Politique / France

Cambadélis, l'homme qui doit sauver la vieille maison socialiste

Le premier secrétaire du PS ne veut pas être le liquidateur du parti.

Jean-Christophe Cambadélis à l'université d'été du PS à La Rochelle, août 2014. REUTERS/Stephane Mahe
Jean-Christophe Cambadélis à l'université d'été du PS à La Rochelle, août 2014. REUTERS/Stephane Mahe

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Le premier secrétaire d’un Parti socialiste au pouvoir remplit d’ordinaire un rôle secondaire. Ce n’est alors qu’une fonction d’accompagnement. Le numéro un de la formation gouvernementale a pour mission de mettre en musique le soutien à l’exécutif et de faire avaler aux militants ses choix les plus surprenants au regard de l’orthodoxie idéologique.

C’est ainsi que se sont comportés Lionel Jospin sous François Mitterrand, François Hollande sous Lionel Jospin, puis Harlem Désir sous François Hollande. Avec plus ou moins de talent. Le premier savait, dans le secret des conciliabules internes au pouvoir, défendre le point de vue du parti. Conformément à son caractère placide, le second s’est montré plus coulant. Quant au troisième, il ne fut guère qu’un ectoplasme suiviste qui a dû être rapidement exfiltré.

Jean-Christophe Cambadélis ne s’inscrit pas dans cette épure. Cet ancien soutien de Martine Aubry n’est pas devenu premier secrétaire du PS par un souverain adoubement présidentiel, mais par la grâce de circonstances difficiles. Au lendemain de la déroute municipale des socialistes de mars dernier, le député de Paris a enfin décroché la direction du parti qu’il convoitait de longue date.

C’est sans doute the right man at the right place. Avec ses qualités et ses défauts, «Camba» occupe une place centrale dans le dispositif politique actuel. Secouée par une pratique du pouvoir contradictoire avec ses engagements électoraux et par des tensions internes croissantes, la vieille maison socialiste est en danger. Elle est à la fois menacée d’éclatement et de disparition. C’est dire si son premier dirigeant a un rôle crucial à jouer.

Face au projet liquidateur

Déjà l’ombre de ce qu’il était dans les décennies antérieures, le parti d’Epinay (1971) est en passe d’être achevé. Avec le culot qui le caractérise –et qui l’a jusqu’à présent si bien servi–, Manuel Valls ose formuler ouvertement son projet liquidateur. Il serait temps que le PS abandonne son étiquette «socialiste» pour se contenter d’être «pragmatique», a-t-il expliqué à L'Obs.

Le socialisme devrait se dissoudre dans un vague «réformisme» qui traduit concrètement par des attaques incessantes contre les acquis sociaux. Le parti à la rose devrait encore se fondre dans une «maison commune» de «progressistes» au rangs desquels le Premier ministre semble compter François Bayrou.

Tout cela rappelle furieusement le sort subi par la gauche italienne. On le sait, le PCI, le plus influent des partis communistes occidentaux, s’est progressivement abîmé dans un «Parti démocrate» désormais sous la coupe de l’ancien démocrate-chrétien Matteo Renzi. Cette dérive droitière inspire visiblement Valls, convaincu qu’il faut jeter aux orties les derniers oripeaux du socialisme.

Rien ne dit cependant que François Hollande ne caresse pas une perspective du même ordre. S’il se garde des provocations verbales de son fougueux chef de gouvernement, le président de la République se préoccupe d’une problématique réélection qui peut, de son point de vue, passer par d’amples reclassements politiques. Au nom de la double menace lepéniste et sarkozyste, Hollande est lui aussi susceptible de vouloir se débarrasser du fardeau socialiste.

Gardien du temple

Fin politique, sincèrement attaché à la «vieille maison» que Léon Blum avait voulu garder en 1920, Cambadélis a bien saisi le danger. Il n’a pas tardé à réagir à la dernière saillie de Valls en proclamant, sous l’autorité de Mitterrand, son attachement au «beau nom» de «socialiste».

