Politique / France

La gauche ne devrait pas se réjouir du retour de Nicolas Sarkozy

Il peut paraître trop clivant et plombé par les affaires, mais il peut aussi être le mieux à même de reformuler le discours de droite pour qu’il colle aux mutations de l'électorat populaire

Des affiches superposées de François Hollande et Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle 2012. REUTERS/Stéphane Mahé.
Des affiches superposées de François Hollande et Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle 2012. REUTERS/Stéphane Mahé.

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Entre autres malédictions, la vie politique française souffre de l’invraisemblable propension des battus par le suffrage universel à croire qu'une défaite est annonciatrice de futurs succès. Le scrutin présidentiel offre d’innombrables exemples de cette coupable obstination.

François Mitterrand puis Jacques Chirac ont franchi le porche de l’Elysée après avoir essuyé deux échecs (en 1965 et 1974 pour le premier, en 1981 et 1988 pour le second). Valéry Giscard d’Estaing a tenté, à de multiples reprises, de revenir dans la course présidentielle après sa courte défaite de 1981.

Plus discrètement, Lionel Jospin a voulu, lui aussi, retenter sa chance malgré son engagement de quitter la vie politique en 2002. Au soir de son échec de 2007, Ségolène Royal avait même promis d’emmener ses électeurs vers «d’autres victoires», et elle n’a pas manqué de se remettre sur les rangs en 2012.

Avec de tels précédents, aucun esprit censé ne pouvait croire Nicolas Sarkozy lorsqu’il avait annoncé, dès sa campagne de 2007, qu’il abandonnerait le combat politique en cas d’insuccès. Chez les animaux politiques de cette envergure, on ne quitte pas aisément l’arène pour couler des jours paisibles, même en gagnant beaucoup d’argent. La politique est une drogue dure dont peu de pratiquants de haut niveau parviennent à se désintoxiquer.

La gauche se réjouit un peu vite

Or, donc, comme il était mille fois prévisible, «Sarko» revient. A gauche, on dissimule mal son contentement. C’est avec une gourmandise souriante que François Hollande a fait observer lors de sa conférence de presse que ceux qui avaient «gouverné hier ou avant-hier» pouvaient légitimement y prétendre pour «demain ou après-demain».

En plein désarroi, les socialistes se raccrochent à l’espoir que le revenant de la droite détournera sur sa personnalité, ô combien clivante, quelques-unes des flèches qui s’abattent sur leur camp. Le calcul n’est pas forcément faux tant le feuilleton médiatique se plaît à varier ses cibles.

On ne s’étonnera pas que Marianne, organe officiel et gagnant de l’antisarkozysme de 2007 à 2012, se réjouisse sans retenue que le monstre aux doigts d’acier, qui n’aurait «pas changé», fasse prochainement son retour sur les écrans. Mais la réapparition de l’ancien maire de Neuilly-sur-Seine suscite également de réjouissantes moqueries de la part d’éditorialistes de droite.

Et les sarcasmes pleuvent à droite

Dans L’Express, Christophe Barbier traite Sarkozy de «rustine» et s’inquiète du probable «vacarme plébiscitaire et pavlovien des militants UMP» pour finir par prévoir qu’il s’enfermera «dans sa propre prison». Dans Le Point, Franz-Olivier Giesbert s’en prend avec virulence à la «petite claque» qui entoure l’ancien président, oubliant au passage les nombreux ralliements dont il a récemment bénéficié:

«Au train où vont les choses, M. Sarkozy serait bien inspiré de faire les réunions du courant sarkozyste au palais de justice, où ses obligés ont leurs habitudes.»

La somme considérable de casseroles judiciaires que traîne l’ancien chef de l’Etat constitue sans aucun doute le principal obstacle à ses ambitions futures –et explique même pour une part son retour précipité dans la mêlée de l’UMP. Mais les attaques croisées, de droite et de gauche, dont Sarkozy sera immanquablement la cible ne seront pas forcément pour lui déplaire.

Face au conformisme hollandais

Si l’ancien président est résolu à reprendre le contrôle de l’UMP, il ne souhaite pas apparaître comme le simple chef de la droite. Tout en faisant la part de ses rodomontades habituelles, il faut prendre au sérieux sa volonté de «tout renverser, tout changer, tout révolutionner».

