France

Projections: on est le lendemain des régionales de 2015 et le FN a remporté deux super-régions, Nord-Picardie et Paca

Une analyse des possibles résultats si le rapport de forces politique était semblable à celui des dernières européennes.

Carte réalisée par Slate.fr. Données: Thomas Guénolé.
Carte réalisée par Slate.fr. Données: Thomas Guénolé.

Temps de lecture: 7 minutes

Le politologue Thomas Guénolé nous présente le résultat de ses projections électorales pour les régionales de 2015, élections dont le calendrier n'est pas encore fixé par le gouvernement, et qui seront les premières à entériner le redécoupage des régions et la réduction de leur nombre, décidée par le président de la République et encore discutée au Parlement (le texte a été voté en première lecture par le Sénat puis l'Assemblée, mais les deux Chambres sont en profond désaccord).

Vous pouvez lire directement l'analyse de ces résultats ci-dessous. 

Pour comprendre la méthode utilisée, cliquez ici.

Une grève du vote en légère hausse

Disparate selon les régions, l’abstention va de 54% des électeurs inscrits (par exemple en Aquitaine-Poitou-Limousin) à 64% en Corse. L’ampleur de cette grève du vote est en progression de quelques points par rapport aux niveaux atteints lors des régionales de 2010.

Des résultats spectaculaires pour le FN, qui gagnerait deux régions

L’extrême droite frôlerait, atteindrait ou dépasserait la barre des 30% dans cinq régions: le Nord-Picardie (36%), Paca (33%), l’Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne (30%), la Normandie (29%) et la Bourgogne-Franche-Comté (28%). Sur 13 régions, il n’en est que deux où le FN arriverait sous la barre des 20%: l’Ile-de-France et la Bretagne, toutes deux à 17%. Le FN arriverait même premier, au premier tour du scrutin, dans 3 régions: le Nord-Picardie, Paca et Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon.

Au second tour, le FN serait en tête dans deux régions: le Nord-Picardie et Paca. Grâce à son score et à la prime de 25% des sièges qu’obtient la liste en tête au second tour, il remporterait ces deux régions.

Comme toujours depuis que Marine Le Pen a pris la tête du parti, ces succès ne s’expliqueraient toujours pas par une progression de l’électorat FN dans l’électorat total: le réservoir ne dépasserait toujours pas 14% des électeurs inscrits. En revanche, le FN mobiliserait 70% de ce réservoir aux élections régionales, alors que la mobilisation électorale moyenne serait elle de l’ordre de 45%.

Le Front de gauche éliminé partout au premier tour

Par un paradoxe étrange, alors que la moitié de l’électorat de gauche dans son ensemble rejette la ligne socio-économique Hollande-Valls, les listes autonomes du Front de gauche ne capitaliseraient toujours pas sur ce «non de gauche». Ne franchissant nulle part la barre des 10% des suffrages exprimés, elles seraient éliminées partout au premier tour.

A noter cependant qu’en Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon (9%) et en Aquitaine-Poitou-Limousin (8), le Front de gauche ne passerait pas loin de la qualification.

Une gifle pour les listes PS-PRG-EELV

Si l’on garde à l’esprit que les résultats au premier tour additionnent d’emblée les forces du PS, des Verts et des radicaux de gauche, la gifle serait assez rude. L’attelage des partis de la majorité présidentielle obtiendrait par exemple seulement 21% en Normandie, seulement 20% en Bourgogne-Franche-Comté et dans le Centre, seulement 18% en Nord-Picardie.

Du reste, les listes PS-PRG-EELV arriveraient derrière celles du FN dans 6 régions sur 13: Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne (19% contre 30%), Bourgogne-Franche-Comté (20% contre 28%), Centre (20% contre 27%), Corse (14% contre 23%), Normandie (21% contre 29%) et Paca (18% contre 33%).

Au second tour, la gauche bénéficierait du renfort de voix des listes du Front de gauche, éliminées dès le premier tour. Toutefois, malgré cet appoint, les listes PS-PRG-EELV n’arriveraient en tête que dans 3 régions sur 13: Aquitaine-Poitou-Limousin (35%), Bretagne (31%), Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon (36%).

Pire encore, dans 7 régions sur 13, elles arriveraient en troisième position derrière les listes UMP-UDI-MoDem et les listes FN: Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne, Bourgogne-Franche-Comté, Centre, Corse, Nord-Picardie, Normandie et Paca.

