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Hong Kong: sans Instagram, la révolution est plus visible

Jusqu’à présent, les manifestations pro-démocratiques dans la région autonome n'avaient aucun impact sur les Chinois de Chine continentale –jusqu’à ce que Pékin interdise l’accès à la plateforme de photos.

Des manifestants se reposent à proximité d'un chantier de construction près du siège du gouvernement, le 28 septembre 2014 à Hong Kong. REUTERS/Tyrone Siu
Des manifestants se reposent à proximité d'un chantier de construction près du siège du gouvernement, le 28 septembre 2014 à Hong Kong. REUTERS/Tyrone Siu

Temps de lecture: 3 minutes

Alors que les manifestants et, selon certains, des réactions policières draconiennes ébranlent les rues de Hong Kong, d’amères récriminations submergent le cyberespace chinois à la suite d'une nouvelle occurrence de censure généralisée. Le 28 septembre, à la grande indignation des internautes chinois, la très populaire plateforme de partage de photos Instagram a brusquement disparu des écrans après l’explosion de manifestations pro-démocratiques dans la région autonome à statut spécial de Hong Kong, mouvements de protestation que la police a tenté de réprimer en tirant des gaz lacrymogènes sur la foule.

S’il n’existe pas de statistiques sur le nombre d’utilisateurs d’Instagram en Chine continentale, il ne fait aucun doute que cette plateforme y a beaucoup gagné en popularité ces dernières années, notamment parce que tant d’autres médias sociaux étrangers n’y sont pas accessibles (Instagram compte plus de 200 millions d’utilisateurs dans le monde, la plupart hors des Etats-Unis). Cette disparition ne semble pas due à un pépin technique, car Instagram fonctionne toujours à Hong Kong et ailleurs qu’en Chine. Ce n’est pas la première fois que ce site se retrouve dans le collimateur des autorités chinoises. En juillet, l’application avait déjà brusquement disparu des boutiques en ligne pour Android, le service ne restant utilisable que par ceux qui l’avaient déjà téléchargé.

S’il n’a pas été possible de confirmer immédiatement la vraie raison de cette disparition en Chine continentale, il est vraisemblable qu’elle soit liée au flux de photos des manifestations de Hong Kong.

La colère des manifestants a été provoquée par la décision de Pékin de rendre obligatoire, avant les élections, l’approbation par les autorités chinoises des candidats au poste de chef de l’exécutif de l’ancienne colonie britannique.

Wen Yunchao, blogueur chinois basé à New York et défenseur de la liberté d’expression, a confié à Foreign Policy que, d’après lui, le lien entre les deux ne faisait aucun doute. Avant sa disparition, «beaucoup de Chinois utilisaient Instagram pour partager des photos d’Occupy Central» explique-t-il, faisant référence au mouvement de désobéissance civile à l’origine des manifestations actuelles.

A l’aide des hashtags #hk, #hongkong et #occupycentral, les utilisateurs postaient des photos de soutien et de solidarité, notamment des images de ruban jaune sur fond noir et des slogans comme «Comment rester calme quand Hong Kong agonise» [référence à la mode des déclinaisons sur le thème «keep calm and carry on», propagande britannique durant le Seconde Guerre mondiale, utilisée depuis pour moquer le le flegme britannique, ndt]. @Edwinahipwellwong a posté: 

«Nous pleurons mais pas à cause des gaz lacrymogènes.»

Un autre utilisateur du nom de @Aobhinnzhang a publié la photo d’un jeune homme portant un masque à gaz avec la légende: «Ne lancez pas de gaz lacrymogènes—on arrive très bien à pleurer tout seuls.» 

Les autorités chinoises, dont les grands médias n’ont encore pipé mot des manifestations, ne souhaitent sans doute pas que les cybercitoyens soient informés des événements par ce biais.

Le gouvernement chinois purge régulièrement Internet des contenus considérés comme potentiellement déstabilisants.

En 2009, après des émeutes ethniques mortelles à Ouroumtsi (Ürümqi), dans la province chinoise reculée du Xinjiang, le gouvernement a bloqué l’accès à Twitter et Facebook. Aucun des deux sites n’est accessible en Chine depuis. Ni Instagram ni sa société mère Facebook n’a pour l’instant répondu aux demandes de commentaires envoyées par mail.

Sur Weibo, le Twitter chinois, de nombreux internautes maudissent la disparition du site, tandis que d’autres postent des émoticônes en larmes ou des captures d’écran de leur fil Instagram vide.

Un post Weibo, partagé plus de 4.000 fois, souligne qu’Instagram rejoint désormais les rangs des nombreux services Internet étrangers bloqués en Chine ces dernières années:

«Instagram a fini par rejoindre la famille de Facebook, Twitter, YouTube, Line et Snapchat. Adieu

Une foule de commentaires a surgi sous ce post, y compris cette observation sardonique, référence à l’existence totalement déconnectée d’Internet de la dictature voisine:

«On ne va plus pouvoir se moquer de la Corée du Nord

On peut aussi lire:

«Instagram, comme Malaysia Airlines, a soudainement disparu.»

Hu Jia, éminent activiste de Pékin, a confié à FP via Twitter qu’Instagram était extrêmement populaire parmi ses amis. Ai Weiwei, activiste et artiste réputé, figure parmi les «utilisateurs intensifs» de Chine.

Hu explique que la plateforme avait été largement adoptée en Chine car, contrairement à Facebook, Twitter et Youtube, elle n’avait pas encore été bloquée. Les autorités chinoises n’avaient pas prêté une grande attention à Instagram, justifie-t-il, parce qu’à leurs yeux, un site de partage de photos ne représentait pas une menace au même titre qu’un réseau social basé sur des écrits. Opinion qui a changé il y a quelques mois lorsque de plus en plus de photos du dalaï-lama ont été mises en circulation, raconte Hu.

La plateforme a également été utilisée pour faire circuler à Hong Kong des images de commémoration du mouvement pro-démocratique de la place Tiananmen de 1989, ainsi que celles d’une marche de protestation organisée dans la région autonome le 1er juillet dernier. «Les autorités ne veulent pas que les Chinois voient ce genre d’événements», ajoute Hu.

Certains utilisateurs de Weibo reprochent aux manifestants d’être la cause de la suppression d’Instagram. Mais beaucoup de Chinois ne semblent pas au courant de la situation à Hong Kong, ce qui n’a rien d’étonnant étant donné le black-out qui règne en Chine sur la détérioration de la situation et la censure des messages mentionnant Hong Kong sur Weibo. Weibo s’est également mis à bloquer les recherches comportant le mot-clé «Instagram», obligeant les utilisateurs désireux de protester contre sa fermeture à appeler le service «Ins».

Il est fort probable que la plupart des citoyens de Chine continentale ignorent tout des manifestations qui se poursuivent à Hong Kong. Cependant, il n’est pas inenvisageable que les discussions en ligne autour de la fermeture d’Instagram se retournent contre Pékin et conduisent des internautes chinois autrefois indifférents à subir personnellement l’impact d’événements qui se produisent ailleurs –internautes qui pourraient commencer à se demander pourquoi on leur retire une nouvelle fois un outil en ligne si populaire.

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