Le contraste entre l’audace sarkozyenne, aussi verbale soit-elle, et le conformisme hollandais, chaque jour confirmé, risque d’être cruel. Le président actuel s’est enfermé dans un discours doloriste –peut-être hérité de son ancien delorisme, l’ancien président de la Commission européenne étant lui-même très porté sur la pénitence économique.

Le dure ligne de «compétitivité» du chef de l’Etat apportera peut-être des «résultats avant 2017», comme il l’espère. Les économistes n’en sont pas tous persuadés. De toutes manières, ce pari tournant tout entier autour de l’objectif de «l’emploi», mariant curieusement fatalisme et volontarisme, ne répond pas aux attentes plus complexes de la société française.

L’émouvante maladresse avec laquelle Hollande a reconnu la culpabilité de la gauche gouvernante dans la montée du Front national en témoigne. Il ne suffit pas de faire preuve, une fois de plus, d’une compassion superficielle pour que les peurs et autres angoisses de nos fragiles concitoyens s’apaisent.

Pari d’une nouvelle transgression

Avec son discours étroitement macroéconomique, le président actuel ne parle guère aux Français, ni même «à la gauche», comme le déplore jusqu’à Laurent Joffrin. Ce manque narratif, maintes fois souligné, offre un espace à l’inventivité d’un ancien président certes intellectuellement peu rigoureux mais convaincu de l’importance des idées en politique.

«Sarko II» ne se laissera pas aisément enfermer dans les trois alternatives que Hollande a décrites pour brocarder ceux qui osent songer à une autre politique que la sienne: la sortie de l’euro (FN), le libéralisme débridé (Fillon) et la fuite dans les déficits (la gauche du PS).

S’il devait s’avérer capable de confectionner un cocktail idéologique aussi efficace que celui qui lui avait permis de gagner en 2007 –ce qui n’a rien d’assuré compte tenu de sa démonétisation persistante dans l’opinion–, Sarkozy redeviendrait un redoutable adversaire.

Le conformisme d’une gauche gouvernante mollement convertie à un libéralisme économique équilibré par un libéralisme culturel lui autorise une manœuvre idéologique de contournement sur sa «droite» comme sur sa «gauche». On peut très bien imaginer Sarkozy pilonner les réformes sociétales du PS en s’appuyant sur l’aile la plus droitière de l’électorat tout en caressant l’électorat populaire d’un discours social fallacieusement audacieux.

L’ancien président a bien saisi l’obsolescence des frontières traditionnelles: «Les gens ne se reconnaissent pas dans les clivages droite-gauche, européen-souverainiste, libéral-dirigiste, parlementariste-présidentiel», aurait-il dit récemment, selon Le Point. C’est un atout par rapport à Fillon ou Juppé, qui raisonnent encore comme si l’essentiel était de réunir le «centre» et la «droite». C’est aussi un avantage vis-à-vis d’un PS qui croit se protéger par l’étendard de la «gauche» en agitant la menace lepéniste.

Jouer avec le feu

Sarkozy s’emploiera à reformuler le discours de droite pour qu’il colle mieux aux mutations d’un électorat populaire de plus en plus segmenté et guetté par l’individualisme. Au lieu de brandir la liberté, «il faut au contraire attaquer l'égalitarisme par les différences», suggère-t-il. Gaël Brustier a sans doute raison de qualifier cette orientation de «conservatisme nouveau», mais cela n’enlève rien à sa possible efficacité. 

La réapparition d’un face-à-face Hollande-Sarkozy aura des effets peu prévisibles sur le devenir du FN. Les tirs croisés, souvent justifiés, que se lanceront les deux camps accentueront vraisemblablement le dégoût de nombreux Français pour le jeu politique traditionnel. La tentation de mettre dans le même sac les deux rivaux profitera logiquement au lepénisme.

Inversement, l’éventuelle capacité de Sarkozy à répondre, avec les recettes démagogiques qu’on lui connaît, aux craintes et aspirations des couches populaires pourrait sérieusement concurrencer le projet mariniste. Car son objectif principal est bien et bien de redégonfler à nouveau l’électorat d’extrême droite. Quitte à jouer avec le feu comme il l’a déjà fait, à de nombreuses reprises, dans le passé

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