Pour la coalition UMP-UDI-MoDem, l’union dès le premier tour s’avèrerait payante

Avec des écarts très significatifs d’une région à l’autre, le score de la coalition de la droite et du centre tournerait autour de 30% des suffrages exprimés.

Les listes UMP-UDI-MoDem arriveraient en tête au premier tour dans 10 régions sur 13: Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne (33%), Aquitaine-Poitou-Limousin (30%), Bourgogne-Franche-Comté (31%), Bretagne (30%), Centre (32%), Corse (30%), Ile-de-France (34%), Normandie (30%), Pays de la Loire (34%) et Rhône-Alpes-Auvergne (32%).

Au second tour, la situation serait modifiée par le renfort de voix dont les listes PS-PRG-EELV bénéficient sur leur gauche. Cependant, les listes UMP-UDI-MoDem conserveraient leur première place dans 8 régions sur 13: Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne, Bourgogne-Franche-Comté, Centre, Corse, Ile-de-France, Normandie, Pays de la Loire et Rhône-Alpes-Auvergne.

A noter qu’aux deux tours du scrutin, la coalition UMP-UDI-MoDem arriverait derrière le FN dans 3 régions sur 13: Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon (25% contre 27%), Nord-Picardie (27% contre 36%) et Paca (30% contre 33%).

Le FN gagnerait 2 régions, la gauche 3, la droite et le centre 8

Grâce à son score de second tour et à la prime de 25% des sièges qu’obtient la liste arrivée en tête, le FN remporterait donc 2 régions sur 13: Nord-Picardie et Paca.

Dans 3 régions, même avec la prime de 25% accordée à la liste arrivée en tête du second tour, ni la coalition conduite par l’UMP ni celle conduite par le PS n’atteindrait à elle seule la barre de 50% des conseillers régionaux. Dans ce contexte, la droite et la gauche n’auraient qu’une seule possibilité pour qu’un président de région soit élu: un accord gauche-droite de «désistement républicain». Grâce au désistement de la gauche, la coalition UMP-UDI-MoDem remporterait ainsi 3 régions: la Bourgogne-Franche-Comté, la Corse et la Normandie.

En ajoutant à ces 3 régions celles où le score de la droite et du centre est suffisant, avec la prime de 25% des sièges, pour l’emporter sans «désistement républicain» de la gauche, la coalition UMP-UDI-MoDem gagnerait au total 8 régions sur 13: Alsace-Lorraine-Champagne-Ardennes, Bourgogne-Franche-Comté, Centre, Corse, Ile-de-France, Normandie, Pays de la Loire et Rhône-Alpes-Auvergne.

La coalition PS-PRG-EELV, pour sa part, ne remporterait que 3 régions sur 13: Aquitaine-Poitou-Limousin, Bretagne et Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon.

Leadership renforcé à droite et en danger à gauche, le FN en position «anti-UMPS»

Les leaders de l'UMP et de l’Alternative UDI-MoDem pourraient au final se prévaloir d’un très grand succès électoral pour leurs familles politiques.

A gauche, la conséquence principale serait d’affaiblir encore plus le soutien à la ligne Hollande-Valls au sein de la majorité PS-PRG-EELV à l’Assemblée nationale. L’autre grande conséquence serait de renforcer l’opposition à cette ligne à l’intérieur du PS, et les partisans chez EELV du rapprochement avec le Front de gauche sur le «modèle grenoblois». Conséquence annexe: en privant encore davantage d’adhérents du PS soit de mandat d’élu, soit d’emploi en collectivité territoriale, ces régionales pourraient accroire le potentiel victorieux du rejet de la ligne Hollande-Valls au PS. Pour peu qu’un congrès national du parti finisse par être convoqué, Jean-Christophe Cambadélis pourrait perdre sa place de premier secrétaire du PS, et le soutien à la ligne Hollande-Valls être mis en minorité.

Quant au FN, il réaliserait l’exploit, sans précédent dans son histoire, de remporter à lui seul 2 régions sur 13. Par ailleurs, dans toutes les autres régions, il remporterait grosso modo entre un cinquième et un tiers des sièges de conseillers régionaux, ce qui constituerait une progression spectaculaire. Par ailleurs, puisque le mode de scrutin de l’élection du président de région a forcé la droite et la gauche au «désistement républicain» dans 3 régions sur 13, le FN gagnerait là une excellente fenêtre de tir pour dénoncer une supposée convergence «UMPS».

