Boire & manger

La vraie recette de la tarte Tatin

Elle serait née de la géniale bévue de deux sœurs solognotes… Mais en réalité, peut-être pas. Cette fondante tarte, entourée de légendes, est en tous cas fabriquée avec quelques éléments très simples: des pommes, du sucre, du beurre, de la pâte brisée. Et rien d’autre.

<a href="https://www.flickr.com/photos/10286198@N04/5192242169/in/photolist-8UPAGH-KPdfT-y5xxV-7sem6Q-KPdg6-5Htaq7-5HoT5k-8DSWUs-7e3CHP-KPdfZ-6n9CiV-5QzZB5-ddqELj-5Htbr5-5ww2zH-5ww1yt-5wAkxE-zsrdT-dUfybv-5aqZJ5-5anEqr-6RG1q3-5m5P9B-e1KVxa-NgVt2-7qRU16-5ar8WS-o9hVv-5ar7iG-c1Bj9m-NdPoe-o9i4V-aYtVda-8BMzcG-buS4HH-5aqVab-aH9EMX-5aqX1q-9pGrcz-5aqVM3-aH9EM4-7ihL9D-5ar69j-fd8JSH-5FP6MW-aH9EKZ-qrCRZ8-5amFJ4-KPhJT-5amHQc">Apple Tarte Tatin</a>/ Maurizio via Flickr CC<a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">Licence By</a>
Apple Tarte Tatin/ Maurizio via Flickr CCLicence By

Temps de lecture: 6 minutes

Stéphanie et Caroline, deux soeurs d'une famille d'aubergistes, tenaient à la fin du XIXe siècle un hôtel-restaurant à Lamotte-Beuvron, en Sologne. Les bourgeois parisiens venus chasser dans les parages se retrouvaient là-bas pour ripailler. Caroline, la cadette, recevait la clientèle, et Stéphanie, l’aînée, officiait en cuisine. Elles sont restées célèbres grâce à une fameuse tarte aux pommes qui porte leur patronyme, cuite à l’envers, la pâte par dessus, retournée après la cuisson: la tarte Tatin. 

Anecdotes solognotes

Plusieurs histoires circulent à propos de la naissance de la Tatin. Stéphanie, un peu étourdie –ou occupée par une discussion avec un client–, aurait un jour oublié de s’occuper du dessert. En plein coup de feu, elle aurait ainsi mis des pommes à cuire avec du sucre et du beurre, à toute vitesse, oubliant l’étape de la pâte. Elle l’aurait donc ajoutée après la cuisson des pommes, à la va-vite, créant ainsi une tarte renversée sauvant un déjeuner. N’ayant pas le temps d’attendre pour satisfaire les estomacs des clients, elle servit cette tarte renversée, encore chaude. Et là, le miracle se produisit. 

Enfin, ce n'est pas tout à fait sûr: autre version, une des sœurs aurait laissé tombé une tarte aux pommes, dans le mauvais sens, avant de la renfourner à l’envers pour la rattraper discètement, créant ainsi un mythique dessert. 

Un dessert traditionnel?

Des explications beaucoup moins romanesques circulent. La Tatin n’est potentiellement pas une magnifique réussite née d’un hasard. Gérard Bardon, dans La Tarte Tatin, naissance et vie d’un grand dessert (Editions CPE), écrit ainsi:

«L’histoire est belle certes, mais vous connaissez le proverbe régional qui dit que le Solognot ne se trompe qu’à son profit. Aussi est-il permis de se demander si cette brave demoiselle Tatin n’avait anticipé l’avantage qu’il y ait à commettre cette prétendue erreur. Sans vouloir critiquer les produits du terroir, les pommes solognotes de l’époque étaient, disait-on, fort acides et plutôt agressives en bouche.»

Et donc, les sœurs Tatin ont peut-être prémédité leur geste. Un trait de génie quand même:

«On peut à partir de là concevoir que Stéphanie ou –et– Caroline, fin palais et très bonne cuisinière, n’ait inventé ce renversement de situation pour justement mêler le sucre caramélisé dans le beurre de cuisson à cette trop grande acidité et créer ce goût singulier qui fait aujourd’hui votre délice.»

