Politique / France

Faites chauffer votre calculette: on vous explique le mode d'élection (complexe) des sénateurs

Ou pourquoi l'élection de la Haute Assemblée est sans doute la plus complexe de France.

Au Sénat, en février 2014. REUTERS/Charles Platiau.
Au Sénat, en février 2014. REUTERS/Charles Platiau.

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Six mois après les municipales, quatre mois après les européennes, la France va voter à nouveau. Vous ne le saviez pas? C'est normal! Vous n'êtes peut-être ni député ni sénateur ni conseiller général (départemental, maintenant) ni conseiller régional ni maire ni conseiller municipal ni délégué d'un conseil municipal. Si vous n'êtes rien de tout ça, c'est-à-dire «grand électeur», alors vous n'êtes pas directement concerné: le 28 septembre, ce sont tous ces gens-là qui vont participer au renouvellement de la moitié des sénateurs qui siègent au palais du Luxembourg, à Paris.

Vous l'avez donc compris, cette consultation ne se déroule pas au suffrage universel direct. C'est-à-dire qu'elle n'invite pas tous les citoyens français de 18 ans et plus, jouissant de leurs droits civiques, à se rendre aux urnes pour voter... sans obligation de remplir leur devoir électoral. Les élections sénatoriales se font au suffrage universel indirect: on dit qu'il s'agit d'un scrutin au second degré où des élus élisent eux-mêmes d'autres élus, comme outre-Atlantique, par exemple, pour l'élection du président des Etats-Unis. Et aux sénatoriales, le vote est obligatoire (sous peine d'une amende de 100 euros), d'où une participation qui frise les 100%.

Plus de 87.000 «grands électeurs»

Selon l'excellent dossier consacré à cette consultation par le site du Sénat, ce sont 87.534 «grands électeurs» qui vont élire ou réélire les 178 sénateurs de la série 2 –les 170 de la série 1 ont été renouvelés en 2011– pour un mandat de six ans. Avant une réforme opérée en 2003, les sénateurs étaient élus pour une durée de neuf ans et le Sénat était renouvelable par tiers tous les trois ans.

On peut noter, au passage, que ce changement de loi fait qu'une partie des sénateurs désignés en 2004 ont été élus dans les faits pour sept ans, comme ceux de l'Orne, ceux des départements d'Ile-de-France (Paris compris) et certains d'outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Mayotte, Saint-Pierre et Miquelon), qui ont été renouvelés en 2011. En revanche, une autre partie de cette fournée 2004 –du Bas-Rhin (67) à l'Yonne (89)– aura siégé pendant dix ans, les sénateurs de ces départements n'étant soumis à renouvellement que cette année.

Vous l'avez compris également, cette élection n'est pas nationale puisqu'elle ne concerne qu'une partie des départements: 58 en métropole –de l'Ain (01) à l'Indre (36), du Bas-Rhin (67) à la Haute-Savoie (74), la Seine-Maritime (76), et des Deux-Sèvres (79) au Territoire de Belfort (90)– et un d'outre-mer (Guyane), auxquels s'ajoutent quatre collectivités ultra-marines (Saint-Barthélemy, Wallis et Futuna, Saint-Martin et la Polynésie française) ainsi que les sénateurs représentant les Français établis hors de France (ils sont six).

Au final, cela représente donc 178 sénateurs... mais en fait, le 28 septembre, les «grands électeurs» en éliront 179 car il y aura une sénatoriale partielle. Elle est provoquée par l'élection de Jean Arthuis au Parlement européen en mai dernier: cet ancien ministre (centriste) de l'Économie et des Finances (1995-1997) était sénateur de la Mayenne, un département non-renouvelable dans la série de 2014. Il y aura quatre autres candidats (PC, PS, Vert, FN) face à la candidate centriste, Elisabeth Doineau, qui a toutes les chances d'être élue au vu des résultats antérieurs obtenus par Arthuis en 2011.

