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Réformes: le rêve, la réalité et le cauchemar français

Les Français sont favorables aux réformes et le gouvernement se dit enfin prêt à les lancer. Seuls les parlementaires de tous bords y font obstacle. Dans ce contexte, trois scénarios sont possibles pour les mois qui viennent.

François Hollande, le 29 août 2014 à l'Elysée. REUTERS/Christophe Ena/Pool
François Hollande, le 29 août 2014 à l'Elysée. REUTERS/Christophe Ena/Pool

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On ne sait s'il faut en créditer François Hollande qui paraît toujours plus conduit par les événements qu'il ne leur commande. Mais le fait est là: après deux ans et demi au pouvoir, il a opéré un tournant complet.

Au départ lancé sur les bases d'un socialisme traditionnel pour qui les hausses d'impôts «sur les riches» et le capital (les entreprises) étaient la clef à tout, le voilà, après glissements progressifs, sur les bases du socialisme de la «troisième voie» de Blair et de Schröder pour qui, inversement, l'offre (les entreprises) est la clef de la croissance, de l'emploi et du social. Manuel Valls et Emmanuel Macron incarnent cette ligne désormais claire.

Pour une gauche qui a toujours honni Tony Blair comme un «social-traitre», cette conversion est historique et une majorité ne s'en remet pas ou mal. Pour les «frondeurs», le gouvernement est, en somme, celui de «Valls Street». Pour une droite qui a toujours calé devant les mesures nécessaires aux entreprises, la situation est embarrassante et inédite.

La France, pour résumer, arrive à un moment où elle devrait pouvoir avancer unie et avec élan dans la direction empruntée avec succès par les autres pays et qui conduira à son salut. Mais est-ce vraiment possible? Le pays y est-il prêt? Les partis politiques peuvent-ils dépasser leurs petits intérêts pour le grand, celui du pays? Il y a trois scénarios possibles: le rêve, la réalité et le cauchemar.

1.Le rêve

Le rêve naît, précisément, d'une prise de conscience collective de l'état du pays et de l'urgence. Les Français savent, au fond d'eux, que la France est très gravement atteinte dans ses fondements. Les mauvais chiffres de la croissance et du chômage ne font que traduire une déchirure du modèle «du vivre ensemble» bâti à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ils le savent, ils voient que les piliers du modèle français sont pourris, l'école, la solidarité, les villes et leurs quartiers, le logement, la sécurité. Ils redoutent «le déclassement» pour leur pays et pour eux-mêmes et craignent tout de l'avenir. 

Ils savent aussi que la classe politique n'a pas pris conscience de la gravité de cette crise française et cette ignorance, qu'ils voient, les plonge dans la névrose.

Les politiques sont à leurs petites affaires internes, le PS ne regarde que Solférino, l'UMP est obsédée par le retour de Sarko. Les extrêmes, seuls, ont sans doute compris le mal, mais pour proposer des solutions que les Français savent irréalistes, la fuite dans le déficit à gauche, l'enfermement nationaliste à droite.

Le rêve serait que les partis de gouvernement s'entendent, que les hommes et les femmes politiques soient, pour une fois, grandis par l'effroi de la situation et l'importance du moment.

Il serait à l'honneur du centre et de la droite chrétienne-démocrate de voter des mesures proposées par Manuel Valls, quitte à les négocier, et ce faisant de faire l'appoint des voix qui manque au Premier ministre par défection des passéistes du PS. Manuel Valls pourrait, alors, avancer beaucoup plus vite et plus loin, redonner encore des marges aux entreprises, réduire plus fortement le déficit.

Hélas, cela n'arrivera pas. L'UMP refuse même l'idée de participer à une cohabitation sous un François Hollande qu'elle déteste autant que la gauche, hier, haïssait Nicolas Sarkozy. La classe politique française est tout simplement médiocre, elle n'est pas au niveau du moment historique.

2.La réalité

Manuel Valls va devoir se débrouiller avec cette réalité. Une fois les votes de la confiance et du budget passés, il va devoir contourner le Parlement et passer par les ordonnances.

Faut-il renoncer à espérer que devant la crise française, le patronat joue un peu le jeu?

 

Drôle de France que de voir des Français favorables aux réformes, un gouvernement enfin prêt à les lancer, mais de regarder les députés et sénateurs faire passer leur politique avant l'économie et, pour des raisons différentes mais qui s'ajoutent, faire obstacle aux réformes. Dans ce sale climat, de quelle liberté va disposer le Premier ministre? Jusqu'où pourra-t-il aller sur sa ligne et avec quelle «accélération»? Les seuils sociaux, oui mais quoi d'autre sachant que, par ailleurs, le budget ne laisse aucun argent disponible?

Au total, tout ce que pourra grignoter Valls ne sera sans doute pas immense. Cela suffira-t-il à redonner un peu de confiance et un peu de croissance? A refaire tourner dans le bon sens la spirale reprise-emploi-moral?

Intervient ici la réaction des entreprises et des syndicats. Les hausses de salaires et les distributions de dividendes par les grands groupes montrent que ceux-ci n'ont pas pris conscience non plus du mal français ou alors qu'ils s'en désintéressent, leur business est désormais ailleurs.

On ne peut sûrement pas attendre des entreprises des «garanties» d'embauches et d'investissement au Cice. Mais faut-il renoncer à espérer que devant la crise française, le patronat refuse toute politisation et joue un peu le jeu? Même souhait pour les syndicats confrontés, eux, au jeu des rivalités qui pousse à la surenchère entre confédérations. Est-ce impossible d'obtenir d'eux un accord qui donne à Valls du temps, celui nécessaire pour que la France reparte en avant?

3.Le cauchemar

Le cauchemar viendrait, justement, d'une alliance malsaine des dépités de tous bords, élus de gauche et de droite et professions de tous les milieux, de tous ceux qui font leur beurre depuis trente ans de l'immobilisme français. Ils se ligueraient contre parce qu'ils verraient le réveil de la France comme un succès pour Valls et comme une menace pour leurs tristes petites boutiques.

Article également publié dans Les Echos.

 

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