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La Russie a-t-elle vraiment boosté son taux de natalité en offrant de l’argent et des réfrigérateurs aux futures mamans?

Vladimir Poutine aime à dire que ses programmes ont bien marché. Ce n'est pas ce que pense un expert de la démographie.

Parade dans les rues de Stavropol, le 1er juin 2014 à l'occasion de la Journée de l'enfance.  REUTERS/Eduard Korniyenko
Parade dans les rues de Stavropol, le 1er juin 2014 à l'occasion de la Journée de l'enfance. REUTERS/Eduard Korniyenko

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La Russie est loin d’être le seul pays à s’inquiéter de la baisse démographique –le taux de natalité est passé en dessous du seuil de renouvellement des générations dans quasiment chaque pays industrialisé du monde. Mais la Russie, elle, connaît une chute démographique bien plus inquiétante que dans le reste du monde. A cause de la combinaison d’une fertilité basse, d’un fort taux de mortalité et de l’émigration, la population russe a baissé de près de 4% dans les vingt années qui ont suivi la chute de l’Union soviétique en 1991. Et puisqu’il s’agit de la Russie, les débats autour du problème ont tendance à mettre ça sur le compte d’un désespoir existentiel des plus mornes.

En 2006, Vladimir Poutine considérait la baisse de population comme étant «le problème le plus urgent» du pays. En 2007, le gouvernement a lancé un programme qui offrait 11.000 dollars aux mères ayant plus d’un enfant. Cette même année, l’Associated Press rapportait que des familles recevaient des jours de congé (et pouvaient gagner «de l’argent, des voitures, des réfrigérateurs et d’autres récompenses») si elles faisaient des bébés. En 2011, Poutine a annoncé une dépense gouvernementale supplémentaire de 53 milliards de dollars afin de donner un coup de pouce au taux de natalité. Et sur une note plus sombre, Poutine s’est servi de cette crise démographique pour justifier de l’hostilité du gouvernement envers l’homosexualité.

Cela ne va probablement pas durer

Seulement voilà: la population russe n’est plus en baisse. En fait, en 2009, elle a commencé à légèrement remonter, en grande partie grâce à l’émigration et à la baisse du taux de mortalité. En 2012, le nombre de naissances dépassait le nombre de décès pour la première fois depuis la chute de l’Union soviétique, amenant Poutine à se vanter: «Nos femmes savent quoi faire, et quand le faire.» Bien que toujours bas, le taux de fécondité russe d’1,7 enfant par femme est plus élevé que la moyenne de l’Union européenne.

Alors est-ce que cela signifie que, comme Poutine le dit, «les programmes pour la hausse démographique mis en place au cours des dix dernières années ont marché, Dieu merci»?

J’ai posé cette question à Sergei Zakharov, un expert en démographie à la National Research University’s Higher School of Economics. Pour faire court, il n’y croit pas.

Tout d’abord, les hausses de population ne vont probablement pas durer. «Dans les dix à vingt prochaines années, nous allons connaître une énorme chute du nombre de parents potentiels», explique-t-il. «Il y a un groupe très restreint qui s’approche de l’âge de procréer.» Les jeunes femmes nées tout de suite dans la période postcommuniste au début des années 1990 commencent à avoir des enfants, mais il n’y en a pas beaucoup. Il remarque que «les faibles taux de natalité des années 1990 sont aussi un écho à la précédente vague constatée pendant la Seconde Guerre mondiale», au cours de laquelle des dizaines de millions de Russes, en grande partie des jeunes, furent tués.

La Russie a aussi pris des mesures pour améliorer l’espérance de vie de ses habitants, qui est d’environ 60 ans pour les hommes, une donnée inquiétante (au moins, c’est mieux que les 59 ans d’il y a quelques années). C’est anecdotique, mais Moscou m’a l’air d’être une ville plus saine que quand j’y suis allé il y a neuf ans. Il y a moins de fumeurs et moins d’ivresse publique, en partie grâce à certaines lois récemment votées. Ceux qui faisaient leur jogging étaient souvent l’objet de quolibets. Il est désormais assez courant d’en voir dans les parcs.

Mais, même si de nouvelles politiques peuvent, comme promis, faire grimper l’espérance de vie à 74 ans, la réalité démographique n’est encore une fois pas du côté de la Russie.

«Ceux qui sont nés dans les années 1950 et 1960 s’approchent de l’âge de la retraite», remarque Zakharov. «Nous avons effectivement réussi à faire baisser le taux de mortalité, mais il n’empêche que les décès vont augmenter. L’espérance de vie sera plus grande, mais davantage de gens vont mourir.» Il ajoute: «Jusqu’à la moitié de ce siècle, je pense que nous avons très peu de chance de garder une population constante.»

Zakharov pense qu’il est «trop tôt pour dire» si les primes maternité, que certains membres du gouvernement souhaitent supprimer en raison de la crise budgétaire du pays, ont vraiment eu un effet conséquent.

La plupart des grandes augmentations récentes du taux de fécondité ont eu lieu dans des zones rurales où le taux de natalité était déjà relativement élevé. Dans la région reculée de Touva, en Asie centrale, le taux de natalité est d’environ cinq enfants par femme –ce qui est comparable au taux de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, constate Zakharov– mais la plupart des familles des grandes villes de Russie en restent à un ou deux enfants. Et puis 11.000 dollars ne mènent pas très loin quand on vit dans des villes comme Moscou ou Saint-Pétersbourg.

Zakharov remarque qu’il est courant pour les gouvernements nationalistes comme celui de la Russie de faire de la montée démographique une priorité publique majeure. Mais il ajoute que «tout le monde sait bien que rien ne peut faire changer la taille familiale idéale. C’est très difficile à faire». Devoir patriotique ou pas, les gens auront le nombre d’enfants qu’ils désirent.

Si la Russie veut que sa population augmente, alors encourager la procréation ne sera sans doute pas suffisant. Mais le gouvernement de Poutine a d’autres cordes à son arc. En admettant que la récente annexion de la Crimée tienne, le pays vient de gagner 2,4 millions de Russes.

Je suis récemment parti en Russie grâce à une bourse de l’International Project Reporting de l’université Johns Hopkins.

 

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