Économie / Société

Smart city, ville créative, gentrification... n'ayez plus peur des mots de l'urbanisme

Notre chroniqueur Julien Damon publie avec Thierry Paquot «Les 100 mots de la ville» le 24 septembre. Petite sélection de notions dans l'air du temps.

<a href="https://www.flickr.com/photos/jazminmillion/7219659586">Canada's Cultural Capital (ID:11291)</a> / Jazmin Million via Flick CC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0/">License By</a>
Canada's Cultural Capital (ID:11291) / Jazmin Million via Flick CC License By

Temps de lecture: 7 minutes

N'ayez plus peur des mots de l'urbanisme grâce au livre de notre chroniqueur Julien Damon et de Thierry Paquot, Les 100 mots de la ville, qui paraît dans la collection Que sais-je? le 24 septembre. Voici sept définitions extraites du livre qui vous permettront de briller en société en incarnant le parfait urbain du XXIe siècle.

Smart City

Etre smart, c’est recourir à un réseau toujours plus puissant d’infrastructures et de services numériques. C’est aussi être in, classe, à la mode. Or, il faut toujours se méfier un peu de la mode. Et faire attention à ne pas se payer de mots.

La «ville intelligente»: promesse ou chimère? Solution à un ensemble de problèmes anciens et nouveaux ou bien ensemble de solutions techniques en quête de marchés et de problèmes à résoudre? En tout cas, ce n’est pas la ville qui est elle-même intelligente (à l’inverse, que serait une ville sotte?), ce sont, d’abord, ses habitants, ses élus, son administration, ses entreprises.

Une métropole intelligente c’est, aussi, une ville qui optimise les informations et circulations urbaines, à l’ère de la révolution numérique. Le sujet est international et concerne l’ensemble des zones urbaines, des plus opulentes aux plus déshéritées, des plus anciennes aux plus récentes. S’il n’est absolument pas certain que la donnée puisse autant changer la ville que l’électricité (comme le soutient une partie de la littérature spécialisée) ni que le big data conduise à transformer la gestion municipale en Big Brother (comme le soutient une autre partie de la littérature spécialisée), le sujet n’en reste pas moins capital. L’approche «smart» n’est pas la solution miracle aux problèmes de gestion locale et elle apporte ses problèmes (de sécurité des réseaux et de maîtrise technologique notamment). Mais c’est une entrée pour innover dans les relations entre habitants et villes.

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Ville créative

Pourquoi résidez-vous dans cette ville plutôt que dans telle autre? La réponse n’est jamais simple. Il s’agit d’un cocktail aux ingrédients subtils et au dosage savant. Le succès d’une ville ne repose jamais sur la même combinaison.

Géographe de formation, Richard Florida a rencontré le succès en cherchant à conceptualiser l’attractivité à partir de ce qu’il baptise la ville créative (Cities and the Creative Class). Il considère qu’une ville est créative si elle entremêle au mieux les trois «T» («Technologie, Talent et Tolérance»), qui reposent sur les trois composantes de la classe créative, à savoir les mordus des technologies de pointe (qui déposent des brevets et sont performants en data et autres applications numériques), les «bohémiens» (ou artistes qui expriment le talent dans sa diversité) et les gays (qui assurent un haut degré de tolérance).

Cette approche contestée dès l’origine, et à laquelle Florida a ajouté un quatrième «T» (pour «territoire», soulignant l’importance des données naturelles), a connu un succès planétaire. De nombreuses villes se sont emparées de cette approche pour nourrir leur marketing urbain et, plus concrètement, leurs projets d’aménagement. Avec une visée: progresser dans les classements internationaux et nationaux de villes. Aux problèmes de définition s’ajoutent tout de même des questions fondamentales d’évaluation (la réussite d’une ville est-elle vraiment fonction de cette classe créative aux frontières floues?).

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Droit à la ville

Le droit à la ville est typique de ces nouveaux droits créances (les «droits à») que le législateur affirme mais dont l’observateur cherche le contenu et la portée. En France, une loi d’orientation pour la ville (1991) le promeut comme le droit pour les habitants à «des conditions de vie et d’habitat favorisant la cohésion sociale et de nature à éviter ou à faire disparaître les phénomènes de ségrégation». A l’échelle internationale, UN-Habitat, l’agence de l’ONU en charge des villes, assure également la promotion de la notion en tant qu’outil de soutien aux droits de l’homme et de lutte contre les inégalités urbaines.