Méthodologie: comment arrive-t-on à ce résultat?

En 2010, les élections régionales avaient reproduit assez fidèlement les comportements de vote aux élections ayant eu lieu un an plus tôt: les européennes de 2009. Peu ou prou, on avait constaté d’une année sur l’autre le même taux d’abstention, la même percée spectaculaire des Verts par «effet Cohn-Bendit», la même chute du MoDem et la même stabilité du socle de l’UMP et de ses satellites.

 

La première hypothèse fondamentale de mes prévisions électorales est la suivante: les prochaines élections régionales de 2015 reproduiront cet effet de répétition, envers les européennes de 2014 cette fois.

 

La seconde hypothèse fondamentale est qu’à l’occasion de ce scrutin, c’est bien le nouveau découpage régional adopté cet été qui sera en vigueur.

 

En outre, puisque le gouvernement ne prévoit pas de toucher aux règles de vote, mes prévisions n’y touchent pas non plus. Cinq règles en particulier sont cruciales:

1. il y a deux tours de scrutin;

2. une liste doit avoir atteint au premier tour au moins 10% des suffrages exprimés pour avoir le droit, au second tour, de se maintenir ou de fusionner avec une autre liste;

3. à partir des résultats du second tour, les sièges de conseillers régionaux sont répartis à la proportionnelle;

4. la liste arrivée en tête du second tour bénéficie d’un bonus de 25% des sièges;

5. une fois installés, les conseillers régionaux doivent faire autant de tours de vote qu’il le faut jusqu’à ce qu’ils parviennent à élire le président de la région avec la moitié de leurs voix plus une voix.

A partir de toutes ces hypothèses de travail, j’ai tout simplement repris les résultats des européennes de 2014 par départements, et j’ai assemblé les résultats des départements conformément au découpage régional de cet été.

Cependant, à l’issue de mes premiers calculs, trois forces politiques flirtaient dangereusement avec la barre disqualifiante des 10% en présentant des listes indépendantes au premier tour: l’Alternative UDI-MoDem, Europe Ecologie-Les Verts et le Front de gauche.

J’ai donc ajouté trois hypothèses à mes calculs:

1. Pour éviter de multiples disqualifications, les centristes feront liste unique avec l’UMP dès le premier tour.

2. Les écologistes ont l’habitude des accords électoraux avec le PS, tandis que l’idée d’accords avec le Front de gauche les divise. Donc, pour les mêmes raisons que les centristes, les écologistes feront liste unique avec le PS dès le premier tour.

3. Dans le contexte de la ligne socio-économique sociale-libérale du gouvernement Valls 2, il est difficile pour les forces du Front de gauche, même face au danger de disqualification, de faire liste commune avec le PS dès le premier tour. Donc, le Front de gauche conservera ses listes autonomes au premier tour.

Du reste, que le Front de gauche opte pour l’autonomie ou la liste commune change les scores du premier tour du scrutin, mais c’est sans impact significatif sur les scores du second tour. Je pars en effet du principe que le score de second tour d’une liste PS-PRG-EELV après disqualification du Front de gauche ou le score de second tour d’une liste unitaire PS-PRG-EELV-Front de gauche serait le même.

 

Le principal point faible de ce modèle prévisionnel est qu’il ne permet pas de prévoir les reports de voix des multiples petites listes qui auront été éliminées au soir du premier tour des élections régionales. Cette variable suffira probablement à modifier significativement les scores d’une poignée de points au second tour. Dans plusieurs régions (par exemple la Bretagne), c’est suffisant pour modifier l’ordre d’arrivée du trio «droite-centre/gauche/extrême droite».

 

Deuxième grand point faible difficilement évitable: si d’ici les élections, la conjoncture socio-économique évolue nettement dans un sens ou dans un autre (en particulier le niveau du chômage et/ou de la pression fiscale), cela aura nécessairement un impact, par définition imprévisible aujourd’hui, sur les scores des listes portant les couleurs du gouvernement Valls II.

 

Last but not least, compte tenu des taux colossaux d’abstention dans les collectivités d’outre-mer lors des européennes de 2014, j’ai constaté que ces résultats n’étaient pas extrapolables. Donc, j’ai estimé plus sage de n’en déduire aucune prévision électorale ultramarine en vue des régionales de 2015.

 

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