France

Gérard Filoche, faux chef de file de la fronde contre Valls

Après son tweet sur la mort de Christophe de Margerie, vivement critiqué, celui qui a l'habitude d'être minoritaire a usé d'une tactique rodée: se rapprocher d'autres minoritaires pour donner l'impression qu'il n'est pas isolé.

Gérard Filoche, le 1er septembre 2014 à La Rochelle. REUTERS/Stephane Mahe
Gérard Filoche, le 1er septembre 2014 à La Rochelle. REUTERS/Stephane Mahe

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Un tweet peut-il en cacher un autre? Un texte de 140 signes sur Twitter peut-il, en réalité, receler un message idéologique qui ne saute pas aux yeux de prime abord? Cette question, on peut légitimement se la poser depuis que Gérard Filoche a enterré Christophe de Margerie, sans aménité et de manière brutale, sur ce réseau social de microblogging.

C'était le 21 octobre. Dans la nuit, le train d'atterrissage du Falcon transportant le PDG de Total et trois autres personnes heurte une déneigeuse alors que cet avion privé s'arrache de la piste de l'aéroport Vnukovo de Moscou, à 248 km/h. Déséquilibré, l'appareil se retourne et il prend feu sur le tarmac. Tous les occupants périssent dans l'accident. L'information, donnée par l'agence de presse russe Itar-Tass, est relayée par l'agence britannique Reuters à 1h40 du matin. L'AFP la communique à ses abonnés six minutes après. A cette heure-là, l'état-major de Total ne peut être joint. Peu après 3 heures, un communiqué de la compagnie pétrolière confirme «avec une grande émotion et une profonde tristesse» la mort du PDG, et celle de l'équipage, dans l'accident survenu le 20 octobre, à 22 heures (heure de Paris, soit minuit à Moscou).

Ce 21 octobre au petit matin, Gérard Filoche revient de Clermont-Ferrand. La veille au soir, il a animé une réunion de militants socialistes, comme il le fait souvent, après avoir fait une séance de dédicaces de son dernier livre Comment résister à la démolition du Code du travail, préfacé par Thierry Le Paon, secrétaire général de la CGT. Inspecteur du travail à la retraite, Gérard Filoche est adhérent de la CGT depuis plus de 50 ans. En montant dans le train de 5h58 pour Paris, il apprend via son mobile la disparition tragique du PDG de la multinationale. Les réactions n'ont pas encore commencé à affluer et à l'heure des matines, ce membre du bureau national du PS qui représente l'aile gauche du parti où il ferraille depuis 20 ans fait part de la sienne sur Twitter.

Plus longtemps à l’extrême gauche qu’au PS

Né en 1945, Gérard Filoche a toujours été aux marges des partis dont il a été militant. Membre de l'UEC (Union des étudiants communistes) au début des années 1960, il est exclu du PCF en 1966. Cofondateur de la JCR (Jeunesse communiste révolutionnaire) qui donne naissance, après Mai-68, à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR, trotskiste), il siège pendant 25 ans au bureau politique de cette dernière organisation. Il y animera un courant minoritaire dans lequel ses partisans sont communément appelés les «filochards». Finalement, il rejoint l'aile gauche du PS en 1994: il y défend depuis cette date une vision exclusivement sociale de la politique et milite, contre vents et marées, pour une union «rouge-rose-verte» de la gauche. Il s'affirme social-démocrate mais cet ancrage mystérieux ne convainc guère la majorité du PS. On voit plutôt en lui «un révolutionnaire impénitent». Pour ne pas dire «hors du temps».

Ce parcours –il a milité plus longtemps à l'extrême gauche qu'au Parti socialiste– donne un éclairage particulier à son tweet du 21 octobre sur le décès de Christophe de Margerie. L'avalanche de critiques qu'il a entraînée portait essentiellement sur l'absence de respect et de dignité du texte face à la mort d'un homme, quand bien même s'agissait-il d'un adversaire politique. Il suffit de lire les dizaines de commentaires –parfois aussi violents– qui suivent l'«objet du délit» pour s'en convaincre sans difficulté.

Gérard Filoche peut difficilement prétendre que son tweet accusateur répondait à une vague de louanges unilatérales en faveur du patron disparu... puisque justement il n'y avait aucune vague à l'heure où il l'a rédigé. Certains de ses défenseurs, probablement mal informés, inversent l'ordre des facteurs. Lui-même, du reste, ne le prétend pas car, sur son blog, il explique que sa démarche était préventive. En quelque sorte, il a pris les devants mais il n'a pas organisé de contre-offensive.

«Je réfléchis donc [avant d'écrire le tweet], précise-t-il lui-même, et je m’attends à ce qui va se passer dans la journée, je devine les hommages, les louanges, l’encensement du “grand patron”, etc. La propagande pour faire croire que ces gens-là nous sauvent alors que ces puissants-là nous coulent, siphonnent nos salaires, bloquent nos emplois, polluent, détruisent l’environnement, tournent le dos aux choix citoyens…»

Le chef d'entreprise est un délinquant en puissance...

