Politique / France

Vu de gauche, pour mener une politique de droite, mieux vaut un pouvoir de droite

Ce n'est pas qu'une question de «confort moral». Cet avis pourrait même être partagé par un François Hollande tenté par la cohabitation.

Des roses gelées en Allemagne en décembre 2013. REUTERS/Michaela Rehle
Des roses gelées en Allemagne en décembre 2013. REUTERS/Michaela Rehle

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L’élite rose qui nous gouverne sous-estime gravement l’exaspération de l’électorat de gauche. Naviguant dans des cercles privilégiés, bon nombre de ses dirigeants ne se rendent pas compte à quel point la politique menée, contradictoire avec leurs engagements électoraux, génère une colère lourde de conséquences pour l’avenir.

L’interminable série de provocations menées au nom de la démolition de «tabous» qui, curieusement ne se réfèrent qu’à l’idéologie de gauche, alimente des réactions de plus en plus violentes. La dernière en date concerne l’indemnisation du chômage.

La fin du retour au bercail

Traiter Emmanuel Macron de «banquier», comme l’ont fait Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, revient sans doute à pécher par réductionnisme sociologique. Il n’en reste pas moins que le pédigree du nouveau ministre de l’Economie est propre à exciter le «peuple de gauche» lorsqu’il prône des réformes d’inspiration libérale.

Les hiérarques socialistes se rassurent généralement en pariant que celui-ci reviendra sagement au bercail le moment venu. Face à une droite revancharde et radicalisée et à un Front national menaçant, l’électorat de gauche serait bien obligé de voter pour le candidat du PS, au moins au second tour.

Cela n’a pourtant rien d’assuré. Ce calcul cynique ne tient pas compte de la profondeur du divorce qui se creuse entre une large partie de cet électorat et un pouvoir qu’il ne perçoit plus comme appartenant à son camp. La cassure d’une fraction importante des couches populaires d’avec la «gauche», qu’elle se traduise par un vote FN de plus en plus affirmé ou par une abstention devenue structurelle, est avérée.

Mais c’est aussi le cœur de l’électorat de gauche qui est désormais tenté de rompre avec toute espèce de vote utile: un nombre croissant de citoyens assurent qu’ils ne voteront en aucun cas pour le candidat du PS, y compris au second tour, lors de la prochaine élection présidentielle.

Une certaine rationalité

On aurait tort de voir dans ces réactions seulement la marque d’une colère que la classique dynamique de la bipolarisation se chargera de dégonfler à l’heure du choix décisif. La conversion politique et idéologique de l’exécutif aux thèses défendues par la droite est telle que la question de savoir s’il ne vaut pas mieux qu’une telle orientation soit portée par un gouvernement de droite finira par se poser.

Qui peut assurer que Nicolas Sarkozy, qui n’a jamais craint de bousculer son propre camp, aurait mené une politique «plus à droite» s’il l’avait emporté en 2012? Constatons simplement, par exemple, que la «gauche» a abandonné l’écotaxe issue d’un «Grenelle de l’environnement» piloté par la «droite»...

L’histoire montre que le camp aux manettes est souvent conduit à faire des concessions à ses adversaires présumés. Au pouvoir, la droite craint plutôt les syndicats tandis que la gauche s’inquiète d’abord des réactions patronales. Les multiples contraintes de l’action gouvernementale conduisent le parti au pouvoir à des concessions plus ou moins grandes par rapport à son orientation originelle.

En réalité, les politiques publiques effectivement menées dépendent surtout des rapports de force –au plan social, économique, idéologique– de la période. La première partie du septennat de Valéry Giscard d’Estaing a été marquée par toute une série de réformes sociétales progressistes (de la légalisation de l’avortement à l’instauration du collège unique en passant par la réforme du divorce) qui n’a d’ailleurs pas manqué de lui créer de solides inimitiés à droite.

Le problème actuel vient de l’ampleur du tête-à-queue politique par rapport au discours tenu pendant la campagne présidentielle. Le sentiment de trahison est tel que l’idée qu’il serait préférable que la droite assume elle-même une telle politique devient rationnelle. La gauche serait effectivement moins démoralisée d’être complice d’une pareille aventure et les syndicats sans doute plus unis dans la résistance.

La culture de gouvernement est en danger

Ces raisonnements sont d’autant plus promis à un bel avenir que la «culture de gouvernement» demeure assez fragile à gauche. Le sage argument de la nécessaire acceptation des contraintes liées à l’exercice du pouvoir est certes souvent utilisé comme une forme de chantage. Il avait déjà été brandi, à partir de 1983, pour faire avaler le tournant de l’austérité alors honteusement négocié par le pouvoir mitterrandiste.

Reconnaissons toutefois qu’une partie de la gauche est encline à préférer le confort moral de l’opposition aux compromis(sions) gouvernementaux/tales. Cette tendance n’est pas exclusivement le fait de militants soucieux de pureté idéologique –ceux-ci sont de plus en plus rares au PS. Elle guette aussi tous ces élus locaux, nombreux dans ce parti, qui savent d’expérience que leur réélection est handicapée par la participation des socialistes aux affaires parisiennes.

A la gauche de la gauche, enfin, les reniements hollandais sont porteurs de radicalisation.

Ancien ministre du gouvernement de Lionel Jospin, Jean-Luc Mélenchon en vient aujourd’hui à prôner une «stratégie révolutionnaire du XXIe siècle». L’ancien candidat du Front de gauche ne croit plus à la possibilité de dépasser le PS dans le cadre d’un combat électoral classique. La rupture avec son ancien parti passe désormais par un appel direct au «peuple», à mille lieues de la traditionnelle «discipline républicaine» qui suppose un désistement automatique au sein de la gauche.

Ajoutons enfin que la préférence pour un gouvernement de droite, dans l’intérêt bien compris de la gauche, peut même être secrètement partagée par Hollande lui-même. L’option cohabitationniste reste l’une des cartes susceptibles d’être jouées par un président plombé par une abyssale impopularité. Au total, il n’y aura sans doute bientôt plus grand monde pour souhaiter que la «drauche» actuellement à la tête de l’Etat s’y maintienne.

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