Tech & internet / Économie

L'entreprise est beaucoup moins high-tech que ses salariés? Ce n'est pas grave

Avant, les objets innovants étaient bien trop cher pour qu'on les acquière sans passer par sa boîte. Aujourd'hui, c'est l'inverse qui se produit, les salariés se comportant un peu comme des bêta-testeurs.

Une bougie. REUTERS/Yara Nardi
Une bougie. REUTERS/Yara Nardi

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Il fut un temps où les salariés découvraient en allant au travail les produits dernier cri: ordinateur personnel, suites logicielles, liaison Internet, voire smartphone. C'était à l'époque –pas si lointaine ma foi– où ces équipements et abonnements étaient bien trop coûteux pour que le grand public ne puisse envisager de les acquérir. 

Depuis quelques années cependant, le mouvement s'est inversé. Les smartphones grand écran, les tablettes? Le grand public les a adoptés bien avant qu'ils ne trouvent droit de cité dans l'univers professionnel. Au point que le BYOD (bring your own device: apportez votre propre matériel) s'est imposé comme une évidence. Le cloud, avec ses apps, son stockage et sa synchronisation des données, la possibilité de partager en ligne des documents? Encore aujourd'hui, il est proportionnellement bien plus fréquenté par les particuliers que par les salariés. Bref, les entreprises sont aujourd'hui constamment à la traîne de l'innovation.

Si l'on en croit Dominique Turcq, fondateur de Boostzone, un «institut de recherche de conseil aux dirigeants et de formation», ce constat n'est pas simplement conjoncturel. Dans son ouvrage, Eloge du retard de l'entreprise, il s'applique à le démontrer.

Certes, le monde économique regorge de grandes –et petites– entreprises innovantes. Mais elles sont rarement en avance en dehors de leur domaine propre de compétences.  En creusant un peu, l'on se rend compte que même les géants à la réputation la plus innovante, comme Google, Facebook ou Free sont en retard, du moins sur certaines choses. «Tout se passe, dans la réalité, comme si la course à la compétitivité était, de fait, une course pour combler des retards et non seulement une course pour marquer des points d’avance», conclut-il. Pour ceux qui en douteraient, Dominique Turcq propose une liste des éventuels points sur lequel votre entreprise, aussi, est peut-être en retard:

les terminaux électroniques: même si votre société a tout, pouvez-vous sans difficulté accéder à tous les services qui vous semblent si naturels chez vous?

les bureaux: il est rare qu'ils permettent tout à la fois de travailler concentré, de parler avec ses collègues, et surtout: l'espace de travail, aujourd'hui est aussi un espace virtuel fait de réseaux sociaux, par exemple. 

les logiciels: bien souvent, leur usage est bien moins intuitif que celui des softwares utilisés à la maison. Ils exigent encore souvent... des jours de formation.

l'organisation: à l'heure où l'innovation vient de la confrontation des idées et des compétences plus que du savoir, les entreprises ont du mal à organiser leurs matrices pour la favoriser.

les systèmes: de la réservation des salles à l'adoption de nouvelles technologies, l'entreprise décide souvent de manière hiérarchique quand, dans la vie quotidienne, les innovations se répandent de façon transversale. 

le big data: le consommateur est un plus gros consommateur d'algorithmes et d'analyse de données –via les sites Internet qu'il fréquente– que le salarié, qui, souvent, peine encore à consolider toutes les données qui peuvent lui être utiles dans son travail.

• l'imprimante 3D: selon Dominique Turcq, elle séduira les particuliers avant d'entrer dans les entreprises.

Bref, la révolution numérique (entre autres) a mis l'entreprise à la ramasse. Et si ce n'était pas si grave? Après tout, être en retard sur ses salariés n'implique pas nécessairement d'être en retard sur ses concurrents. Et l'important reste bien de garder un train d'avance sur ces derniers. Alors justement: les chefs d'entreprise doivent se mettre au judo, nous explique-t-il. Ils doivent, autrement dit, apprendre à utiliser les forces des autres –autrement dit l'appétence de leurs collaborateurs pour les nouvelles technologies– pour les retourner à leur profit. Pas trop tard, pour que les concurrents ne leur coupent pas l'herbe sous le pied, mais pas trop tôt non plus.  Le retard, en effet, n'a pas que des mauvais côtés:

Il évite de foncer tête baissée: il est facile de dresser la liste de toutes les innovations que l'entreprise a ratées. Mais combien a-t-elle eu raison de ne pas adopter, qui, une fois l'effet d'annonce passé, se sont complètement dégonflées? Et combien d'entreprises ont mis la clé sous la porte pour avoir innové trop tôt? Attendre un peu évite ce genre de déconvenues.

Le retard évite d'avoir à essuyer soi-même les plâtres: les technophiles le savent bien, qui, bien souvent, se transforment en débugueurs au prix fort.

Il permet de ne pas avoir à convaincre ses salariés: une fois une innovation déjà adoptée par le grand public, la résistance au changement sera moindre.

Et surtout, il constitue un aiguillon au changement. Il interdit de se reposer sur ses lauriers. 

Reste à savoir comment attendre, sans totalement louper le coche. Dominique Turcq lance quelques pistes de réfléxion.

Attendre, tout d'abord, ne signifie pas rester immobile, ou fermé. Mais regarder, être en veille, avant de décider de l'attitude à tenir. Mieux vaut ainsi, par les temps qui courent, regarder attentivement tout ce qui commence par «co» (collaboration, coworking, etc.) ou inclut le terme «data» (big data, data scientist, etc.) : cela peut donner des idées, tant dans son organisation interne, que dans les produits et services proposés. 

Ecouter peut être très simple:  il s'agit d'abord de regarder ce que font et disent les salariés de l'entreprise. Le management a donc lui aussi son rôle à jouer pour favoriser les échanges, l'écoute, la remontée des informations, même si, dans ce domaine, l'ouvrage ressemble à un manuel de management pêchant un peu par son manque d'originalité. 

Rester zen constitue aussi un atout. Vous êtes en retard, y compris sur vos concurrents? Vous en serez quitte pour peaufiner encore mieux votre idée, car il n'est jamais trop tard, ou presque, pour innover. Parfois même, le retard permettra d'aller séduire les clients déçus par l'innovation de vos concurrents: notamment si l'innovation manque de contenu humain, et laisse, au bout d'un moment, le consommateur frustré. 

Eloge du retard de l'entreprise 

Dominique Turcq

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