Économie

La crise du logement en cinq questions

Le départ de Cécile Duflot du gouvernement, en avril dernier, est une bonne chose. Mais le chapeau que l’on veut désormais faire porter à l’ancienne ministre est un peu trop large: elle est loin d’être la seule responsable de la chute de la construction de logements en France. Résumé de la situation en cinq questions-réponses.

À Paris en 2011. REUTERS/Mal Langsdon.
À Paris en 2011. REUTERS/Mal Langsdon.

Temps de lecture: 9 minutes

1.Duflot est-elle vraiment responsable de la baisse de l'activité dans le secteur de la construction?

Oui et non

Non, car cela fait des années que la construction de logements se situe nettement au-dessous des chiffres qu’il aurait été nécessaire d’atteindre pour mettre un terme à la pénurie de logements dans ce qu’il est convenu d’appeler les zones «tendues» (Ile-de-France, Paca, etc.).

La crise de 2008 n’a pas arrangé les choses. Dans la France entière, un sommet avait été atteint en 2006 avec près de 478.000 logements mis en chantier. En 2009, on est retombé à moins de 311.000. Malgré un rebond temporaire en 2010 et 2011 (jusqu’à 355.000), les chiffres sont ensuite repartis à la baisse.

Ainsi que le constate Catherine Carely, présidente de la chambre des notaires de Paris, qui n’a aucune raison d’être indulgente envers la gauche, surtout au moment où le gouvernement annonce une réforme de sa profession, «la faiblesse de l’activité immobilière est le reflet du marasme économique du pays».Mais si le chiffre des mises en chantier retombe cette année vers 300.000, on peut assurément penser que Cécile Duflot y est pour quelque chose.

Par chance, l’ex-ministre du Logement s’est montrée moins dogmatique que les militants de son parti, Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Elle a accepté de donner son nom à un mécanisme de réduction d’impôt pour ceux qui investissent dans la pierre. Le «Duflot» a été souvent critiqué, il n’a pas atteint tous ses objectifs, mais il a mieux marché qu’on ne le dit. Elle a aussi fait figurer dans la loi Alur un dispositif d’encadrement des loyers auquel à gauche on a reproché de permettre de nouvelles hausses pour les loyers les plus faibles alors qu’il aurait fallu, selon ces adversaires du texte, les bloquer carrément.

Mais, si le pire a été évité, la loi Alur a tout de même fait des dégâts. Dans l’absolu, Cécile Duflot n’avait pas tort de vouloir mettre un peu d’ordre dans des professions immobilières dont les pratiques sont souvent contestables, mais il y avait d’autres priorités à prendre en compte. Elle n’a pas mené la bonne politique au bon moment. Car elle n’était pas la bonne personne au bon endroit.

Confier ce ministère à l’ancienne secrétaire nationale d’EELV était une grossière erreur. Pour les Verts, les constructeurs de logements sont par définition des bétonneurs, donc des gens qu’il faut constamment surveiller, encadrer, brider. Pour eux, si beaucoup de gens n’arrivent pas se loger et si les loyers sont trop élevés, c’est d’abord et principalement de la faute des propriétaires. Avec des raisonnements de ce genre, on n’est pas près de résoudre le problème du logement en France.

2.Le détricotage de la loi Duflot suffira-t-il à relancer la machine?

Non, certainement pas

D’ailleurs, tout n’est pas à jeter dans la loi Alur. Par exemple, depuis le 15 septembre, les honoraires facturés par les agents immobiliers aux locataires pour la mise en location d’un logement sont plafonnés. On peut supposer que beaucoup de Français s’en réjouiront.

Mais il était nécessaire de donner un signal fort du retour à plus de pragmatisme. Dans les mesures annoncées le 29 août par Manuel Valls et Sylvia Pinel, on trouve un point 6 ainsi intitulé: simplifier et recentrer la loi Alur. L’objectif est précisé de façon lapidaire:

«Rétablir la confiance des investisseurs et combattre l’attentisme.»

On ne saurait être plus clair. La loi Alur a été validée le 20 mars; il n’a pas fallu plus de six mois pour constater qu’elle ne correspondait pas aux besoins du moment et qu’il était nécessaire d’en neutraliser les dispositions les plus néfastes. Mais cela n’implique pas qu’il faille tout jeter.

Les mesures annoncées le 29 août ne sont pas négligeables: aménagement du système d’imposition de la plus-value sur la cession de terrains à bâtir, du prêt à taux zéro et du dispositif Duflot (renommé Pinel) et diverses mesures de simplification des procédures et des normes. Mais il faut noter que certaines des dispositions fiscales adoptées ont un caractère temporaire. Or tous les professionnels concernés sont unanimes sur un point: l’investissement immobilier s’inscrit dans la durée. L’assurance d’une stabilité des règles fiscales à un horizon d’au moins quatre ou cinq ans est indispensable. Sur ce point essentiel, un doute demeure.

