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Il est plus que temps que l'Allemagne et la France se réconcilient

Les dissensions entre Paris et Berlin sont à l'origine de toutes les inquiétudes sur l'économie européenne. Fusion fiscale, pacte du type «je réforme en France, tu relances en Allemagne»: tout doit être exploré pour le bien commun.

Angela Merkel et François Hollande, le 16 octobre 2014 à Milan pour le dialogue Asie-Europe (Asem). REUTERS/Alessandro Garofalo
Angela Merkel et François Hollande, le 16 octobre 2014 à Milan pour le dialogue Asie-Europe (Asem). REUTERS/Alessandro Garofalo

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Le moment est venu de ressouder l'axe franco-allemand avec un nouvel acier pour le XXIe siècle. Cinquante ans après la signature du traité de l'Elysée, vingt-deux ans après Maastricht, cinq ans après le début d'une crise dont l'Europe ne sort pas, il est temps que le couple se parle les yeux dans les yeux. Le monde entier le demande, les dissensions entre Paris et Berlin sont à l'origine de toutes les inquiétudes sur l'économie européenne et, par contrecoup, mondiale. Il n'est pas une capitale qui se réjouisse de l'aigreur de la relation entre Angela Merkel et François Hollande, pas même, pour une fois, Londres! L'axe qui construisait l'Europe la détruit.

Vingt-deux ans de dédain et d'incompréhensions

Depuis la signature du traité de Maastricht, en 1992, toute la classe politique française sans exception a trouvé utile à son image électorale de porter des coups répétés contre l'Allemagne[1]. Vingt-deux ans de dédain (Balladur qui ignore l'union politique proposée par la CDU allemande en 1994), de fausses peurs d'une «Europe allemande», de sottes vexations (François Hollande candidat voit le SPD à Berlin et évite la chancelière «de droite»), d'imbéciles attaques (celles d'un Montebourg ou d'un Bartolone). Autant de blessures successives depuis Jacques Chirac, qui ont transformé un lien historique en noeuds d'incompréhensions, de rancoeurs et de méfiances.

L'Allemagne n'est pas exempte de reproches: les deux derniers chanceliers, Gerhard Schröder et Angela Merkel, ne sont pas des militants de la cause européenne. La République fédérale, grisée par ses succès ces dernières années, s'estime encombrée par l'Europe plutôt que portée par elle. Elle ne s'en détourne pas, il en faudrait beaucoup plus, mais en supporte de moins en moins le poids et elle s'est durcie.

La responsabilité première est en France. Avec une origine bien connue: le déchirement interne de tous les partis politiques de droite, de gauche et même du centre, sur l'Europe. Faute d'une union économique et d'une union politique, les résultats positifs de l'euro ont été nationalisés tandis que les difficultés ont été mises au passif communautaire.

Avec la crise de 2007, les défauts de construction ont refait surface dans les drames. Les réactions des Européens, tardives et insuffisantes du fait d'Angela Merkel, ont permis tout juste d'éviter l'éclatement, mais la prospérité a laissé place à la récession, l'emploi au chômage, les désagréments se sont transformés en frustrations, les frustrations en récriminations, les récriminations en rejet. Aujourd'hui, plus aucun parti politique français n'ose vanter l'Europe, devenue comme une cause honteuse. Seuls les gouvernements, forcés par la réalité, continuent de mener la barque, mais sans troupe et sans envie.

Chacune sa place

Emmanuel Macron avance un «deal»: la France fait les réformes, l'Allemagne relance son économie et met un bémol à son diktat sur l'austérité. Si cela aboutissait, ce serait déjà beau puisque se mettrait en place une politique économique européenne plus conforme à l'actuelle conjoncture dangereusement déprimée. La France tient, à cet égard, une juste cause: l'Allemagne, par détestation de tout ce qui est keynésien, se méprend sur l'Europe économique. Comme le résume Martin Wolf dans le Financial Times: l'Allemagne s'est dotée d'une économie d'exportation qui dépend de la demande des autres, elle est pourtant le pays qui s'évertue à restreindre cette demande des autres. A une France pusillanime répond une Allemagne dogmatique.

Une deuxième idée est avancée par un maréchal de la cause européenne, Valéry Giscard d'Estaing: un calendrier d'une fusion fiscale franco-allemande. Il y voit, avec expérience, un outil pour consolider le capitalisme rhénan, dans les deux pays et au-delà ensuite, dans toute l'Europe. C'est une idée lumineuse, l'Europe n'avance qu'en se fixant des calendriers. Mais tant que les deux pays ne seront pas au clair et d'accord sur ce qu'ils attendent de l'Europe, l'axe franco-allemand ne se ressoudera pas. En vérité, l'affaire est plus complexe encore, car la divergence porte sur la vision du monde. L'Allemagne croit être parvenue à trouver sa place: la grande pourvoyeuse planétaire de machines-outils et d'automobiles de luxe. Tout est commerce, rien au-delà du commerce.

La France, elle, n'a pas trouvé la sienne. D'où sa déprime. Elle ignore ses atouts, elle se complaît dans la désespérance et la critique des autres, les Allemands en premier. Elle conserve tout juste une intuition géopolitique d'être, dans le maelström entre Amérique et Chine, un acteur d'apaisement nécessaire entre le Nord et le Sud, un Sud qui va loin, jusqu'en Afrique et au Proche-Orient.

Entre le peuple nettement mercantile et le peuple vaguement universaliste, le raccord pourrait se faire, comme l'explique François Villeroy de Galhau dans une convaincante démonstration[2]. Mais il ne se fait pas.

L'Allemagne a tort de se croire tirée d'affaire face à la Chine; elle se fera dévorer, elle a tout à perdre d'un capitalisme dictatorial, archicontraire du sien. Comme elle a tort de faire les yeux doux à Vladimir Poutine.

La France a tort, elle, de n'avoir plus d'idée d'avenir, de se renfermer dans le passé et de laisser les extrêmes cultiver ses peurs. «La communauté d'action entre la France et l'Allemagne est plus nécessaire que jamais au grand dessein européen», a écrit Laurent Fabius dans une tribune au Figaro et au Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Mais quel est ce dessein? Qui le dit? Il serait plus que temps de le redéfinir ensemble.

Article également publié dans Les Echos

1 — Ces Français fossoyeurs de l'euro, Arnaud Leparmentier, 2013, Plon. Retourner à l'article

2 — L'Espérance d'un Européen, Odile Jacob, parution le 22 octobre 2014. Retourner à l'article

 

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