France / Économie

«C'est pas facile» de réformer quand on n’a pas de marges de manœuvre

À la fois pour des raisons liées à l’environnement international et pour des raisons internes, celles de François Hollande sont minces, pour ne pas dire nulles.

François Hollande, le 2 octobre 2014. REUTERS/Philippe Wojazer.
François Hollande, le 2 octobre 2014. REUTERS/Philippe Wojazer.

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«C’est pas facile», a répété à plusieurs reprises François Hollande lors de sa conférence de presse du 18 septembre dernier à propos des réformes des finances publiques, du marché du travail, de l’organisation administrative du territoire, etc. Au vu de la dégradation récente de la conjoncture économique et des résistances qu’il rencontre au sein même de sa majorité, on peut penser que ce sera encore plus difficile qu’il ne le pensait. L’opposition a raison de ne plus parler de dissolution: il vaut mieux pour elle qu’elle reste tranquillement au chaud loin du pouvoir jusqu’en 2017…

Un point au moins fait l’unanimité en France: il faut faire quelque chose, il faut des réformes. Mais dès qu’on entre dans le concret, ce bel accord disparaît. Pour  une raison simple: le mot réforme ne veut strictement rien dire tant qu’on n’a pas précisé dans quelle direction on veut aller et en employant quels moyens. Et quand on aborde le sujet sous ces deux angles, on voit tout de suite que les marges de manœuvre de François Hollande sont minces, pour ne pas dire nulles. A la fois pour des raisons liées à l’environnement international et pour des raisons internes.

Une bataille permanente

Pourquoi, en effet, faut-il réformer? En premier lieu, pour mieux insérer la France dans la compétition économique internationale. On peut évidemment rêver, comme certains le font, d’une France qui se replierait à l’intérieur de ses frontières pour protéger ses traditions et son modèle social. Mais il est permis de penser qu’on peut avoir d’autres ambitions pour notre pays que celle de devenir une nouvelle Albanie, celle que l’on a connue au siècle dernier sous le règne d’Enver Hodja.

Le problème est que le monde dans lequel nous devons mieux affirmer notre présence est un monde dur, qui n’a pas évolué au cours des dernières années dans un sens conforme aux idées de progrès et de justice sociale qu’est censé défendre notre président. Nous pouvons, dans le cadre des organisations internationales, à l’échelle européenne et mondiale, lutter pour essayer d’imposer d’autres standards sociaux ou environnementaux, mais nous ne sommes pas seuls à faire les règles du jeu. Ce que nous considérons comme des «acquis» sociaux n’est en réalité jamais acquis, c’est une bataille permanente.

Le monde ne va pas bien

Une complication supplémentaire vient de la conjoncture: ce monde ne va pas bien. Le FMI vient de réviser à la baisse, plus ou moins fortement selon les pays, ses prévisions de croissance pour cette année et l’année prochaine: tassement de l’activité dans les pays développés, perspectives moins optimistes pour plusieurs grands pays émergents... «La croissance mondiale reste médiocre», constate son économiste en chef, Olivier Blanchard.

Aux Etats-Unis, tout va en apparence très bien, avec une croissance qui a atteint 4,6% en rythme annuel au deuxième trimestre et un taux de chômage qui est retombé à 5,9% de la population active. Mais la Réserve fédérale, si l’on en croit le compte-rendu de la dernière réunion de son comité de politique monétaire, envisage de garder des taux d’intérêt très bas plus longtemps qu’on ne le pensait, parce qu’elle redoute les effets de cette médiocre conjoncture internationale et de la hausse du dollar sur son commerce extérieur et sa croissance future.

Le Japon, que l’on disait promis à une renaissance grâce aux «Abenomics», les mesures prises le Premier ministre, supporte très mal la hausse de la taxe sur la consommation et le recul du yen: les prix montent et les salaires ne suivent pas. Quant à la Chine, sa croissance déçoit: le coup de frein donné à son marché immobilier a un impact fort sur l’activité et le rythme de hausse de la production industrielle a retrouvé son niveau le plus faible depuis le début de 2009, au plus fort de la dépression qui a suivi la crise financière.

Même l’Allemagne fléchit

En Europe, ce n’est pas très brillant non plus. Même l’Allemagne est menacée par un nouveau ralentissement: la chute de la production industrielle en août et, au cours du même mois, le fort recul des exportations, le plus fort depuis janvier 2009, font craindre une récession dans la première économie du continent. Déjà, au deuxième trimestre, son PIB avait reculé de 0,2%. Incontestablement, l’Allemagne souffre des problèmes rencontrés par les pays émergents, qui lui achètent beaucoup de biens d’équipement, et par ses partenaires européens.