La question du foncier est également primordiale. Or les annonces faites jusqu’ici d’accords sur la libération de terrains par des entreprises publiques concernent des terrains dont l’existence est connue depuis longtemps, souvent pollués et parfois situés dans des zones où personne n’a envie d’habiter.

Seule bonne nouvelle en ce domaine: Sylvia Pinel a mis sur pieds fin juillet une commission nationale de l’aménagement, de l’urbanisme et du foncier qui est présidée par Thierry Repentin, un homme qui connaît bien le dossier. Mais il ne faut pas se faire d’illusions: même si cela va dans la bonne direction, cela prendra du temps.

3.Le nouveau dispositif Pinel est-il un cadeau fait aux riches?

Oui, mais pour la bonne cause!

Cécile Duflot ne cache pas son amertume face aux nouvelles mesures, notamment en ce qui concerne la disposition qui permet de profiter de l’aide fiscale pour un appartement loué à un ascendant ou à un descendant.

Il est vrai que, d’une façon générale, ces dispositifs ne sont pas très satisfaisants, et le Duflot ne faisait pas exception, puisque, en somme, c’est la collectivité qui aide des personnes disposant de revenus relativement élevés à se constituer un patrimoine. Mais, plutôt que de dénoncer aujourd’hui ces mesures, l’ancienne ministre ferait mieux de se demander pourquoi il est encore nécessaire d’y recourir, malgré tous les défauts qu’on leur connaît.

Si la location de logements était une activité toujours très rentable et sans risque, il n’y aurait pas besoins d’incitations fiscales particulières pour attirer les investisseurs. Mais ce n’est pas le cas. Donc, même si c’est discutable, il faut bien prendre des mesures fiscales attrayantes.

La vraie question concernant ces dispositifs est leur efficacité.

Ils comportent des différences selon la zone dans laquelle l’investissement est réalisé, mais cela n’empêche pas qu’ils incitent à «construire des logements là où les besoins sont inexistants», comme le dénonce aujourd’hui Cécile Duflot, qui ne disait pas cela quand le dispositif portait son nom. Et cette faiblesse des dispositifs conçus à l’échelle nationale énerve beaucoup les spécialistes des questions immobilières, à commencer par Gilbert Emont, conseiller à l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF):

«Notre pays jacobin ne veut pas reconnaître les territoires et donc les mesures nationales ne marchent pas parce qu’elles ne répondent pas au problème tel qu’il se pose. On aura toujours des crises du logement tant qu’on n’organisera pas le pays en territoires socio-économiques ayant chacun une politique adaptée à ses besoins. Le logement n’est pas un problème national, mais le problème de cinq régions,  de dix départements et d’une trentaine d’agglomérations.»

La réforme en cours de l’organisation de la carte des régions permettra peut-être de réduire la taille du mille-feuille administratif et d’en atténuer le coût. Elle ne conduira pas à une meilleure gestion des réalités économiques, car les nouvelles régions sont construites à partir des anciennes, elles-mêmes bâties à partir des départements dont la forme et la taille avaient encore un sens dans la France rurale d’il y a un siècle, mais ne correspondent plus à rien.

Par exemple, souligne Gilbert Emont, «l’aire urbaine de Paris est supérieure à la région Ile-de-France; elle comporte des communes de Picardie, de Normandie ou du Centre». Autrement dit, la simplification en cours de la carte administrative n’a aucun sens sur le plan des territoires, la vraie réforme consisterait à organiser la vie administrative et économique autour des treize ou quatorze métropoles (agglomérations de plus de 400.000 habitants) recensées par Marylise Lebranchu dans sa loi de modernisation de l’action publique territoriale. Mais une telle révolution fait peur aux élus de droite comme de gauche; on veut bien moderniser, mais sur la base des bons vieux schémas et des fiefs politiques de chacun...

4.Manuel Valls a-t-il raison d'abandonner l'encadrement des loyers?

Oui, complètement

En France, les loyers sont déjà encadrés de diverses manières. Comme partout, ils se heurtent d’abord aux réalités économiques, et en premier lieu à la capacité financière des locataires.

Si les loyers sont en hausse faible depuis le début de l’année, voire en légère baisse dans certaines villes, les locataires ne le doivent pas aux responsables politiques ou administratifs, mais tout simplement à l’impossibilité pour les propriétaires d’obtenir des loyers supérieurs compte tenu de la réalité économique locale.

Les loyers sont par ailleurs régulés dans le secteur social, ce qui n’est pas négligeable: 17,5% des ménages sont locataires dans le secteur social (avec des pourcentages de plus du double dans les grandes agglomérations) contre 21,7% dans le secteur privé. Et, pour les locataires du privé, la hausse des loyers est strictement réglementée: elle doit se faire au rythme de l’IRL, indice de référence des loyers. En fait, les hausses ne peuvent se faire que pour les appartements qui changent de locataires.

Un autre encadrement se fait également par le biais des plafonds prévus pour les loyers des appartements construits dans le cadre des plans de défiscalisation (Pinel, Duflot, etc.). La liberté des propriétaires est donc toute relative.

