Économie

L'autre transition énergétique, ou comment EDF, Areva, Total, GDF Suez doivent se redéfinir

Au moment où Ségolène Royal fait adopter sa loi par le Parlement, les quatre acteurs français les plus importants du secteur changent de têtes, dans une filière à reconstruire.

«La Chaise», de Sabine Geraudie, à Nice le 17 octobre 2014. REUTERS/Eric Gaillard
«La Chaise», de Sabine Geraudie, à Nice le 17 octobre 2014. REUTERS/Eric Gaillard

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C’est au moment du vote de la loi sur la transition énergétique que la question des successions à la tête des principaux acteurs français de l’énergie est posée. La situation est inédite; elle était également imprévisible. Elle prédispose à rebattre les cartes dans le secteur de l’énergie en France.

EDF, un rôle et des objectifs à redéfinir

Seul le remplacement d’Henri Proglio, arrivant en fin de mandat à la tête d’EDF, pouvait être anticipé. Il aurait pu être reconduit, disposant de solides appuis dans le secteur et de réseaux de relations très denses dans les cercles politiques, à gauche comme à droite.

Toutefois, il avait été nommé par Nicolas Sarkozy dont il s’était montré proche, ce qui hypothéquait sa reconduction. En outre, âgé de 65 ans, il n’aurait pu finir ce second mandat en raison de la limite d’âge fixée à 68 ans. Malgré tout, il avait des soutiens jusqu’au sein de Matignon.

Mais sa rigidité l’a desservi au moment où la filière électro-nucléaire française doit être réorganisée. L’Elysée n’a pas voulu prendre le risque de laisser un patron «bunkeriser» cette filière et perdre toute forme de  contrôle au moment où, précisément, une transition énergétique doit être amorcée, et menée sous l’égide du politique, avec Ségolène Royal en femme-orchestre.

Les engagements de François Hollande pour réduire la place du nucléaire de 75% à 50% dans le bouquet énergétique français à horizon 2025 impliquent une nouvelle approche des objectifs d’EDF. Et, pour les définir, de nouveaux décideurs.

Jean-Bernard Lévy, qui prend la tête d’EDF, n’est pas un homme du sérail de l’énergie. Sa nomination à EDF n’est pas politique: avant d’assumer des postes de direction chez Matra et Vivendi, il est passé par le cabinet ministériel des Postes et Télécommunications au côté de… Gérard Longuet. Aux antipodes de la gauche.

Mais Jean-Bernard Lévy, pragmatique, est un gestionnaire de caractère qui, même s’il n’a passé que deux ans à la tête de Thales, a «pacifié» l’entreprise en perte de repères. C’est à lui qu’il incombera de trouver les moyens d’atteindre de nouveaux équilibres.

Pour Areva, retrouver l’esprit d’équipe

Le président d’EDF va donc devoir inventer une nouvelle articulation avec le futur patron d’Areva, le successeur de Luc Oursel démissionnaire pour raison de santé. Des interrogations planaient sur la gouvernance du groupe depuis que Pierre Blayau, président du conseil de surveillance, militait pour un changement de structure avec un conseil d’administration. Une façon de mieux encadrer l’exécutif du groupe, qui n’aurait plus été assuré par un directoire mais une direction générale. Le départ contraint de Luc Oursel ouvre une nouvelle ère après les difficultés d’Areva depuis le départ d’Anne Lauvergeon en 2010.

Après les déboires de la France à Abou Dhabi où le champion français du nucléaire associé à Total et à GDF Suez avait été écarté, et malgré l’appui de dernière minute d’EDF entré dans la boucle après l’intervention de Nicolas Sarkozy, il était devenu évident que la compétition engagée entre Areva et EDF pour diriger la filière électro-nucléaire française portait préjudice à tous les acteurs français de cette filière. A commencer par les deux groupes de tête.

L’ancien chef de l’Etat ayant confié le leadership à EDF, la querelle entre Proglio et Lauvergeon tourna à l’avantage du premier. Luc Oursel, promu à la tête d’Areva, dut ensuite composer.

C’est maintenant, après plusieurs années de tiraillements et de chausses trappes, que la filière va devoir être relancée, avec une vision sur la place du nucléaire en France et des choix stratégiques dans l’énergie. Les changements de gouvernance au sein d’Areva devraient être officialisés à l’assemblée générale prévue le 9 décembre.