La paternité de l’expression revient au philosophe français Henri Lefebvre. Cet intellectuel marxiste, pourfendeur des technocrates et défenseur des services publics, plutôt utopiste et autogestionnaire, souhaitant une reconquête de la ville par le peuple, considère que les regroupements urbains aiguisent les contradictions et les aliénations générées par le capitalisme. Dans son ouvrage Le Droit à la ville (Anthropos, 1968), il prône le respect d’un «droit à la vie urbaine» pour tous ceux qui habitent, au premier rang desquels les membres de la classe ouvrière. Englobant droit au logement et droit au travail, on y ajouterait maintenant, certainement en accord avec Lefebvre, un droit au temps. Droit d’accès aux services urbains, mais aussi droit de changer la ville en fonction des besoins, ce droit serait une réponse au déploiement et au dévoiement capitalistes.

De façon contemporaine, le droit à la ville s’analyse à travers les liens entre fonctionnements urbains et normes juridiques. Le corpus juridique qui fait la ville (comme espace physique, comme réalité dynamique et comme objet politique) est particulièrement dense: de l’occupation des sols à la participation des habitants en passant par la régulation des activités économiques. Il existe bien du droit produit à destination de la ville mais aussi du droit créé par la ville; du droit dans la ville, du droit de la ville et –dernière figure– du droit à la ville (comme accès garanti à un minimum de services urbains).

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Banlieue

Pour le Larousse, «n. f. (de ban, juridiction, et lieue): ensemble des localités qui environnent une ville et participent à son existence». Rien à voir avec le bannissement. Urbanistes et aménageurs vont considérer qu’il s’agit du territoire urbanisé entourant la ville et dépendant d’elle. En grandissant, en s’étendant, les villes ont souvent absorbé une partie de leurs périphéries et de leurs faubourgs (qui ont toujours intrigué, voire fait peur). Les banlieues sont nées de la révolution industrielle, avec des communes autonomes en couronne, comportant, pour certaines, de l’habitat ouvrier et, pour d’autres, de l’habitat résidentiel se substituant aux maraîchers et autres activités rurales.

Deux réalités et images s’opposent: d’un côté des banlieues cossues, de l’autre des banlieues dites «sensibles» ou défavorisées. Une ville de banlieue peut accueillir une classe moyenne heureuse dans ses maisons individuelles avec barbecue, comme elle peut contraindre une autre partie de la classe moyenne à des mobilités éreintantes et à des cohabitations délicates et parfois conflictuelles. Surtout, un modèle européen (un centre-ville relativement aisé entouré de banlieues défavorisées), se distinguerait d’un modèle américain (un centre-ville dégradé avec une périphérie mieux lotie, la suburb). La diversité des situations locales, et, surtout, les dynamiques en cours (paupérisation relative des banlieues américaines, observations de hauts niveaux de difficultés dans certaines parties des centres villes français) ne permettent pas de conclure sur des formes immuables de la géographie de la pauvreté.

Souvent assimilées, en France, aux «grands ensembles» d’habitat social, les banlieues sont dépréciées. Leur développement a longtemps été envisagé comme une solution, en particulier pour un logement moins coûteux. Leurs problèmes, concentrés dans certains quartiers bien spécifiques, et qui ne se trouvent pas forcément d’ailleurs en dehors des frontières des villes centres, marquent les difficultés des politiques d’intégration, d’urbanisme et de lutte contre le chômage. Mal vu et très souvent moqué par Paris, il faut tout de même imaginer que le banlieusard peut être satisfait.

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Périurbain

Les territoires périurbains, loin des quartiers où exercent les élites politiques et économiques, font l’objet d’un certain mépris. Présentant une empreinte environnementale excessive et alimentant l’étalement urbain, avec des habitants suspects de conservatisme et de conformisme, le périurbain n’a pas bonne presse. Célébré par des promoteurs immobiliers, décrié avec condescendance ou dégoût par nombre de journalistes et d’experts engagés, le périurbain occasionne des discours très discordants. Des portraits relatent une dispersion anarchique, une consommation excessive de terres et d’énergie, un regroupement de ménages de classes moyennes reléguées ou paupérisées qui souhaitent se protéger. La France des pavillons et des lotissements, de la bagnole et du barbecue, a longtemps renvoyé l’image de l’ascension et du standing moderne des classes moyennes. Il n’y a pas cependant recoupement intégral entre ce groupe social et cette catégorie territoriale. 