Un encadrement plus strict qui concernerait uniquement les relocations supposerait des bases de données complètes et fiables. Après la publication de la loi Alur, il est apparu très vite qu’on allait au-devant de grandes difficultés pour définir des loyers médians comme le réclamait la loi dans 28 agglomérations. C’est essentiellement cette considération pratique qui a poussé Manuel Valls à abandonner cette idée et à ne maintenir l’encadrement qu’à titre d’expérience pilote à Paris. D’autres collectivités, comme Lille, Grenoble ou la région Ile-de-France souhaitent mettre en place un tel encadrement. Pourquoi pas? On verra ce que ce que donnent ces expériences.

Même si l’encadrement tel qu’il était voulu par la loi Alur semble avoir eu pour principal effet de faire fuir les investisseurs, il peut être intéressant, partout où cela est possible, de dresser un panorama des loyers aussi précis que possible. Un marché ne fonctionne correctement que si acheteurs et vendeurs ont une information correcte sur les prix, sachant que la constitution de telles bases de données a un coût.

L’ancienne ministre a jugé «inouïe» la décision de Manuel Valls et elle cite volontiers en exemple l’Allemagne qui a un tel dispositif d’encadrement. Cécile Duflot oublie deux choses: l’Allemagne a une population qui n’augmente plus, à la différence de la France qui a une démographie dynamique, et elle ne connaît pas de pénurie de logements comme en France; ce n’est pas l’encadrement des loyers qui explique leur faiblesse par rapport à ceux qui sont pratiqués en France, mais le fait qu’il n’y a pas le décalage entre offre et demande que nous connaissons ici dans certaines zones. Près de 58% des Français sont propriétaires de leur logement contre 46% en Allemagne. Ce pays a un marché locatif plus profond et plus fluide que le nôtre et les investisseurs institutionnels y sont très présents. Cela explique beaucoup de choses.

Un encadrement des loyers peut être utile pour éviter des abus, mais son rôle ne peut être que marginal; l’important, c’est de mettre sur le marché le nombre d’appartements correspondant aux besoins réels.

5.Les prix vont-ils chuter dans l'immobilier?

Ce n'est ni évident, ni vraiment souhaitable

C’est un des débats du moment. Il est alimenté par des travaux d’économistes montrant que la forte hausse des prix au cours des quinze dernières années a conduit à des niveaux excessifs, sans rapport avec la réalité économique, et donc qu’une chute brutale est inévitable. Elle serait même souhaitable, car elle permettrait à plus de Français d’acquérir un logement et aurait pour conséquence de stabiliser les loyers. Ces travaux sont intéressants et menés avec sérieux; on pense en particulier au livre de Jean-Luc Buchalet et Christophe Prat[1]. Mais leur conclusion paraît excessive.

Premier point: encore une fois, on ne peut pas raisonner comme si la France constituait un seul marché immobilier. Les écarts sont considérables selon les régions et les agglomérations. Tous les prix n’ont pas flambé et ce qui se passe à Paris (en gros, 200% de hausse des prix en quinze ans et de 40% des loyers, pour une hausse de 35% des revenus) n’est pas représentatif de ce qui se passe ailleurs dans le pays.

Second point: l’immobilier constitue une part essentielle du patrimoine des Français. Une chute de 30% des prix dans les années à venir, outre qu’elle n’a aucune signification (sur la plupart des marchés locaux, une telle baisse n’a aucune raison de se produire) aurait pour première conséquence d’entretenir le climat de déflation que la Banque centrale européenne et les gouvernements tentent de combattre. Ce serait une mauvaise nouvelle pour tout le monde.

Que des ajustements doivent avoir lieu, compte tenu de la conjoncture nationale et locale, c’est une évidence. D’ailleurs, ils se font, ainsi que le montrent les dernières statistiques de prix dans l’ancien recueillies par les notaires, avec des différences selon les marchés: la baisse de 1,9% entre le premier trimestre 2013 et le premier trimestre 2014 dans la France métropolitaine cache une baisse supérieure à 3% du prix des maisons dans plusieurs départements et une nouvelle hausse, même faible, du prix des appartements dans certaines agglomérations. Mais il ne faut pas attendre d’un effondrement général la solution de tous nos problèmes.

La solution, notamment en région parisienne, passe d’abord par la construction de logements, sachant que le problème des prix à Paris intra muros est un cas particulier, celui d’un hyper-centre: dans un périmètre qui ne peut plus s’étendre et où on ne peut construire que quelques milliers d’appartements par an, avec une présence notable d’acheteurs étrangers et des contraintes d’urbanisme très fortes, laisser entrevoir une baisse importante des prix, c’est entretenir des illusions.

L’avenir, c’est évident, est au Grand Paris et c’est dans ce cadre qu’il faut raisonner.

1 — Immobilier, comment la bulle va se dégonfler, Jean-Luc Buchalet et Christophe Prat, Editions Eyrolles Retourner à l'article

 

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