Économie

Bonus: plombier polonais ou trader anglais?

Après la dévaluation compétitive, la concurrence fiscale, le dumping social, la dérégulation compétitive en matière financière a de beaux jours devant elle.

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Louis XI affirmait que ses mercenaires suisses étaient les meilleurs soldats au monde. Le roi de France a dépensé force monnaie, blé, sel et autres privilèges commerciaux, pour recruter ces hommes de guerre hors pair grâce auxquels il aura fait respecter sa loi et entendre raison à Charles le Téméraire, le sanglier des Ardennes.

Pourquoi donc, aujourd'hui, en voudrait-on à Londres, New York, Paris ou encore Shanghai et Sao Paulo de vouloir mettre dans leurs camps les meilleurs mercenaires des marchés à l'heure où un autre type de guerre bât son plein entre les Etats, celle de la compétitivité financière? S'assurer la suprématie dans les flux et les métiers des capitaux constitue aussi le socle de la prospérité économique d'un pays en permettant d'attirer et d'injecter dans les entreprises l'argent dont elles ont besoin pour se développer ou les aider à se couvrir contre les risques. Au regard des enjeux sur les emplois directs et induits -vendeurs de voitures de sport, d'appartements de luxe, restaurants huppés-   sur les rentrées fiscales, sur le maintien chez soi des centres de décision des grandes entreprises et de leur recherche, il y a tout lieu de comprendre que les gouvernements des pays occidentaux ont un intérêt vital si ce n'est à muscler, du moins à défendre leur place financière.

Cela ne passe-t-il pas aussi par la nécessité de donner à leurs champions bancaires les moyens d'attirer la fine fleur de la finance?

Grand écart

C'est bien une sorte de grand écart auquel on est en train d'assister aujourd'hui. Au risque de leurrer un peu plus les opinions publiques sur les véritables enjeux du débat sur les bonus des traders.

D'un coté, les voeux pieux formulés dans un bel ensemble par les capitales occidentales, à l'heure où la crise ferme les usines, affole le chômage et rogne le pouvoir d'achat et où des milliards ont été injectés dans les banques pour leur éviter l'asphyxie. Dans un bel élan, tout le monde se dit d'accord pour moraliser le capitalisme financier et mettre un terme aux abus des rémunérations des traders qui ont conduit à une crise financière dont la violence à mis à genou l'économie mondiale.

De l'autre coté, la majorité des gouvernements ont bien conscience qu'il serait d'une grande naïveté de vouloir imposer, par la coercition, à leurs propres banques des règles de conduite si leurs concurrentes internationales ne devaient pas respecter les mêmes règles. Cela reviendrait à les livrer sans défense à la concurrence féroce des établissements d'autres pays qui profiteraient de règles plus laxistes pour débaucher ce qu'il y a de meilleur chez le voisin. Bref à se tirer une balle dans le pied.

G20

Nul doute que cette contradiction est bien partie pour empoisonner les débats du prochain G20 à Pittsburg aux Etats-Unis. A moins que le jeu des participants à ce sommet ne consiste surtout, aujourd'hui, à faire beaucoup de bruit, pour chercher à éviter le débat le jour venu. En préparation de cette réunion, chaque gouvernement montre en tout cas ses muscles et fait monter la pression pour  affirmer sa détermination à réclamer enfin des règles du jeu communes visant à faire respecter une certaine modération dans le calcul des rémunérations.

Paris n'est pas en reste. La découverte, en plein coeur de l'été, du milliard d'euros mis de coté par BNP Paribas pour rémunérer ses traders, aura été d'une certaine façon une aubaine. Les banquiers français sont convoqués le 24 août à Bercy et le lendemain à l'Elysée. A charge pour eux d'expliquer ce qu'ils ont prévu de faire en plus en matière d'encadrement des rémunérations variables de leurs traders et de démontrer qu'ils ont débloqué le crédit à l'économie.

Outre Manche, pays du libéralisme roi, le ministre des finances - ô folie !-  se dit prêt à légiférer sur les bonus. Autre folie, le gouverneur de la Banque d'Angleterre n'hésite pas à dire que le travail des dirigeants ne justifie sans doute pas de telles rémunérations et que les bonus poussent à prendre des risques inconsidérés.

En Allemagne, le gouvernement laisse les autorités de supervision bancaire publier des directives obligeant les banques à sanctionner les prises de risques exagérées et exigeant le remboursement des bonus indus. Ces principes devront être mis en place d'ici au 31 décembre. Les traders devront être associés aux profits comme aux pertes.