Les diverses définitions du périurbain, morphologiques (le périurbain comme lotissements d’habitat pavillonnaire) ou fonctionnelles (le périurbain comme espaces discontinus mais en lien avec une agglomération), n’amènent jamais à y recenser plus de 20 % à 25% de la population tandis que les diverses définitions des classes moyennes en regroupent toujours, aujourd’hui, largement plus (généralement deux fois plus).

Par ailleurs, le périurbain n’est pas uniforme et ses habitants présentent plus de diversité que d’homogénéité. Il y a certainement un périurbain forcé qui, s’il manque de qualités, de services et d’équipements, préserve à la fois des cités réputées dangereuses et des coûts devenus trop élevés de la ville. Il y a aussi un périurbain favori, avec valorisation de la végétation et des pavillons. Contre l’image d’un périurbain pauvre, à la périphérie des métropoles, les taux de pauvreté sont très inférieurs dans les espaces périurbains (toutes définitions confondues) que dans les grands pôles urbains.

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Bobo

Maintenant souvent moqué, le bobo est un personnage typiquement urbain, à idées dites progressistes, évoluant dans des quartiers bien identifiés. Contraction de «bourgeois-bohème», née sous la plume d’un journaliste américain, David Brooks (Bobos in Paradise. The New Upper Class and How They Got There, 2000), il remplace d’abord le yuppie (acronyme de Young Urban Professional) des années 1980. Progressiste et tolérant, disposant d’un niveau de vie relativement élevé, exerçant souvent dans le secteur de la création (de l’art à l’informatique), il est censé vivre dans des quartiers particuliers. Ces derniers sont dits «gentrifiés» ou «embourgeoisés», voire «boboïsés».

S’il est difficile, et inutile, de tenter de circonscrire précisément la population ainsi désignée, c’est parce que bobo désigne d’abord des attitudes, des prises de positions et un mode de vie. Assurément accessible d’abord à des populations relativement favorisées, le mode de vie bobo est contesté notamment en ce qu’il conduirait au renchérissement du coût de la vie locale (hausse des loyers, boutiques chics, restaurants branchés…). Il est également vertement désapprouvé car il appellerait à tolérer ce à quoi il n’est pas vraiment confronté et que vivent des catégories plus populaires (incivilités, problèmes d’intégration). Plus que des individus, plus même que des manières d’habiter et de consommer en ville, l’expression est maintenant surtout employée afin de caractériser certains quartiers qui, sans être traditionnellement huppés, rassemblent des catégories sociologiquement homogènes. En théorie. De façon caustique, les observateurs mettent au jour, dans les villes, de petits «bobolands».

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Gentrification

Calque de l’anglais «gentrification» (de gentry, «petite noblesse»), la gentrification est un processus qui voit la population d’un quartier se transformer, passant d’une catégorie sociale n à une catégorie sociale n+1.

Synonyme, pour les uns, d’embourgeoisement, désignant, pour les autres, des mécanismes urbains plus spécifiques, la gentrification désigne aussi l’état de certaines parties de ville qui ont vu leurs habitants remplacés par des catégories plus aisées. La gentrification est, encore, une manière de désigner, souvent pour les désapprouver, des politiques ayant pour conséquence, voire pour visée, l’éviction des pauvres.

L’existence de quartiers gentrifiés est le fait de mécanismes écologiques classiques de ségrégation et de remplacement. C’est également le fait de gentrificateurs, élus, promoteurs et aménageurs qui produisent une ville pour des catégories plus aisées. Plus fondamentalement, la gentrification résulte des habitants dont les attentes, consommations et modes de vie induisent l’augmentation des prix (de l’immobilier comme des commerces) et, partant, le départ de populations moins aisées. Le sujet est académiquement sensible car il emporte bien des débats sur les volumes et les responsabilités du phénomène.

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Les 100 mots de la ville

Julien Damon et Thierry Paquot. PUF, Que Sais-Je?

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