L'important pour Gérard Filoche, à cet instant, n'est pas de manifester, ne serait-ce que par un seul mot, une once de compassion face au destin brisé d'un homme, mais de s'attaquer, en priorité, à «la propagande» qui, selon lui, va encenser un «grand patron», «ces gens-là», «ces puissants» qui «tournent le dos aux choix citoyens». L'avantage de cette explication est qu'elle illustre brillamment le mode de pensée de son auteur. On le retrouve du reste dans bon nombre des ses tweets –il a une très grande activité sur ce réseau– et dans les posts «sociaux» de son blog.

Jamais un mot positif sur l'entreprise en général, jamais un coup de chapeau à la réussite de telle ou telle boîte –à ses dirigeants et à ses salariés–, jamais un hommage à une aventure collective entrepreneuriale. Non, l'entreprise privée est avant tout un lieu d'asservissement où le premier objectif est l'exploitation de l'homme et le chef d'entreprise est un délinquant en puissance... quand il n'est pas en action, ce qui correspond quand même plus à la vision filochienne. On peut alors aisément imaginer la souffrance qu'avait dû éprouver l'ancien fonctionnaire de l'administration du travail quand il avait entendu Manuel Valls déclarer «j'aime l'entreprise» lors de l'université d'été du Medef, en août.

Il serait évidemment absurde de soutenir que le monde de l'entreprise est la représentation du paradis sur Terre et que tous les dirigeants qui le peuplent sont des saints à qui on donnerait le bon Dieu sans confession. Mais il est tout aussi absurde de laisser entendre que de la multinationale à la dernière très petite entreprise (TPE), le goulag est la règle, et que tous les patrons sont des «voyous» ou des «ripoux». Et c'est malheureusement ce que tend à faire croire l'ensemble de sa production littéraire –tweets compris–, car Gérard Filoche omet en permanence d'avoir le jugement relatif et la main légère sur le clavier avant de faire tomber une sentence sans appel.

Des tweets sanguins qui plaisent à son public

A cette aune, on comprend que son passage dans certaines entreprises en sa qualité d'inspecteur du travail ait laissé quelques souvenirs pas toujours rafraîchissants pour les intéressés. Et on saisit mieux le sens profond de sa «nécrologie décalée» de Christophe de Margerie. En la circonstance, ce n'était pas la mort d'un homme qui lui importait de commenter en premier lieu mais celle d'un patron, donc d'un délinquant désincarné qui, en l'occurrence, devait s'effacer devant l'entreprise accablée de toutes les tares, Total.

Il n'est pas douteux que Gérard Filoche rejettera, en tout ou partie, cette approche et l'analyse qui l'accompagne, en se réfugiant derrière un autre tweet qu'il avait fait en réponse à une réaction indignée d'un chef d'entreprise. Sauf que ce second message donne plutôt l'impression qu'il se raccroche aux branches après la violence du premier.

Il n'en demeure pas moins que ces tweets sanguins plaisent au public conquis d'avance de ce responsable socialiste. Il suffit de lire les nombreux messages de soutien qu'il a reçus sur le réseau social après cette saillie. Et qu'il s'est empressé de faire connaître à ses abonnés. En évitant, bien sûr, de diffuser ceux qui lui étaient défavorables, quelques fois dans des termes aussi violents que les siens. Parfois, plus encore! Impossible de savoir si ses partisans sont majoritairement socialistes ou si, plus probablement, ils sont issus de l'extrême gauche dont lui-même est un produit.

En revanche, il est clair qu'aucun dirigeant du PS, fut-il même de l'aile gauche du PS, ne lui a apporté publiquement un quelconque soutien dans la controverse qu'il a ouverte. Et quand Manuel Valls a rendu hommage à Christophe de Margerie lors des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le 21 octobre, en fustigeant Gérard Filoche qui, selon lui, «ne mérite pas» de faire partie du PS, il a été applaudi sur tous les bancs de l'hémicycle. Par tous les députés socialistes. Et dans la foulée, Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, a jugé que les propos incriminés étaient «inqualifiables et intolérables», avant de décider la convocation de l'intéressé devant la Haute autorité du parti. C'est dire le peu d'appuis internes dont il bénéficie dans cette histoire.

Mélenchon prêt à lui donner l'«asile politique»

Gérard Filoche, certainement, n'en a cure. Habitué à être minoritaire depuis plusieurs décennies, il a pour technique de se raccrocher à d'autres minoritaires pour donner l'impression qu'il n'est pas isolé. Il a utilisé cette méthode dans le cas d'espèce en joignant son sort de proscrit en devenir à celui des «frondeurs» bien sûr mais surtout à celui de Benoît Hamon, ancien ministre devenu la cible de l'exécutif après avoir déclaré que la politique du gouvernement «menace la République». Au final, ce procédé, un tantinet égocentrique, lui permet d'apparaître comme le chef de file de la fronde contre Manuel Valls, alors même qu'il ne dispose d'aucun mandat politique électif, en dehors de son siège au bureau national.

Peu soutenu à propos de ce tweet au PS, il peut compter sur la grandeur d'âme de Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier lui a fait savoir que le Parti de gauche est prêt à lui accorder l'«asile politique» s'il est évincé du Parti socialiste. Par le biais de Twitter. Le dernier must où la gauche de la gauche fait de la politique.

 

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