Parents & enfants

Allaitement: les hôpitaux «amis des bébés» ne sont pas toujours les «amis des mamans»

Ce label, créé par l'Unicef et l'OMS au départ à destination des pays où l'eau n'est pas potable, s'étend aux Etats-Unis, au Canada et en France. Au risque de culpabiliser les mères qui voudraient choisir le biberon.

Un bébé allaité dès la naissance, à Java, en 2007. REUTERS/Dwi Oblo
Un bébé allaité dès la naissance, à Java, en 2007. REUTERS/Dwi Oblo

Temps de lecture: 5 minutes

Dans la vingtaine de maternités «ami des bébés» en France, il n’y a pas de nursery séparée pour les nourrissons. Une des idées de ce label créé par l’Unicef et l’Organisation mondiale de la santé en 1991 est d’encourager le processus d’attachement et d’allaitement en laissant mère et enfant ensemble à tout moment pendant les premières 24 heures.

Le pédiatre Marc Pilliot, membre fondateur de cette initiative en France, explique que le personnel peut venir aider en cas d’accouchement difficile, mais que de toutes façons, la première nuit, les mères ne réussissent pas à dormir et préfèrent être avec leur bébé.

«Dans beaucoup de maternités, on propose aux mamans de prendre leur bébé la première nuit pour qu’elles puissent se reposer. Or, cela ne sert à rien puisque physiologiquement, elles sont trop excitées par la naissance

Pourtant, dans les faits, de nombreuses femmes dorment quelques heures la première nuit pendant que leur bébé est à la nursery. L’expérience n'est pas si rare, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un deuxième ou troisième enfant.

Sur le papier, les recommandations de l’initiative «ami des bébés» sont raisonnables. Il s’agit, entre autres, de former le personnel pour aider les mères à allaiter, de favoriser le peau à peau entre mère et bébé juste après la naissance (en reportant à plus tard certains soins basiques), et de rendre plus transparents les rapports financiers entre hôpitaux et industries des préparations infantiles.

De nombreuses mères qui ont accouché dans ces établissements trouvent l’environnement plus personnalisé et humain. Mais celles qui sont moins en accord avec la philosophie du lieu se sentent parfois jugées et peu soutenues si elles décident de ne pas allaiter. Parmi les remarques négatives sur les forums en ligne, on trouve aussi ce genre de commentaire: j'ai été «traitée comme une mère indigne parce que je demandais à ce qu'on me prenne ma fille une heure ou deux histoire de pouvoir me reconstituer un minimum».

Des hôpitaux qui «font du chiffre»

En fait, tout dépend de la façon dont la théorie pro-allaitement est mise en place dans les détails. Les mères épuisées doivent-elles insister lourdement pour qu’on prennent en charge leur nourrisson? L’utilisation du lait en poudre est-elle considérée comme une tragédie?

Tout d'abord, le terme «ami des bébés» est problématique en lui-même, car il semble impliquer que les autres hôpitaux ne sont pas amis des bébés, ou que donner le biberon revient à être l’ennemi de son bébé… Le Dr. Pilliot est d’accord pour dire que le terme est assez mal choisi, et lui préfère la version originale, «baby friendly».

Aux Etats-Unis et au Canada, où il existe plus d’hôpitaux de ce genre (190 aux Etats-Unis), et où même les hôpitaux non labélisés ont tendance à avoir une culture très tournée vers l'allaitement, certaines pratiques font débat.

Contrairement à la France, où aucun taux minimum n’est nécessaire pour obtenir la certification, aux Etats-Unis, il faut un taux de 75% d’allaitement exclusif à la sortie de la maternité.

Pour Suzanne Barston, une journaliste qui a créé un site de défense des mères qui nourrissent au lait artificiel, le personnel de ces hôpitaux devient parfois obnubilé par la nécessité de «faire du chiffre», au détriment du bien-être de certaines patientes.

Tout sauf le lait artificiel

Lorsque l’allaitement se passe mal, les consultantes en lactation ont souvent plusieurs interprétations différentes: le bébé est mal positionné, sa langue est mal placée, sa mâchoire bouge mal. Des mères racontent qu’on retarde l’introduction d’un biberon jusqu’au dernier moment, comme si c’était une tragédie à éviter à tout prix.