Pour pouvoir se présenter, il faut avoir au minimum 30 ans, être de nationalité française et jouir de ses droits civiques. Une quatrième règle non-écrite veut que l'impétrant soit un peu connu du corps électoral restreint du département où il se présente, s'il envisage de glaner des voix. Comme le Sénat «assure la représentation des collectivités territoriales de la République», aux termes de l'article 24 de la Constitution, l'écrasante majorité de ses membres dispose d'un mandat de maire ou de conseiller municipal, de conseiller général ou de conseiller régional. Ceci explique cela.

Et pour pouvoir être électeur, on l'a vu dès le début, il faut détenir un mandat politique électif. Les députés, sénateurs, conseillers généraux et régionaux représentent une minorité du corps électoral: moins de 5%! En fait, l'écrasante majorité des électeurs (plus de 95%, donc) est constituée par les maires et, surtout, tous les conseillers municipaux des communes de plus de 9.000 habitants des départements concernés mais aussi les délégués élus par les conseils municipaux des villes plus petites (1 délégué pour les conseils de 7 et 11 membres, 3 pour les conseils de 15 membres... et ainsi de suite jusqu'à 15 délégués pour les conseils de 27 et 29 membres). Et pour compléter le tableau, il y a aussi des délégués supplémentaires (1 par tranche de 800 habitants) désignés dans les communes de plus de 30.000 âmes. A 30.800 habitants, il y a un délégué en plus des élus du conseil municipal, à 31.600, il y en 2, etc.

La proportionnelle pour plus de parité

Là où ça commence à se corser sérieusement, c'est quand on entre dans le vif du sujet: le mode de scrutin. Comme tous les départements n'envoient pas le même nombre de sénateurs au palais du Luxembourg, tous les sénateurs ne décrochent pas leur siège de la même manière.

Les départements les moins peuplés ne comptent pas plus de deux sénateurs: le scrutin y est uninominal majoritaire à deux tours. Pour être élu au premier tour, il faut rassembler sur son nom au moins la moitié des suffrages exprimés plus un et obtenir au minimum un nombre de voix égal au quart des électeurs inscrits; si un second tour est nécessaire, une majorité relative suffit pour être élu. Ce mode de scrutin s'appliquera dans 35 circonscriptions (dont la Mayenne pour remplacer Arthuis), qui éliront 60 sénateurs.

Les départements «urbanisés» comptent plus de deux sénateurs et jusqu'à sept dans le Rhône ou huit dans les Bouches-du-Rhône: le scrutin y est proportionnel plurinominal, ou bien de liste. Les listes présentées sont bloquées, c'est-à-dire que les «grands électeurs» ne peuvent ni changer l'ordre ni les noms. Ce mode de scrutin s'appliquera dans 29 circonscriptions, ainsi que pour l'élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France (ils sont désignés par les députés élus par les Français installés à l'étranger, par des conseillers consulaires et des délégués consulaires): il concernera 119 sénateurs. 

On peut noter qu'en dehors du siège vacant de Mayenne, département non renouvelable, trois autres n'ont pas de titulaire actuellement: l'un est en Charente-Maritime (département renouvelable), le deuxième est celui de Saint-Martin, une île des Caraïbes, et le dernier était occupé par Gaston Flosse, en Polynésie française, qui a été déchu de plein droit de son mandat, le 16 septembre, après sa condamnation définitive dans une affaire d'emplois fictifs.

Sur les 344 sénateurs siégeant jusqu'au 28 septembre (348 moins les quatre sièges vacants), 80 sont des sénatrices, soit un peu plus de 23%. En 1998, la proportion de femmes au Sénat n'était que de... 5,6%.

Cette féminisation est le résultat de plusieurs modifications législatives. Une première loi, votée sous le gouvernement Jospin, en 2000, a instauré la parité sur les listes (alternance homme/femme ou inversement) dans les départements à la proportionnelle; une seconde, adoptée sous le gouvernement Ayrault, en 2013, a étendu la proportionnelle aux départements élisant au moins trois sénateurs, au lieu de quatre précédemment. Cette dernière réforme, combinée à la précédente, devrait accroître encore le nombre de sénatrices en 2014.