Bruxelles fait les gros yeux. La Commission réclame un équilibre entre la part fixe du salaire et les bonus et recommande que les autorités de supervision bancaires aient le pouvoir de punir, par des amendes ou autres, les banques qui n'observent pas ces règles.

A New York, le retour des vieilles pratiques symbolisées par Goldman Sachs qui a mis 11,4 milliards de dollars pour récompenser ses traders les plus méritants, met sous pression une administration Obama que certains jugent déja trop molle.

Tout le monde cherche donc à balayer devant sa porte pour pouvoir affirmer d'une manière crédible à Pittsburg qu'il ne saurait y avoir de mesure efficace de régulation du capitalisme financier sans une réglementation internationale.  La condition nécessaire pour mettre fin à «cette course à l'échalote» des bonus comme l'appelle Christine Lagarde. La ministre de l'économie française a raison de faire remarquer que «ce n'est pas la peine de bricoler à l'intérieur de ses frontières si, à Londres, à Singapour, ou à New York, le jeu reste ouvert».

Déclarations d'intention

Reste désormais à démontrer que ces belles déclarations d'intention ne se résumeront pas à des rotomondates médiatisées destinées en priorité à calmer des opinions publiques chauffées à blanc. On peut encore le redouter. D'un coté, des banquiers ne manqueront pas d'arguments pour démontrer, main sur le coeur,  qu'ils respectent déja à la lettre des règles édictées qui sont d'autant plus floues et opaques que difficiles à contrôler dans leur application.

Surtout, à l'heure où les marchés frémissent et où l'activité de restructucturation de la dette, de négoce d'actions et les augmentations de capital reprennent, les banques auront beau jeu de plaider auprès de leurs autorités nationales que la priorité reste de conserver chez elles, quand il en est encore temps,  les talents. En France, l'argument a dû d'autant plus de raison d'être pris en compte par l'Elysée et Bercy que la place boursière de Paris a de plus en plus de mal à résister au tropisme londonien.

Outre Manche, les déclarations tonitruantes du gouvernement de Gordon Brown doivent se lire dans le contexte de prochaines échéances électorales du printemps 2010. Sur le fond, Londres est d'autant moins prêt à affaiblir la City -sa dernière industrie nationale- que la concurrence des nouvelles places des pays émergents -Chine, Inde, Brésil- est en train de se faire de plus en plus sentir. Les grandes banques britanniques sont repartis de plus belles à la chasse aux talents. Non seulement celles qui n'ont pas fait appel à l'argent public, HSBC, Standart Chartered et Barclays. Mais également celles qui ont été partiellement nationalisées comme Lloyds Banking et Northern Rock. De quoi pousser leurs concurrentes aux Etats Unis comme en Europe à vouloir rembourser le plus vite possible l'argent public prété pour récupérer leur liberté de manoeuvre dans ce domaine.

Dans ce contexte, beaucoup d'éléments font redouter que le prochain G20 ne soit qu'un chapelet de bonnes intentions, un nouvel exercice de style et de communication destiné à calmer le jeu plutôt qu'à le modifier en profondeur. Au mieux un blanc seing au dispositifs d'encadrement des rémunérations que chaque pays met laborieusement en place chez lui, confronté à ses propres contradictions.

Après la dévaluation compétitive, la concurrence fiscale, le dumping social, la dérégulation compétitive en matière financière a de beaux jours devant elle. Et à l'heure où la compétition internationale se joue entre les continents -Etats-Unis, Asie, Europe- elle a tout pour cultiver un peu plus l'image d'une Europe écartelée entre une finance continentale (France, Allemagne) et une finance anglo-saxonne un pied dedans et un pied dehors. De ce point de vue, la carricature du trader anglo saxon, chasseur de primes sans foi ni loi, recruté à prix d'or et prêt à passer chez un ennemi plus généreux en faisant monter les enchères, pourrait bien n'être qu'une sorte de syndrôme de plombier polonais à l'envers.

Celui, qu'en France, il  y a quelques années, certains accusaisent de venir torpiller le modèle social en proposant ses services, au salaire et avec les règles de protection sociale de son pays d'origine.

Dumping social ou surenchère salariale? Entre deux excès, c'est aussi, d'une certaine manière, avec l'affaire des bonus, son modèle que l'Europe joue ces prochains mois.

Philippe Reclus

Lire également sur le même sujet: Les banquiers n'ont peur ni de l'opinion, ni des politiques, Banques: le triomphe des coupables par Jacques Attali et La banque gagne toujours par Eric Le Boucher.

Image de Une: Traders sur le marché pétrolier à Londres  Reuters

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