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Hong Kong: #umbrellarevolution, anatomie d'un hashtag

Comment le mouvement prodémocrate est devenu la «révolution des parapluies».

Le 30 septembre 2014 à Hong Kong: «Nous voulons la démocratie». REUTERS/Bobby Yip
Le 30 septembre 2014 à Hong Kong: «Nous voulons la démocratie». REUTERS/Bobby Yip

Temps de lecture: 4 minutes

Jusqu'au week-end dernier, l'expression «umbrella revolution» pouvait désigner, au choix, une performance circassienne australienne, l'éclosion des parapluies au Kérala, en Inde, lors de la mousson, ou le branding éthique de Joyaux Marisol, petit fabricant new-yorkais de bijoux et de parapluies, qui reverse une partie de ses bénéfices à une organisation d'aide aux femmes victimes de violences sexuelles en République démocratique du Congo.

Avec la répression policière contre la grève et la manifestation des étudiants de Hong Kong, rejointe officiellement ce week-end par les organisateurs de la campagne Occupy Central, les images de jeunes gens opposant des parapluies aux tirs de gaz poivre et de lacrymogène se sont multipliées, devenant un nouveau symbole de la désobéissance civile. Comme cette photo de l'agence Reuters, déjà promise à un destin iconique.

Un manifestant, le 28 septembre 2014 à Hong Kong | REUTERS/Stringer

Il ne manquait qu'un nom. La première occurrence avérée de l'expression «révolution des parapluies» –et l'apparition du hashtag #UmbrellaRevolution– pour désigner la mobilisation de dizaines de milliers de Hongkongais contre le pouvoir central chinois remonte au 26 septembre, sur Twitter:

«Aureliano Buendía» –l'un des personnages du roman Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez– se présente comme un New-Yorkais de 40 ans nommé Adam Cotton, ayant travaillé dans la finance, puis pour le gouvernement serbe et pour les Nations unies. Il suit «de très près» l'actualité internationale –«notamment ces manifestations étudiantes romantiques».

«J'ai imaginé le terme “révolution des parapluies”, qui me semblait évident, écrit-il, mais je ne suis pas certain qu'il n'ait pas été inventé par d'autres, indépendamment.»

C'est plus que probable: avec quelque 300 abonnés au compte, le message est sans doute passé inaperçu sur le moment. L'irruption du hashtag #UmbrellaRevolution sur les réseaux sociaux serait plutôt à mettre au crédit de l'édition en ligne du quotidien britannique The Independent. L'agrégateur de news Newstral, basé à Palma de Majorque, a gardé trace de l'apparition de la formule, sous l'accroche «La révolution des parapluies: la police tire des gaz lacrymogènes sur les manifestants alors que la protestation s'intensifie».

L'article en question, lui, ne comporte nulle part l'expression «umbrella revolution» –ni dans le titre, ni dans le corps du texte– mais, comme l'explique Wieland Lindenthal, le patron de Newstral, ce n'est pas forcément étonnant. Son agrégateur indexe les articles à partir des pages d'accueil des sites d'information, sur lesquels les accroches sont amenées à fluctuer:

«Ce que vous avez trouvé sur notre site, explique-t-il, c'est le titre que The Independent a utilisé pour sa une hier, aux alentours de 13h18. J'ai regardé dans notre base de données, et de fait, c'est le premier gros titre qui utilise cette expression.»

La première occurrence significative de la «révolution des parapluies» ne perdurerait donc qu'à l'état d'empreinte résiduelle, sur un agrégateur un peu confidentiel. Mais elle n'a pas été perdue pour tout le monde, puisque le terme n'a, dès lors, cessé de se répandre.

Dans la soirée, #UmbrellaRevolution apparaît dans les tweets de journalistes basés à Hong Kong, comme Kelvin Chan, correspondant de The Independent. Le New-Yorkais Adrian Chen, ancien de Gawker resté célèbre pour avoir posé en tutu à la demande d'Anonymous, et qui compte à lui seul plus de 30.000 abonnés, le reprend à son tour.

