Économie

Créer des entrepreneurs ou des emplois? Ce n'est vraiment pas la même chose

La vogue des autoentrepreneurs ne doit pas masquer la réalité des chiffres: une entreprise sur deux ne passe pas le cap des cinq ans et plus le nombre d'entreprises sans salarié nouvellement créées est important, plus la probabilité que celles-ci créent des emplois est faible.

REUTERS/Pilar Olivares
REUTERS/Pilar Olivares

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Le salon de la microentreprise, Créer 2014, Franchise expo, créer à tout âge, créer au féminin... rarement sans doute la création d'entreprises aura autant fait parler d'elle. Salons, journaux, livres, assises de l'entrepreneuriat, nouveau statut d'étudiant-entrepreneur: depuis la création du statut d'autoentrepreneur en 2008, tout semble fait pour favoriser le développement de l'esprit d'entreprise en France.

Tant mieux! Les créateurs d'entreprises sont des innovateurs, d'inoxydables optimistes, qui dérangent les positions établies et les épinglent les idées reçues. Des individus qui renouvellent un tissu économique par ailleurs gagné par la morosité. A n'en pas douter, l'esprit d'entreprise, qu'il soit appliqué à créer une société ou à tout autre type d'aventure, y compris intrapreneuriale, constitue une immense qualité.

D'autant qu'il y a ici de la place pour tous les goûts et toutes les qualifications: de l'artisan au chercheur, du petit commerçant au diplômé d'école de commerce, de l'artiste au technicien, tous les talents –et envies– peuvent être prétexte à création de sociétés. Et ce, alors même que, bien souvent, l'entrepreneur gagnerait beaucoup plus (financièrement parlant) à choisir des voies moins risquées.

Sauf que... Sommes-nous vraiment tous entrepreneurs? Valoriser l'entrepreneuriat est louable, tout comme réduire la paperasserie et tous les obstacles concrets qui freinent la créativité. Mais où s'arrête la bonne volonté et où commence la frénésie? A trop mettre l'accent sur l'entrepreneuriat, ne risque-t-on pas d'envoyer au casse-pipe économique des personnes mal préparées, ou tout simplement pas conscientes de tout ce qu'implique le passage à l'indépendance économique? Et ce, dans un pays qui, par ailleurs, excuse peu l'échec? 

Une affaire toujours aussi risquée

Ce n'est pas un scoop: créer son entreprise n'est pas une mince affaire. Sur les 364.904 entreprises qui ont vu le jour entre janvier et août 2014, environ une sur trois ne passera pas le cap des trois ans et une sur deux celui des cinq ans. Même si, comme l'expliquait une grande étude menée entre autres par l'ACPE (agence pour la création d'entreprises), seules 15% font l'objet d'une défaillance officielle avant leur cinquième anniversaire. Encore ces chiffres, et cette étude, portent-ils sur une génération d'entreprises créées avant que n'existe le statut d'autoentrepreneur, qui a complètement brouillé les cartes des statistiques.  

La vogue de l'entrepreneuriat fait bondir les chiffres de création, mais absolument pas ceux des emplois.

95% des entreprises créées en 2013 ne comptaient aucun salarié, et seulement 0,4% en employaient plus de 10. Si, sans surprise, le nombre d'entreprises sans salarié a bondi ces dernières années (+188%) –et pour cause, l'autoentrepreneur est par définition seul–, les études révèlent un phénomène plus surprenant: celui des entreprises avec salarié a carrément diminué de 30%. 

source APCE

Or selon une étude de l'APCE portant sur les entreprises trois ans après leur création:

«L’évolution de l’emploi salarié est d’autant plus importante que les entreprises emploient des salariés au démarrage. Autrement dit, plus les entreprises emploient de salariés au démarrage, plus il est fréquent qu’elles augmentent leur effectif durant leurs trois premières années d’existence (19% de celles qui n’employaient pas de salariés ont créé des emplois contre 39% pour celles qui employaient 1 à 9 salariés et 51% pour celles qui en employaient 10 et plus) et, parallèlement, plus le nombre moyen d’emplois salariés supplémentaires est élevé.» 

Inversement, plus le nombre d'entreprises sans salarié nouvellement créées est important, et plus la probabilité que celles-ci créent des emplois est faible. 

Le boom actuel des créations d'entreprises traduit, en d'autres termes, beaucoup plus le développement d'une nouvelle forme d'emploi que celui d'un nouveau tissu d'entreprises créatrices de valeur et d'emplois. 

Pour une quantité de raisons diverses (lassitude de la grande structure, découragement dans la recherche d'emplo), on crée son propre emploi. Qui se révèle bien souvent précaire et peu rémunérateur.  Rappelons-le: environ la moitié des autoentrepreneurs ne déclarent aucun chiffre d'affaire et près des trois quarts de ceux qui en déclarent gagnent moins que le smic. 

Parallèlement, la création d'entreprises destinées à croître –et donc à embaucher– est donc, elle, en chute libre. 

«Les chômeurs n'ont qu'à créer leur entreprise»

Evidemment, ce phénomène n'est pas si étonnant. En ces périodes de chômage très élevé, lorsqu'il devient presque impossible de trouver un emploi salarié à chaque inscrit à Pôle emploi, inciter à la création de sa propre petite structure est tentant, voire naturel.

«Enrichissez-vous», disait jadis Guizot. «Les chômeurs n'ont qu'à créer leur entreprise», lâchait Raymond Barre en 1978. Plus personne n'ose s'exprimer aussi ouvertement, mais on n'en est pas très loin. 

Tout nouvel inscrit à Pôle emploi est informé des facilités qui s'offrent à lui s'il crée son entreprise, les étudiants bénéficient d'un nouveau statut qui leur permet de valider leur diplôme grâce (en partie) à leur projet entrepreneurial, et de véritables «Star Ac» de la création d'entreprises voient le jour, comme la Yump Academy, ou les «business pitch contest» ( ou là).

Bien sûr, chacune de ces initiatives a du bon, et permet à des entrepreneurs en herbe de concrétiser leur projet. Mais, déplore par exemple Bernard Abraham, président d'EGEE, une association de seniors bénévoles qui accompagnent les projets de créateurs, «on va parfois trop loin trop vite. Favoriser l'esprit entrepreneurial, c'est très bien. Mais un boulanger n'ouvre pas sa boutique sans avoir travaillé auparavant dans une boulangerie. Peut-on vraiment créer une entreprise au sortir de ses études, sans expérience de l'entreprise?».

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