Gardien d’un temple fissuré, le nouveau premier secrétaire est aux prises avec de périlleuses dynamiques centrifuges. L’aile droite du parti sent son heure arriver avec la promotion d’un des siens à l’hôtel Matignon et affiche une belle arrogance. L’aile gauche, pour sa part, se sent portée par l’indignation militante que provoque l’orientation gouvernementale.

Le vaste corps central du PS est lui-même en proie aux doutes et aux divisions. Martine Aubry est sortie du bois avec un texte de contestation structuré de la politique suivie qui dessine les voies d’une alternative. Bien malin est celui qui peut dire aujourd’hui où se situe la «majorité» d’un parti qui n’a pas tenu congrès depuis octobre 2012 et qui ne sait visiblement pas quand il renouera avec cette épreuve de vérité.

Equilibrisme et godille

Cambadélis se trouve au milieu de tout cela. L’homme a ses défauts. Son parcours n’a pas évité les fautes ni même les condamnations judiciaires. Mais il faut lui reconnaître d’être un vrai politique, au sens où il est à la fois capable d’intervenir dans le débat d’idées et d’exceller dans les coups de billard politiciens.

Il aura besoin de toutes ces qualités pour surmonter les contradictions dans lesquelles se débat son parti. Jusqu’à présent, «Camba» n’a pas trop mal godillé entre les uns et les autres. Il a su remettre à sa place les clins d’œil droitiers de François Rebsamen tout comme les surenchères gauchisantes de Benoît Hamon. Le premier secrétaire a salué Aubry, qui l’avait elle-même épargné dans sa sévère interview au Journal du Dimanche, créditée d’avoir su poser «le débat au bon niveau».

La liberté de manœuvre de Cambadélis tient à sa position personnelle. Cet homme âgé de 63 ans ne peut nourrir les ambitions qui étaient celles de Jospin ou de Hollande à la même place que la sienne. Il rêve d’autant moins d’être ministre, ou plus, que cet analyste froid des rapports de force sait que la gauche risque d’être prochainement écartée du pouvoir, et de rester un certain temps dans l'opposition.

Par la force des choses, la trace qu’il laissera dans l’histoire est indexée sur le devenir du socialisme français. Or «Camba» n’a pas envie d’en être le syndic de faillite. La disparition ou l’éclatement du PS sonneraient comme un cruel échec pour lui.

Faiblesses et ambiguïtés

Pour autant, l’habileté de Cambadélis s’accompagne de réelles faiblesses. Le premier secrétaire a lancé ses camarades dans un vaste débat sur l’«identité» du PS appelée à se «reformuler». L’exercice n’est pas sans intérêt alors que les mutations du monde rendent indispensable une réinvention profonde du message socialiste.

Mais on peut à bon droit suspecter ce débat de viser à noyer la discussion autour de l’identité réelle des socialistes au pouvoir, c’est-à-dire de la politique qu’ils mènent effectivement.

Conciliateur expérimenté, Cambadélis tente de convaincre les différentes sensibilités du parti que leurs divergences ne sont pas aussi profondes qu’ils ne le prétendent. Rien n’assure pourtant que l’heure des arrangements de commission et des synthèses polysémiques ne soit pas aujourd’hui passée.

La démarche du premier secrétaire recèle enfin une bonne dose d’ambiguïté. Et si cet ancien lambertiste (l’une des branches du trotskisme) pratiquerait une sorte de double jeu? Sa manière de calmer les appréhensions de ceux qui restent fidèles à l’ambition socialiste ne vise-t-elle pas, au final, à empêcher que le parti ne bascule du côté de ceux qui veulent réorienter la politique menée?

Cette méfiance se comprend si l’on veut bien se rappeler que Cambadélis et Valls sont de vieilles connaissances. Ils ont été complices dés l’époque de leur jeunesse militante avec les sombres histoires de la Mnef en toile de fond. Jean-Marie Le Guen, grande gueule de l’aile droite du PS, a beaucoup oeuvré pour que son vieux camarade prenne le contrôle de la rue de Solférino. Toute la question est de savoir si l’histoire ne contraindra pas Cambadélis à se hisser au-dessus de ses amitiés.

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