Armez-vous d’un crayon, d’une calculatrice… et de patience

Arrivé à ce stade, vous brûlez d'envie de savoir comment sont désignés les sénateurs élus au scrutin de liste à un tour. Avant de s'armer d'un crayon et d'une calculette, il ne faut pas oublier qu'il s'agit de la proportionnelle à la plus forte moyenne. Le plus simple est de choisir un département –les Bouches-du-Rhône, par exemple– et de voir comment s'est faite la répartition des 8 sièges en 2008.

Dans un premier temps, il faut déterminer le quotient électoral, en divisant le nombre de suffrages exprimés (2.999 dans le cas d'espèce) par le nombre de siège à attribuer (8). Ce quotient est de 374,9. Il faut ensuite diviser le nombre des voix de chacune des listes en présence par ce quotient électoral. Le chiffre entier obtenu donne le nombre de sièges distribués à chacune par cette première salve arithmétique.

Avec 1.686 suffrages, la liste socialiste conduite par Jean-Noël Guérini (aujourd'hui dissident du PS) avait obtenu quatre sièges (1.686:374,9). Celle conduite par Jean-Claude Gaudin pour la droite (1.182 voix) en avait décroché trois. Les autres listes ayant des scores inférieurs au quotient, elles ne pouvaient pas se voir attribuer de siège lors de ce premier tour de table, au terme duquel il restait un siège à pourvoir.

Pour le deuxième round, il faut attribuer fictivement un siège supplémentaire à celles qui en ont déjà et en donner tout simplement un aux autres pour diviser à nouveau le score de chaque liste par le nombre «fictif» de sièges obtenus. Ainsi, pour la liste Gaudin, cette opération donnait 295,5 –soit 1.182:(3+1)–, alors que la liste Guérini, elle, aboutissait à 337,2 –1.686:(4+1). Toutes les autres listes avaient des résultats marginaux. Le huitième siège revenait donc au PS, qui en obtenait cinq au total contre trois pour l'UMP.

Dans certains cas, il peut se produire qu'une liste recueillant moins de suffrages que le quotient électoral obtienne quand même un siège. C'était le cas, par exemple, dans les Alpes-Maritimes en 2008, où cinq sièges étaient à répartir (comme en 2014). Le quotient y était de 357,4 –soit 1.787:5. Avec 858 voix, la liste de la majorité sénatoriale (droite) était la seule à avoir obtenu deux sièges lors de la première tournée. Au deuxième tour de calculette, cette liste avait une moyenne de 286 –soit 858:(2+1)– alors qu'une liste divers droite était à 328 –soit 328 voix:1–, ce qui lui permettait de prendre le troisième siège. Pour le quatrième, il fallait recommencer l'opération et là, il revenait encore à la liste de la majorité sénatoriale, qui avait toujours une moyenne à 286 alors que la liste divers droite était passée à 164 –soit 328:(1:1). Enfin, le dernier siège était attribué à la liste socialiste qui, avec 254 voix, avait une moyenne plus élevé que ses deux rivales.

Ne vous inquiétez pas. Le 28 septembre, ce sont les calculettes des partis et les ordinateurs des préfectures qui feront les opérations de répartition des sièges! Et le Sénat communiquera ensuite la composition de chaque groupe politique. Mais sachez que 5 des 21 sénateurs communistes sont renouvelables, ils sont 65 sur 128 au groupe socialiste, il n'y en a aucun à renouveler parmi les 10 écologistes, 12 sur 19 au Rassemblement démocratique et social européen (RDSE, radical), 13 sur 31 chez les centristes de l'UDI-UC et 77 sur 130 à l'UMP. Il faut ajouter à ce tableau quelques sénateurs non-inscrits à renouveler et la poignée de sièges vacants à pourvoir, et le compte sera bon.

Il n'y a plus qu'à attendre le changement de majorité, le Sénat étant promis à un retour à droite et à l'arrivée d'un nouveau président –Jean-Pierre Bel (PS), le sortant, ne se représente pas dans l'Ariège–, qui sera élu par ses pairs le 1er octobre.

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