Selon une autre explication historique, cette tarte renversée aux pommes ne serait qu’une ancienne spécialité de l’Orléanais, simplement popularisée par les sœurs Tatin.

La postérité

Quoi qu’il en soit, les soeurs Tatin n'ont jamais couché sur le papier la recette de leur fameuse tarte. Henri Delétang, dans son ouvrage La Tarte Tatin, Histoires et légendes, publié aux Editions Alan Sutton, explique que «dans l’environnement immédiat, localement à Lamotte-Beuvron et plus largement en Sologne, l’entourage amical des Demoiselles a participé à la divulgation de la recette».

Un document permet notamment d’approcher la source, une recette conservée précieusement par une Lamottoise, Anne Brisson-Beignet, manuscrite dans le cahier de sa grand-mère, Marie Souchon, qui a connu les sœurs Tatin. Le problème, c’est qu’aucune info ne permet de dater ce carnet et donc de l'identifier comme une source fiable. Comme le précise encore Henri Delétang:

«La recette manuscrite de Marie Souchon est accompagnée d’une information essentielle pour notre sujet: “Cette recette a été inventée par la cuisinière du comte de Chateauvillars qui a passé la recette à Fanny Tatin”. La cuisinière est aujourd’hui anonyme. Les investigations se poursuivent pour l’identifier.»

Ce qui ajoute encore des zones d’ombre à l’histoire...

Le poète Paul Besnard en écrivit une version. Mais c’est sûrement la publication en 1926 de La France gastronomique de Curnonsky, un critique gastronomique, qui fit connaître la Tatin à Paris puis en France au-delà des terres solognotes.

Aujourd’hui, la Confrérie des Lichonneux de Tarte Tatin de Lamotte-Beuvron (il existe de nombreuses confréries gastronomiques en France, comme «Les Chevaliers du Livarot» ou «L’Académie universelle de la tête de veau») défend la «vraie» recette, fruit d’une transmission pas franchement directe, plutôt sans doute par du bouche-à-oreille. Comme le précise Delétang, «Lichonneux» est un terme formé à partir de «licher (lécher), dans le parler solognot, dont sont dérivés: licherie et lichonnerie (gourmandise) et les adjectifs liche, lichon, lichoux (gourmand)».

Ce qui est sûr et certain, c’est que la vraie Tarte Tatin a quelques immuables constantes: les pommes, le beurre, le sucre, la pâte. Et c’est tout.

Le choix des fruits

Il ne s’agit pas de choisir à la volée n’importe quelle pomme faisant bonne figure. La variété souvent recommandée est la Reine des Reinettes, car son goût acidulé contraste avec la douceur du caramel. Selon Jean-Paul Cousin Martin, actuel Grand Maître de la Confrérie des Lichonneux de Tarte Tatin, «à l’origine, c’était des pommes Calville, mais les Golden sont assez facile à travailler. Nous, on utilise la Royal Gala, qui se tient très bien». Car il ne faut pas non plus que les fruits se transforment en compote pendant la cuisson.

Les pommes seront épluchées et coupées en quartiers, et pas autrement.

Caramel

Les sœurs Tatin utilisaient sans doute un moule en cuivre étamé, bien conducteur. Mais en 2014, un moule rond de 24 cm de diamètre, à bords hauts, fera très bien l’affaire.

On pourrait être tenté de préparer le caramel avant, pour être sûr de le réussir tranquillement sans le cramer, en le surveillant attentivement, ou pire, de le verser à la fin sur la tarte.

Mais non, la vraie recette des Lichonneux est formelle: la caramélisation se fait en même temps que la cuisson des fruits, et pas autrement. C’est en effet cette technique qui permet d’obtenir des pommes extra-fondantes, et caramélisées jusqu’au cœur…

Les sœurs Tatin utilisaient un «four de campagne», c’est-à-dire, comme l’écrit Gérard Bardon, «une sorte de poêle à larges bords que l’on posait sur la cuisinière et qui possédait un couvercle creux, que l’on préchauffait, pouvant recevoir de la braise. Idéal pour une cuisson dessus, dessous».



