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Facebook, Twitter, Google, Instagram et les autres peuvent-ils revendre nos photos à des marques?

Si on lit les conditions générales d'utilisation, on n'a pas de quoi être rassuré. Mais le droit français veille. En principe.

<a href="https://www.flickr.com/photos/andrewfysh/14437303498"> «Portrait of a Selfie (Explored)»</a> par <a href="https://www.flickr.com/photos/andrewfysh/">andrewfysh </a> | FlickR <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/">licence cc by</a>
 «Portrait of a Selfie (Explored)» par andrewfysh | FlickR licence cc by

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Le 18 août, une blogueuse mode fait part de sa surprise sur sa page Facebook:

 

 

Au-dessus du commentaire, une photo de la jeune fille en question, imprimée sur un tee-shirt coincé dans un rayon de la grande surface. Mise sur son blog en mars 2012, et publiée à la même période sur sa page Facebook, comment cette image a pu se retrouver ainsi exposée, et surtout vendue, dans un supermarché? S'agit-il d'un banal vol de photos de la part de Casino, ou d'un intermédiaire? Ou, plus inquiétant, d'un deal entre Facebook et Casino, qui voudrait dire que le milliard et quelques d'utilisateurs du réseau social risquent de se retrouver sur les affiches publicitaires de telle ou telle marque?

A la suite des nombreuses réactions suscitées par l'affaire, la jeune femme raconte sur le site du Plus avoir été contactée par Casino, qui lui a expliqué que les tee-shirts ne dépendent pas du groupe, mais d'un «fournisseur se situant à Paris, [...] ayant acheté la photo auprès d'un graphiste indépendant». Ce dernier lui aurait même proposé «une indemnisation à l'amiable dérisoire», ajoute la blogueuse, qui a décliné l'offre, dans un mail.

Le scénario catastrophe n'est donc pas arrivé. Mais ne sème pas moins le doute: s'ils le désiraient, Facebook, Twitter, Instagram, Google et les autres pourraient-ils se mettre à céder nos photos perso à des marques?

En théorie, oui: quand la permission devient cession

Si l'on se fie aux conditions d'utilisation de ces sites, il n'y a pas lieu d'être vraiment rassuré. En effet, ces fameuses «CGU», blocs de textes que personne ne lit jamais et qui nous demandent d'accepter tout un tas de choses, exigent aussi de nous que nous cédions nos images.

«En théorie, explique ainsi Lionel Maurel, qui explore les questions de propriété intellectuelle sur son site S.I.LEX, Facebook pourrait vendre une telle image à un tiers, car la licence qu'il se fait octroyer de la part de ses utilisateurs est particulièrement large.» Cette dernière affirme en effet:

«Pour le contenu protégé par les droits de propriété intellectuelle, comme les photos ou vidéos (propriété intellectuelle), vous nous donnez spécifiquement la permission suivante, conformément à vos paramètres de confidentialité et des applications : vous nous accordez une licence non-exclusive, transférable, sous-licenciable, sans redevance et mondiale pour l’utilisation des contenus de propriété intellectuelle que vous publiez sur Facebook ou en relation avec Facebook (licence de propriété intellectuelle).»

[mise en gras par la rédaction]

Une licence d'utilisation très large, que la plupart des réseaux sociaux et autres plateformes de partage de contenus prévoient, ajoute le juriste. A tel point que ce qui relève au départ uniquement de la permission de réutilisation devient une quasi-cession des droits. 

En pratique: le droit français nous protège

Sauf qu'il y a un hic. Le droit français encadre strictement les droits des auteurs, ajoute un spécialiste de la propriété intellectuelle, et notamment la possibilité de céder de la sorte, intégralement, la propriété de son oeuvre. 

Selon lui, la présentation des conditions d'utilisation de Facebook et des autres, ainsi que l'extrême simplicité du deal entre ces sites et leurs utilisateurs, qui dépend d'un simple clic sur un bouton «j'accepte», seraient en totale contradiction avec les assurances exigées par le droit français en la matière.

Il ne faut donc pas se laisser impressionner par les exigences de Facebook, Instagram, Twitter et compagnie, ajoute ce juriste:

«En acceptant ces conditions, on a toujours un peu l'impression de vendre son âme! Sauf que la loi est là pour nous protéger, et qu'on ne peut pas exiger de nous n'importe quoi! De la même façon qu'il est illégal de passer un contrat pour tuer quelqu'un, on ne peut pas transiger avec la propriété en droit français!»

