France

Aux sénatoriales aussi, il y a des électeurs «d'en haut» et «d'en bas»

Le clivage entre des électeurs placés au cœur de l'appareil partisan et ceux qui, quasiment dans un autre univers, administrent au quotidien des petites villes ou villages, explique en partie l'élection de deux sénateurs FN.

Les sénateurs FN Stéphane Ravier et David Rachline, le 30 septembre 2014 à Paris. REUTERS/Benoît Tessier.
Les sénateurs FN Stéphane Ravier et David Rachline, le 30 septembre 2014 à Paris. REUTERS/Benoît Tessier.

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L’élection, le 28 septembre, de deux sénateurs du Front national a été qualifié epar nombre de commentateurs d’événement historique, voire de preuve que le parti de Marine Le Pen était sur le chemin du pouvoir.

De toutes les affirmations énoncées depuis dimanche, plusieurs sont factuellement exactes. Oui, c’est la première fois que le FN entre au Palais du Luxembourg depuis sa création en 1972. Oui, David Rachline est, à pas encore 27 ans, le benjamin de la Chambre haute. Et, pourrait-on ajouter, oui, c’est la première fois dans l’histoire des deux dernières Républiques que la famille politique de la droite nationaliste «anti-système» siège au Sénat, les élus du Parti Républicain de la Liberté et du Centre National des Indépendants ayant participé, sous la IVe République, à des cabinets qu’ils ont parfois même dirigés.

Ceci étant la conquête du pouvoir, par cette entrée à l’Elysée que Stéphane Ravier envisageait dès dimanche soir, est encore loin. Elle suppose, en effet, deux choses qui sont loin d’être évidentes. D’une part, non seulement voir Marine Le Pen figurer au second tour (c’est du domaine du possible) mais encore la voir remporter celui-ci, ce qui est une toute autre affaire. D’autre part, que le FN dispose, à l’issue des élections législatives suivant la présidentielle, d’une majorité parlementaire sur laquelle l’exécutif pourrait s’appuyer. Nous n’en sommes pas là.

On répétera enfin que faire aujourd’hui un pronostic sur le vote des français en 2017 est bien prématuré et ne tient pas compte de cette donnée fondamentale qu’est l’incertitude de l’offre politique. La nécessaire prudence qui est de mise pour les sondages sur la présidentielle doit aussi s’appliquer aux élections régionales de 2015: on ne peut pas extrapoler des élections européennes vers celles-ci (l’enjeu et le mode de scrutin diffèrent), ce d’autant moins que la carte des futures régions reste à tracer!

Un lieu auquel les radicalités politiques ont du mal à accéder

Mais revenons aux sénatoriales. Traditionnellement, la chambre haute est un lieu auquel les radicalités politiques ont du mal à accéder. A gauche, le Parti communiste y a réussi car il disposait, et dispose encore, d’un tissu solide d’élus locaux. Depuis la fin des années 1930, époque à laquelle les derniers sénateurs royalistes ont cessé de siéger, l’extrême-droite n’a jamais poussé les portes du Palais du Luxembourg. A la Libération, seuls le Parti Républicain de la Liberté et le Centre National des Indépendants y ont accédé, mais pour aussi conservateurs qu’aient été certains de leurs élus, ils n’étaient pas perçus comme des formations d’extrême droite. C’est peut-être précisément ce qui se produit aujourd’hui avec le FN: un début de notabilisation, une normalisation qui gomme l’étiquette extrémiste qui lui colle à la peau.

Le principal élément nouveau dans l’élection des deux édiles locaux frontistes est le nombre de voix qu’ils ont obtenu de la part d’élus non affiliés au FN. C’est cela qui a permis leur victoire, ainsi que la réforme du mode de scrutin qui, depuis 2013, introduit le vote à la proportionnelle dans les départements ou sont élus trois sénateurs ou plus.

Que des grands électeurs «divers droite», élus locaux de petites communes, semble-t-il, aient porté leur suffrage sur le candidat frontiste (cela s’est aussi vérifié dans d’autres départements où le FN n’a pas eu d’élu), n’est pas en soi une nouveauté. Ce qui l’est, en revanche, c’est l’ampleur du déplacement de voix, le FN faisant plus que tripler, dans le Var et les Bouches du Rhône, son capital de votes.

Positionnement antisystème des grands électeurs

Quelle explication donner? Le projet de réforme territoriale, la baisse des dotations financières des communes, voire la réforme des rythmes scolaires, ont joué. Dans les Bouches-du-Rhône, Stéphane Ravier a habilement mené campagne auprès des maires des petites villes contre le projet de métropole d'Aix–Marseille–Provence soutenu par Jean-Claude Gaudin. Dans le Var, David Rachline a expliqué aux élus ruraux du département (les deux tiers des 153 maires), la nécessité d’abandonner les élus UMP selon lui vieillissants de Toulon et Saint-Raphaël, la cité rivale de Fréjus, au profit d’un jeune élu frontiste dont la formation politique pourrait être vue comme le fer de lance de l’opposition au détriment d’une UMP divisée et privée de chef.

Allons plus loin. Une des clés du succès frontiste tient à ce que le corps électoral des sénatoriales, généralement vu comme celui des «notables», est en réalité composé de deux catégories d’élus au moins: ceux qui sont au cœur d’un appareil partisan et ont des perspectives ouvertes de conquête d’un échelon supplémentaire de pouvoir et ceux qui, quasiment dans un autre univers, administrent au quotidien des petites villes ou villages, au nom souvent de «l’intérêt local», voire sont «sans étiquette». Pour la première catégorie, le représentant du FN est un adversaire et même un ennemi, puisqu’il appartient à un parti qui veut supplanter la droite conservatrice-libérale. L’inimitié est réciproque, l’UMP et l’UDI appartenant selon le FN au «système UMPS» honni.

Cette lutte pour l’hégémonie au sein des droites est une préoccupation éloignée pour une grande partie des élus ruraux et de petites communes, même lorsqu’ils n’ont aucune affinité idéologique avec les frontistes. On peut même parler, au sein du corps des grands électeurs, d’un positionnement antisystème de certains, qui peut expliquer l’ampleur des gains engrangés par les candidats FN. Des élus «d’en haut» et des élus «d’en bas»? En quelque sorte.

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