D’ici là, Philippe Knoche, bras droit de Luc Oursel, assurera l’intérim «avec les mêmes pouvoirs que ceux du président du directoire», a décidé le conseil de surveillance. Directeur général délégué du groupe, il n’aura pas de mal à se glisser dans la fonction.

Mais pas question de laisser se reconstituer des citadelles avec des patrons jaloux de leurs prérogatives et qui se tirent mutuellement des balles dans le pied. La dynamique de la filière électrique française passe par l’esprit d’équipe.

Total et la quête de diversification

C’est dans ce contexte qu’intervient la succession chez Total, après la disparition brutale de Christophe de Margerie. Equation difficile, dans la mesure où l’entregent de ce patron atypique  dans les pays du Golfe et en Afrique faisait de lui un émissaire de la filière énergétique française bien au-delà du groupe pétrolier.

C’est d’ailleurs son introduction dans les réseaux au Moyen-Orient qui avait amené Anne Lauvergeon à répondre avec lui à l’appel d’offres lancé par Abou Dhabi pour quatre centrales nucléaires.

Certes, le ticket fut infructueux, mais il montre bien l’engagement du patron disparu, qui n’excluait pas une diversification dans le nucléaire. Car il imaginait bien mettre l’expérience acquise dans l’exploration/production pétrolière au service de la même activité dans l’uranium. Voire à développer une expertise vers l’aval, pour se transformer en groupe énergétique diversifié et pas seulement pétrolier.

Thierry Desmarest, président d’honneur de Total qui revient provisoirement aux commandes avec Patrick Pouyanné, auparavant en charge du raffinage, a lui-même siégé au conseil d’Areva. D’une énergie à l’autre, il n'y pas de barrière.

Le coup d’arrêt donné à la progression du nucléaire dans le monde avec la catastrophe de Fukushima a pour l’instant remisé les projets de Total, mais les projets de diversification ne sont pas enterrés. Et notamment pas vers les énergies renouvelables, après la diversification de Total dans la chaîne du solaire photovoltaïque, qui le place en bonne position vis-à-vis de la transition énergétique engagée par Ségolène Royal.

Le nouveau tandem à la tête du groupe devra vite lever le voile sur ses ambitions dans ce domaine. Et si Thierry Desmarest a repris du service pour rassurer à la fois les salariés, les actionnaires et les partenaires de Total, c’est bien à Patrick Pouyanné que va revenir la tâche de mettre en place les relais de croissance qui permettront au groupe pétrolier de progresser dans ce nouveau contexte. 

GDF Suez, incontournable dans la transition énergétique

D’autant qu’un autre groupe est également dans les starting-blocks: GDF Suez. Là encore, une succession se prépare.

Gérard Mestrallet, patron du groupe depuis la fusion de GDF avec Suez en 2008 après avoir pris les rênes de la Compagnie de Suez en 1995, a mis sur orbite Isabelle Kocher, évinçant au passage Jean-François Cirelli, ex-patron de GDF avant la fusion et depuis vice-président du groupe.

Or, depuis sa fusion avec le britannique International Power, GDF Suez possède une couverture à l’international plus importante qu’EDF. Et compte tenu de son importance dans l’industrie gazière, il est forcément bien introduit auprès des pays producteurs, notamment au Moyen-Orient mais aussi en Russie.

En outre, le groupe possède de multiples cordes à son arc, puisqu’il exploite également des centrales nucléaires via Electrabel en Belgique, produit de l’hydroélectricité notamment en France via la CNR (Compagnie nationale du Rhône) et la SHEM (Société hydroélectrique du midi), se développe dans l’éolien… tout cela en plus du gaz qui constitue son cœur de métier.

Autrement dit, dans l’optique d’une transition énergétique, GDF Suez dont l’Etat détient toujours le tiers du capital est un autre acteur incontournable. Et après les multiples voies ouvertes par Gérard Mestrallet, il appartiendra à Isabelle Kocher qui reprendra le flambeau à partir de mai 2016 de situer son groupe dans cette filière. D’ores et déjà, pendant la période de transition, elle devra gérer ces dossiers.

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