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Le monde entier nous envie ce calvados... et les Français ne le connaissent pas

Entre Honfleur et Pont-L’Evêque, visite de la micro-distillerie Drouin, une maison familiale qui a décroché l'an dernier le trophée de meilleur producteur de spiritueux européen.

Le calvados Drouin.
Le calvados Drouin.

Temps de lecture: 4 minutes

Elles sont chiantes, ces abeilles. Chiantes, et surtout frileuses. Sous prétexte d’un printemps frisquet, elles ont préféré rester au chaud dans leurs alvéoles et, par leur faute, la récolte de pommes s’annonce plutôt maigre cet automne en pays d’Auge. Car, n’en déplaise à Christine Boutin, le pommier a besoin, pour produire de magnifiques rejetons, d’un petit coup de PMA (le vent et, surtout, les insectes pollinisant ses fleurs) et d’une bonne partouze dans le verger (une trentaine de variétés d’arbres assurant le métissage nécessaire à une belle complexité –et une récolte constante).


Alors, en inspectant ses arpents de bocage plantés d’arbre fruitiers, entre Honfleur et Pont-L’Evêque, Guillaume Drouin se répète qu’il faudrait voir à installer des ruches sous les pommiers, histoire d’inciter les reines fainéantes et leurs cours de butineuses à s’agiter les mandibules.

Les 20 hectares de vergers entourant la ferme de Coudray-Rabut, de belles bâtisses XVIIe serties de colombages, sises à un crachat de pépin de Pont-L’Evêque, forment l’écrin de la micro-distillerie Drouin, une maison familiale qui, depuis trois générations, fabrique calvados, pommeau, cidre et poiré avec talent et savoir-faire. Au point que l’an dernier, l’International Wine and Spirit Competition (IWSC) lui a décerné le trophée de meilleur producteur de spiritueux européen.

Alors, lâchons le malt pour une fois et penchons-nous sur les pommes, les poires et… Oui, les poires. Car si l’AOC du calvados le définit comme une eau-de-vie de cidre (du jus de pomme fermenté et distillé), il peut incorporer jusqu’à 30% de poires dans sa recette. Et au moins 30% dans son appellation «calvados domfrontais» –mais rien n’empêche de distiller un calva domfrontais 100% poires puisqu’il suffit de balancer une seule et unique pomme dans le pressoir pour satisfaire à la réglementation: si vous lui trouvez un goût de pomme, eh bien, désolée, «Y en a pas».

Lâchons l’orge et l’Ecosse, disais-je, et traversons les vergers du Pays d’Auge. En 1960, Christian Drouin acquiert un premier domaine près de Honfleur, des arpents plantés de pommiers qu’il se verrait bien distiller. A l’époque, il n’est pas une ferme dans les environs qui ne produise son propre calva dans la grange, un petit miracle pour pousser le café dans le gosier ou reboucher les trous normands.

Pendant vingt ans, avec l’aide d’un bouilleur de cru de grande réputation, Pierre Pivet, il va distiller patiemment sa récolte, la faire vieillir dans d’anciens fûts de xérès, de porto, banyuls, madère, rivesaltes, cognac, et la planquer dans ses chais. Et les barriques s’entassent, millésime après millésime, sans se mélanger, intactes. Car, oui, j’oubliais un détail: ce drôle d’oiseau habité par l’eau-de-vie de pomme n’avait pas la moindre intention de vendre ses produits!

En 1979, Christian Drouin fils, qui s’est associé à son père dix ans auparavant, démarche les tables locales. Et ramasse râteau sur râteau. Pas grave, le bougre voit plus loin et plus grand, veut la vie de château pour les eaux-de-vie familiales. Piochant dans la gamme des fûts dormant en chais, il va assembler les jus, élaborer des harmonies de calvados et faire jouer l’orchestre symphonique sur les plus grandes tables de la planète qu’il sollicite l’une après l’autre. Et qui, après la Tour d’argent, succombent l’une après l’autre.

Pari réussi: en 2014, les bouteilles Drouin s’exportent à 75%. Les Français boudent, occupés à siroter leur whisky ou à descendre de la vodka. A s’arracher les cheveux! Les étrangers sont friands de ces spiritueux distillés artisanalement, portés par le boom des micro-distilleries. En France, le calva souffre d’une image vieillotte et rurale, appelle un coin de nappe à carreaux dans la cuisine ou un café sur le zinc du troquet de la place.

«Mais les choses sont en train de changer, nous sommes à la veille de quelque chose d’énorme dans l’univers du cocktail, s’emballe Guillaume Drouin, troisième génération aux manettes. Cela n’arrive pas par hasard, on s’est donné du mal. Nous avons lancé la Blanche de Normandie, un distillat de calvados élaboré avec 30 variétés de pommes, et le Sélection, jeune, vif et fruité, spécialement pour les bartenders.» 


Toujours en mouvement, Guillaume. Au dernier Whisky Live, il présentait ses deux nouveau-nés: une carafe de la cuvée XO Pivet, ronde et pâtissière, et un très beau 4 ans vieilli en fûts de pommeau puis de xérès. Toujours en mouvement, mais dans la ferme Drouin, même les fûts ne dorment que d’un œil. Car, au cours de leur maturation, on réveille régulièrement les calvados pour les changer de barrique, voire de chais, et façonner leur caractère avant même l’assemblage!

Chaque millésime et chaque assemblage acquièrent ainsi un style et une personnalité propres. Auprès du plus vieux fût (1848), acquis par la distillerie, tous les millésimes s’alignent de 1958 à 1994, sans aucun trou dans l’inventaire. La gamme permanente compte ainsi 35 millésimes et 5 assemblages, auxquels s’ajoutent les singles casks et éditions limitées.


Mais il serait dommage de passer à côté du pommeau, un assemblage calva et jus de pomme vieilli trois à quatre ans après mutation, qui fait merveille servi frais ou travaillé en cuisine. Essayez d’y pocher un foie gras ou d’en parfumer une tarte Tatin.


Donnez une chance au cidre de réveiller un pont-l’évêque ou un camembert. «C’est l’alliance parfaite, s’exclame Guillaume Drouin, œnologue de formation. Sauf s’il est un peu fait, auquel cas il s’accorde mieux avec le calvados, tout comme le livarot, à marier avec un VSOP.» Et testez le formidable poiré, au fruité sec et au tranchant pétillant, sur des coquilles Saint-Jacques. Accord majeur.

Pour (re)découvrir le calvados, lancez-vous sur un cocktail simple à réaliser. Le Cal-To, rafraîchissante variation du gin-tonic: 1/3 de calvados jeune et fruité, 2/3 de tonic. Fan de whisky, twistez votre Old Fashioned: un sucre écrasé au fond du verre dans un trait ou deux d’Angostura bitter, une dose de calva VSOP (la quantité suivant votre humeur, de «fine» à «don’t even ask»), glace.

Goûtez le Serendipity imaginé par Colin Field au bar du Ritz: dans une flûte, versez 2 cl de calva, un peu de sucre, 2 cl de jus de pomme allongé de champagne, décorez d’une feuille de menthe. A tomber dans les… pommes. OK, je sors.

La distillerie Drouin se visite, et la balade pédagogique vaut le déplacement. Possibilité de déjeuners accords mets/spiritueux sur réservation.

 

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