Mais vous pouvez bien sûr aujourd’hui utiliser un four électrique sans recevoir les foudres des puristes.

Selon le Grand Maître, la cuisson se passe en trois grandes étapes:

«D’abord, il faut juste faire fondre le sucre et le beurre dans le moule, quelques minutes pour humidifier le tout. Ensuite on installe les pommes en quartiers, d’abord une première couche sur le dos, recouvertes d’une autre couche dans l’autre sens, le dos sur le dessus. Il faut que ce soit harmonieux! Ensuite, on fait cuire au four pendant 30 à 35 minutes. Ne prenez pas rendez-vous, il faut surveiller! Les pommes vont rejeter de l’eau.»

Ensuite, seconde étape de cuisson:

«Sortez le plat du four et mettez le à cuire sur le gaz ou une plaque chauffante. Ça va bouillir et le caramel va s’épaissir. Laissez cuire pendant 35 minutes et ôtez du feu.»

Brisée

Enfin, on recouvre le tout d’une pâte brisée, et on enfourne de nouveau pour 35 minutes. Là, on ne voit plus ce qui se passe du côté des pommes et on croise les doigts pour que tout roule… 

La technique pour démouler et servir la Tatin est relativement élaborée. Selon Jean-Paul Cousin Martin, «l’idéal est de préparer la tarte Tatin la veille. Le jour de la dégustation, faites-la légèrement réchauffer au four. Passez la main sur la pâte et tournez pour voir si la tarte est bien décollée du moule. Si c’est bon, posez un plat par dessus et retournez d’un coup sec. Coupez-la quand elle est froide, et repassez les parts une dizaine de minutes au four».

Hérésies tatinesques

La Confrérie des Lichonneux de Tarte Tatin refuse catégoriquement tout ajout de crème fraîche ou de glace vanille dans l’assiette. Et rejette formellement les hérétiques déclinaisons, du genre Tatin de poires, de pêches, de prune, ou même Tatin d’endives ou de courgettes!

On a aussi tendance à saupoudrer allégrement les pommes et le caramel de cannelle, par une sorte de réflexe de Pavlov selon lequel POMMES + CANNELLE = MIAM. Mais en réalité, non, ce n'est vraiment pas nécessaire: les pommes fondantes et délicatement caramélisées se suffisent à elles-mêmes. 

La vraie recette

Voilà donc, en résumé, la vraie recette de la Tarte Tatin.

Ingrédients 
Pour la pâte brisée 
200 g de farine
100 g de beurre
Pour les pommes caramélisées 
1,6 kg de pommes adéquates
120 g de sucre
80 g de beurre

Recette
Préparez la pâte brisée. Mélangez la farine et le beurre mou du bout des doigts. Ajoutez un peu d’eau et continuez à malaxer pour obtenir une belle boule de pâte. Réservez au frais.

Préchauffez le four à 200°C. Occupez-vous ensuite des pommes caramélisées. Mettez le beurre et le sucre dans un moule rond de 24 cm de diamètre. Mettez-le sur le feu quelques minutes, juste le temps que le beurre fonde et se mélange au sucre. Pelez les pommes et coupez-les en quartiers. Déposez une première couche, sur le dos. Installez une seconde couche, dos vers le ciel. Faites cuire au four pendant 30 à 35 minutes. Les pommes vont rendre de l’eau.

Sortez le moule et mettez-le ensuite sur le feu pendant 30 à 35 minutes, d’abord à feu assez fort (une ébullition aura lieu), puis à feu moyen pour que le caramel se forme bien tranquillement, sans cramer.

Etalez la pâte brisée sur un plan de travail fariné, et installez-la confortablement sur les pommes.

Et remettez le tout au four à 200°C pour la dernière phase de cuisson, pendant 30 à 35 minutes.

Démoulez à la sortie du four si vous voulez la boulotter directement, ou suivez les méthodes de la Confrérie si vous voulez strictement demeurer dans les règles de l’art.

cover
-
/
cover

Liste de lecture