France

Y a-t-il un risque à plaisanter sur Ebola en public?

Attention à ce que vous dites dans la rue ou sur Internet, une plaisanterie mal venue n’est pas aussi anodine que l’on croit.

REUTERS/Jean-Paul Pelissier
REUTERS/Jean-Paul Pelissier

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«J’ai Ebola!» Mercredi dernier, un passager d’un vol US Airways entre Philadelphie et Porto Rico s’est mis à crier dans l’avion une blague liée au virus Ebola. En laissant croire qu’il était contaminé, cette homme a provoqué l’intervention de personnels d'urgence portant des combinaisons bleues Hazmat («hazardous materials», produits dangereux). Les passagers ont dû patienter deux heures dans l’avion avant de pouvoir débarquer. Si de l’autre côté de l’Atlantique on a parlé de «blague de mauvais goût», qu’en serait-il en France? Que risque-t-on à faire une blague sur le virus Ebola en public?

Plaisanter peut coûter cher, et parfois même vous emmener en prison.

Alors qu'aucun cas d'Ebola ne s'est déclaré en France jusqu'à présent (11 patients ont été testés, tous négatifs, selon Marisol Touraine qui tenait une conférence de presse ce vendredi), la tension est montée d’un cran jeudi avec une suspicion de contamination à Cergy-Pontoise dans le Val d’Oise.

Et si certains se sont inquiétés, guettant les signes de toux de telle ou telle personne, d’autres n’ont pas pu s’empêcher de plaisanter sur le sujet. Pourtant, faire une blague plus ou moins douteuse dans un lieu public sur ce genre de sujet n’est pas anodin. L’article 322-14 du code pénal est très clair:

«Le fait de communiquer ou de divulguer une fausse information dans le but de faire croire qu'une destruction, une dégradation ou une détérioration dangereuse pour les personnes va être ou a été commise est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Est puni des mêmes peines le fait de communiquer ou de divulguer une fausse information faisant croire à un sinistre et de nature à provoquer l'intervention inutile des secours.»

Dans le cas du virus Ebola, et donc d’un risque de contamination à grande échelle, le simple fait d'avoir un comportement pouvant troubler l'ordre public, voire demander l'intervention des forces de police par exemple, est susceptible d'entraîner des poursuites.

Il n'est pas rare en France que des plaisantins regrettent très vite leur blague. En juillet, en Seine-Maritime, deux hommes, ivres, ont trouvé amusant de faire croire aux secours qu'un homme était en train de se noyer dans l'Epte. Equipes de secours, pompiers, plongeurs, hélicoptère, des moyens colossaux ont été déployés... pour rien. Résultat: une mise en garde à vue et le risque d'une condamnation à deux ans de prison et 30.000 euros d'amende comme le prévoit la loi. 

Cependant, la loi pénale donne une interprétation stricte, il doit donc être question d'une destruction ou d'un sinistre pouvant nuire à des personnes pour que l'article s'applique (il faudrait par exemple qu'un mouvement de panique se crée à la suite d'une mauvaise blague dans le métro).

Graphique montrant les mentions de "j'ai ebola", "tu as ebola" et "il a ebola" sur Twitter (via Michaël Szadkowski). 

Autre terrain propice aux blagues: Internet. Et contrairement à ce que l'on pourrait croire, personne n’est tout à fait à l’abri de poursuite. L’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse explique que:

«La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d'une amende de 45.000 euros.»

Si cette loi concerne principalement les médias, l’arrivée d’Internet a élargi sa portée à des plateformes de publication en ligne. Désormais, si une fausse nouvelle est mise à disposition du public sur Internet, que ce sur un blog ou sur les réseaux sociaux, il y a possibilité de poursuite. Bien sûr, si la personne est journaliste, elle sera alors plus sévèrement punie qu'un autre.

Dans tous les cas, que ce soit sur Internet ou dans la rue, les conséquences judiciaires de ce genre de blagues dépendront de plusieurs facteurs, comme l'abus ou non de la liberté d'expression, la crédibilité que le public peut accorder à l'auteur de la fausse information, l'éventuelle mansuétude du juge, et bien sûr le contexte environnant. 

Le climat actuel, de plus en plus tendu autour d'une possible contamination en France, est une raison de plus (s'il en fallait une) pour éviter de plaisanter autour du virus Ebola.

L'explication remercie Séverine Dupuy-Busson, avocate à la Cour, spécialisée en droit pénal, droit d'auteur et droit de la presse.


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