurait dû garder la religion de son père.

Au Pakistan, une autre jeune villageoise, Asia Bibi, a elle aussi ému le monde. Accusée d’insultes contre le Prophète, elle a été condamnée à mort par lapidation dans un pays où une loi anti-blasphème justifie tous les règlements de comptes et l’élimination d’une population chrétienne pourtant ultraminoritaire. La mobilisation internationale a permis, jusqu’ici, à ces deux jeunes femmes d’échapper à leur sentence.  

En Inde, c’est l’extrémisme hindouiste qui représente la principale menace. La minorité chrétienne de ce pays ne représente que 2,5% de la population, mais elle est accusée par les militants radicaux du BJP (Bharatiya Janata Party) de «convertir» les hindous dans les hôpitaux, les écoles, les universités où elle est très présente et active.

De véritables pogroms ont eu lieu dans l’Etat de l’Orissa en 2008, faisant 500 morts, des milliers de blessés et des centaines d’églises et d’écoles détruites. Depuis, les actions antichrétiennes –profanation de cimetières, imposition de rituels hindous dans les écoles– se poursuivent dans un pays où le parti hindouiste BJP vient de remporter les élections générales.

Les «églises du silence» en Chine

Ce n’est pas l’intolérance religieuse, mais l’athéisme d’Etat qui explique la persécution des chrétiens en Corée du Nord où des protestants évangéliques, venus du Sud, sont régulièrement arrêtés et emprisonnés, et surtout en Chine où le contrôle du pouvoir politique sur les Eglises protestantes et catholiques est d’autant plus puissant que le christianisme s’impose, dans la compétition idéologique, comme le principal facteur de séduction auprès des jeunes, des universitaire et des intellectuels. La répression physique, le viol des consciences demeurent le lot commun de communautés chrétiennes privées de toute activité sociale et éducative.

Les protestants chinois seraient 30 millions environ, regroupés dans des «églises domestiques» étroitement surveillées par la police du régime, redoutées comme des ferments de contestation sociale et régulièrement fermées. Quant aux catholiques (de 12 à 24 millions), leur Eglise reste coupée en deux: une Eglise «officielle», dépendante de l’Association patriotique des catholiques de Chine, et l’Eglise «clandestine», d’une obéissance absolue au pape, dans laquelle on compte encore des évêques et des prêtres détenus dans des camps de travail ou assignés à résidence. Depuis des années, la nomination des évêques catholiques chinois fait l'objet d'une lutte impitoyable entre le gouvernement de Pékin et le Vatican qui entend désigner librement ses hommes.

Dans un autre pays comme le Vietnam, le gouvernement tente aussi de faire plier des communautés catholiques et protestantes qui sont à l’avant-garde des luttes contre l’arbitraire policier et la corruption. La répression y est féroce. La paroisse de Thaï Ha, tenue par des religieux rédemptoristes dans la banlieue d’Hanoï, est le théâtre d’incessantes violences depuis 2008.

«Purification religieuse»

La liste est ainsi longue des discriminations recensées par ce «livre noir». «Je suis convaincu que la persécution contre les chrétiens est aujourd’hui plus forte qu’aux premiers siècles de l’Eglise», déclarait, en juin, le pape François. Spécialiste américain des religions, chroniqueur au Boston Globe, John Allen n’hésite pas à parler, dans cette enquête, de «purification religieuse » et de «guerre mondiale» contre les chrétiens.

Ceux-ci subissent le plus grand nombre de violences d’abord pour des raisons démographiques: ils sont les plus nombreux (2,2 milliards) contre 1, 4 milliard de musulmans.

Les convertis à l’islam sont attirés par le rejet
de «la culture mondialisée», «des forces aveugles du capitalisme que sont le consumérisme ravageur et une impression d’immoralité»

 

Mais où qu’ils vivent, ils sont assimilés à l’Occident et victimes, notamment dans les pays arabes, des souvenirs de la colonisation, des frustrations d’un islam autrefois souverain et conquérant, de la douloureuse mémoire des croisades, de l’échec des politiques de développement, des guerres internes et de la montée des extrémismes, synonymes de marginalisation et d’exode.  

Le «choc des civilisations» entre l'islam radical et le monde occidental ne couvre pas tout le champ de la persécution. L'expansion du christianisme en Asie ou en Afrique est perçue comme un menace. En Chine, la croissance explosive des Eglises évangéliques est jugée subversive dans un pays économiquement dynamique, mais politiquement rigidifié. Dans l’Afrique subsaharienne où chrétiens et musulmans sont presque à égalité, l’essor du christianisme inquiète également un islam socialement dominant. Même en Arabie saoudite, l’afflux de travailleurs chrétiens des Philippines, de Corée du Sud et du Liban provoque des tensions avec l’islam ultraconservateur du royaume. En Inde, la montée en puissance des chrétiens passe pour une atteinte à l’identité hindoue dans les mouvements nationalistes politiquement influents.

Dans la conclusion de cet ouvrage, le religieux britannique Timothy Radciffe, ancien maître général de l’ordre des dominicains, met en cause la «mondialisation» qui a le mérite, rappelle-t-il, de réduire la pauvreté de zones entières, mais constitue aussi «une violation de l’intégrité culturelle» de nombreux pays, identifiée à une oppression venue de l’Occident américain et européen, majoritairement chrétien. Les convertis à l’islam sont attirés écrit-il, par le rejet de «la culture mondialisée», de sa «vacuité», «des forces aveugles du capitalisme que sont le consumérisme ravageur et une impression d’immoralité».

Sans alimenter la mauvaise conscience de l’Occident, le «livre noir» pose la question d’un sursaut possible. Il rappelle l’excellente formule de l’intellectuel Régis Debray, expliquant l’inertie de la communauté internationale par le fait que la persécution antichrétienne se trouve dans un «angle mort»: les victimes seraient «trop chrétiennes» pour intéresser les consciences de gauche et «trop étrangères» pour intéresser les consciences de droite.

Au nom même de la défense des droits de l’homme, la simple honnêteté intellectuelle voudrait aujourd’hui que le regard du monde politique et intellectuel change.

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