Dans certains de ces hôpitaux aux Etats-Unis et au Canada, les infirmères demandent même aux mères qui donnent le biberon de signer un formulaire indiquant qu’elles comprennent les «risques» du lait en poudre. Ainsi, dans les hôpitaux de la région de Fraser Valley au Canada, les non-allaitantes étaient ainsi prévenues:

«Donner même un seul biberon peut endommager la flore intestinale du petit et augmenter le risque de maladies

Le contrat a depuis été révisé à la suite de plusieurs plaintes, mais témoigne bien du dogmatisme qui règne dans certains établissements.

Paradoxalement, ces règles rigides en termes d’allaitement exclusif peuvent décourager certaines mères d’allaiter. Une professeure en pédiatrie de l’Université de San Francisco a conduit une étude montrant que l'utilisation de petites quantités de lait en poudre pendant les premiers jours pouvait encourager les femmes à allaiter plus longtemps, dans la mesure où cela rendait le processus moins contraignant. Valerie Flaherman explique:

«Nous pensons que dans les pays sans problèmes d'eau potable, l’initiative “ami des bébés” devrait être moins rigide en ce qui concerne l’utilisation de lait en poudre pendant les premiers jours… Par contre, il est important que ces règles restent fermes dans les pays en développement où l'eau n'est pas toujours propre.»

En effet, l'initiative a d'abord été mise en place pour les pays où de nombreux nourrissons tombaient malades à cause de l'eau utilisée dans leur biberon. La grande majorité des hôpitaux «baby friendly» sont actuellement en Afrique et en Asie, mais leur nombre augmente en Europe et en Amérique du Nord.

«Donner ce qu'il y a de mieux au bébé»

En théorie, l’initiative «ami des bébés» recommande également une éducation et un accompagnement pour les mères qui donnent le biberon, mais c’est rarement le cas, explique Suzanne Barston, qui est en train d’essayer de proposer aux hôpitaux une nouvelle formation qui prenne mieux en compte le bien-être phsyique et psychologique des mères et des familles.

Par exemple, une des recommandations officielles du label est de donner «aux nouveaux-nés allaités aucun aliment ni aucune boisson autre que le lait maternel, sauf indication médicale», et Barston voudrait que la fin de cette phrase soit changée ainsi: «sauf indication médicale ou demande venant des parents».

Via son site de «biberonneuse décomplexée», elle reçoit régulièrement des messages de mères qui font des efforts surhumains pour que leur enfant ne boive pas une goutte de lait artificiel pendant six mois au moins:

«De nombreuses femmes qui sont au bureau pendant la journée se réveillent régulièrement la nuit pour tirer du lait ou allaiter, car elles ont peur de ne pas assez produire de lait... Certaines sont très motivées, mais ce qui m’inquiète, c’est que beaucoup se sentent obligées de le faire à cause de tous les discours contre le lait artificiel. Je reçois tous les jours des emails de femmes qui me disent qu’elles avaient envie d’arrêter, mais qu’elles avaient peur de ne pas donner ce qu'il y a de mieux à leur bébé...»

Le problème de la mise en place de la culture «baby friendly», c’est qu’elle a tendance à renforcer cette diabolisation du lait en poudre, alors que les différences de bénéfices entre les deux types de laits ne sont pas si évidentes. Une étude récente a montré que les bénéfices de l’allaitement étaient probablement surestimés, dans la mesure où il est assez difficile de séparer l’impact du niveau socio-économique et du mode de vie des mères de l’impact strict du lait maternel sur la santé.

Des mamans «jugées» au millilitre

Malgré tout, certains blogs célèbrent les sacrifices de mères qui souffrent pour allaiter à 100%.  Sur Alpha Parent, une mère témoignait en avril 2013 de son calvaire: tétons crevassés qui saignent, infection, fièvre, utilisation du tire-lait toutes les trois heures, même la nuit, afin d'augmenter la production. Pour elle, tous ces désagréments valaient largement le coup:

«Je suis triste quand une mère décide de ne pas allaiter sans avoir essayé. L’allaitement m’a permis de développer un lien inexplicable avec mon enfant.»

«C'est la nouvelle rhétorique de la maternité, conclut Suzanne Barston, on mesure la valeur des mères en millilitres de lait

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