Le hashtag vient compléter la panoplie de ceux déjà utilisés sur Facebook, Twitter ou Instagram pour rendre compte des événements (#OccupyCentral, #OccupyHK, #OccupyAdmiralty ou #HKStudentStrike). On le repère aussi sur les comptes de militants pour l'indépendance du Tibet, tel Jigme Ugen, président du Congrès national tibétain, le plus récent des partis en exil. Il semble qu'on doive à un compte pro-Tibet le premier logo «viral», mélange d'un parapluie et du sigle «peace & love». Il y en aura beaucoup d'autres.

Preuve qu'une dénomination n'est jamais anodine, celle-ci donne lieu, dans les marges, à une longue joute entre une poignée de comptes Twitter très militants. Le fond de la querelle (#UmbrellaRevolution venant «de l'extérieur», #OccupyCentral étant trop lié à l'organisation du même nom) fait partiellement écho à des débats au sein du mouvement étudiant lui-même quant à la place d'Occupy Central et de ses leaders, débats dont le South China Morning Post se faisait l'écho le 28 septembre.

Dans les faits, évidemment, les hashtags se sont cumulés, et #OccupyCentral reste le plus utilisé sur les réseaux sociaux. Mais la formule «révolution des parapluies» n'en a pas moins fait son apparition jusque dans la rue hongkongaise. Lundi matin un peu avant 9 heures (3 heures du matin heure française), Rishi Iyengar, correspondant de Time, postait cette photo d'une barricade érigée à la station de métro Causeway Bay:

Au même moment, l'expression était reprise par la journaliste du South China Morning Post Vivienne Chow, alors que les parapluies trouvaient une nouvelle utilité, moins dramatique –protéger, cette fois, les manifestants du soleil.

Elle était, dès lors, promise à un brillant avenir. Dans la journée de lundi, dans la foulée de The Independent –qui la reprenait, définitivement cette fois, pour titrer un portfolio–, elle s'est logiquement répandue dans l'écosystème médiatique, presse française comprise –Paris Match cultivant sa différence avec une très littérale «révolution de l'ombrelle».

Poétique, imagée, convoquant les références –de la révolution des Œillets à celles du Jasmin ou du Nil–, la formule est évidemment taillée pour (et largement par) les médias. À y regarder de près, elle tient du pari sur l'avenir, là où «Occupy» renverrait à un état de fait. Il est d'ailleurs significatif que, sur le terrain, le plus modeste «mouvement des parapluies» soit venu l'amender, sinon la concurrencer, et que #UmbrellaMovement ait fait à son tour son apparition dans les fils d'actualité des réseaux sociaux.

Pour son «inventeur» historique –qui a fait lundi 29 septembre son entrée dans Wikipédia sous son alias @Aureliano_no_24–, le parapluie n'est pas qu'une icône, c'est aussi un condensé saisissant de la force du mouvement étudiant hongkongais:

«L'usage des parapluies est l'un des éléments d'un aspect plus global de ces manifestations: elles ont été extraordinairement bien organisées. Les étudiants étaient très bien préparés à affronter le dispositif policier, en termes de protection physique comme d'organisation tactique. Ils ont travaillé dans la grande tradition de Gandhi et de Luther King, et je crois que ce sera une référence pour les années à venir. Quand les manifestants sont bien préparés, bien organisés, pour éviter au maximum les blessures dans leurs rangs et ceux des policiers, il devient extrêmement difficile à un Etat répressif de les contenir.»

«Révolution» ou «mouvement» des parapluies évoquent, au-delà des images, l'art de détourner un objet du quotidien pour en faire une arme de subversion massive. Voilà qui, en effet, valait bien un baptême.

Cet article a été mis à jour avec quelques précisions.

 

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