On pourrait penser que les difficultés allemandes constituent, au fond, une bonne nouvelle: elles pourraient inciter Angela Merkel à accueillir plus favorablement les initiatives de relance de l’investissement au sein de l’Union européenne et l’inciter à plus d’indulgence sur les questions budgétaires. Mais, pour l’instant, on n’enregistre aucun signe d’assouplissement à Berlin et on n’a qu’une certitude: il ne faut pas que nous comptions sur la vigueur de la demande étrangère pour redynamiser notre économie.

Une priorité: redresser notre compétitivité

De toute façon, il ne faut pas se faire d’illusions: la compétitivité française est médiocre. La France continue à perdre des parts de marché, que ce soit à l’exportation ou sur son marché intérieur. Cette perte de parts de marché s’effectue désormais moins rapidement que dans la précédente décennie et, estiment les experts de l’Insee, elle pourrait être «quelque peu amortie par la dépréciation récente de l’euro».

Il n’en demeure pas moins que cette dure réalité limite les possibilités de choix de la politique économique. Prendre seuls des initiatives conduisant à relancer la demande dans l’Hexagone aurait pour principal effet de déséquilibrer un peu plus notre balance commerciale. Cette expérience-là, on l’a déjà faite en 1981-1982: on sait ce qu’elle donne.

Quel soutien de l’opinion?

Quoi qu’on en pense à gauche, c’est bien sur l’offre qu’il faut d’abord agir. Et c’est là où ça devient très compliqué pour François Hollande. Réduire la dépense publique, on le sait, n’est pas indolore. La seule façon de faire passer cette pilule amère, c’est de baisser parallèlement les prélèvements obligatoires (moins vite que les dépenses, pour ne pas creuser le déficit).

Mais quels prélèvements? Si l’on veut s’attaquer au problème le plus urgent, celui de la compétitivité de notre économie, ce sont les impôts et charges pesant sur les entreprises qu’il faut abaisser en priorité. Mais alors, comme le souligne l’économiste Patrick Artus, «le soutien de l’opinion est difficile à obtenir, car l’effet positif de la baisse des impôts des entreprises sur l’investissement et l’emploi est très long à obtenir».

Ce qui est vrai pour tout gouvernement l’est encore plus pour un gouvernement socialiste, dont on attend traditionnellement une autre politique. Et c’est effectivement ce que l’on constate dès maintenant: alors que les divers pactes, de compétitivité et de responsabilité, sont à peine lancés et sont loin d’avoir commencé à produire leurs effets, beaucoup à gauche reprochent déjà au gouvernement une politique dont on ne voit pas les résultats.

François Hollande et Manuel Valls ont donc le devoir d’expliquer aux électeurs, et d’abord à leurs électeurs, ce qu’ils font, pourquoi ils le font et pourquoi les mesures prises ne sont pas toujours conformes à ce qui avait été dit lors de la campagne de 2012. Ils doivent le faire en s’adressant directement au pays, et non pas seulement par le truchement des journalistes lors des conférences de presse. Ils ont un modèle à gauche: Pierre Mendès France, avec ses fameuses causeries au coin du feu, ces entretiens radiophoniques qu’il s’était efforcé de maintenir à rythme hebdomadaire entre juin 1954 et janvier 1955 (à l’époque, les gouvernements n’avaient pas une grande longévité).

Rappelons ce qu’il disait alors lorsqu’il proposait aux Français de les «tenir au courant de ce que fait et de ce pense le gouvernement»:

«Je crois que c’est une de mes tâches d’expliquer à l’opinion la signification et la portée de nos actes. Et ce devoir est plus impérieux encore quand il s’agit d’entamer avec résolution puis de poursuivre avec persévérance un grand effort de rénovation forcément ardu auquel tout le pays doit être associé, auquel le pays doit concourir de toute son énergie.»

Pour entamer l’effort de rénovation qui s’impose, surtout avec des marges de manœuvre aussi faibles, la priorité est d’abord de rétablir une confiance qui fait cruellement défaut aujourd’hui. Mais, pour cela, il faut dire clairement ce que l’on veut faire, pourquoi et comment. En tout cas, cela nous rassurerait de savoir que nos dirigeants ont une idée assez précise de ce qu’ils veulent faire maintenant.

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