Rassurez-vous donc, même si les conditions de ces sites l'écrivent noir sur blanc et que vous cliquez sur le fatidique «j'accepte», rien ne vous force à vous couper un bras, ou à vous coudre la bouche à l'anus d'un autre utilisateur, pour reprendre l'explicite mais efficace métaphore d'un épisode de South Park, dans lequel Apple reproduit le scénario de The Human Centipede.

Que se passerait-il si Apple décidait de reproduire le scénario du film d'horreur The Human Centipede? South Park l'imagine pour vous, dans son épisode The Human CentiPad.

Des précédents rassurants existent. Ainsi en 2012, un utilisateur des Pyrénées-Atlantique, s'est jeté à l'eau: plusieurs fois éjecté du réseau social, il conteste la décision de Facebook devant la justice.

Le site réplique, se consacre même, contre toute attente, massivement à cette affaire, se rappelle notre expert du droit sur Internet. Et affirme notamment face au juge que l'affaire doit être portée devant les tribunaux californiens... comme le prévoient ses conditions d'utilisation.

Mais Facebook termine le bec dans l'eau: comme l'explique le site Legalis, «la cour d’appel de Pau a estimé que la clause des conditions générales d’utilisation de Facebook qui donne compétence aux tribunaux de Californie pour tous litiges est inapplicable et renvoie l’affaire devant la juridiction française».

Et d'ajouter une décision cruciale sur la valeur juridique des CGU des sites américains en France:

«La cour fonde sa décision sur l’absence de consentement à cette clause attributive de compétence, réputée non écrite car l’internaute ne s’est pas engagé en pleine connaissance de cause.»

L'importante question de la réputation

Bien entendu, si les réseaux sociaux se mettaient à vendre nos images à Coca, McDo ou Nike, il faudrait alors vouloir se lancer dans ce genre de procédures judiciaires fastidieuses.

Mais selon de nombreux observateurs, Facebook, Twitter et les autres n'oseront probablement pas franchir le pas. Et ne l'ont, à la connaissance de nos interlocuteursl, jamais fait jusqu'à présent. Interrogé, Facebook l'assure également, en confirmant les propos d'une porte-parole tenus en 2013 auprès de LCI:

«Facebook ne permettra jamais à une marque comme Coca-Cola d'utiliser votre photo pour un panneau publicitaire dans la rue [...].»

En partie en raison de leur réputation: lancer ce genre d'opération aurait un effet très probablement dévastateur sur les millions et les millions d'utilisateurs, qui se retrouveraient malgré eux femmes et hommes sandwich de grandes marques!

La caisse de résonnance d'une affaire telle que celle de notre jeune blogueuse mode le prouve. Tout comme le tollé suscité par les changements vite rectifiés, fin 2012, des conditions d'utilisation des photos postées sur Instagram, alors tout juste racheté par... Facebook. «Cela signifie qu'un hôtel à Hawaii, par exemple, pourrait faire un chèque à Facebook pour utiliser des photos prises chez lui et les utiliser sur son propre site, dans des pubs télé, des brochures... Sans verser le moindre centime à l'utilisateur d'Instagram qui a pris la photo», pouvait-on par exemple lire à l'époque sur le site Cnet. Ce qui n'est donc a priori jamais produit.

Une publicité en interne

Ne vous réjouissez pas non plus trop vite. Le web commercial reste ce qu'il est: Facebook, Instagram et Google ne se privent pas d'utiliser nos infos perso pour alimenter la publicité faite sur ces pages. «La réutilisation des photos sur les réseaux sociaux concernent principalement des usages internes à ces mêmes réseaux sociaux», confirme-t-on du côté de la Cnil.

Ainsi, si les «publicités ne sont pas sensées sortir de Facebook», pour reprendre les termes d'un de leur porte-parole en France, elles existent bel et bien au sein de leur écosystème. Et il en va de même pour Instagram et Google.

Concrètement, cela se traduit chez Facebook par le fait de voir s'afficher, dans le fil d'actualités de son profil, la photo et le nom d'un ami sur la page officielle d'une marque qu'il vient d'aimer. Déjà de la publicité, donc. 

Même principe ou presque du côté de Google, où le fait d'apprécier un restaurant ou un magasin, et de le dire, peut s'afficher dans les publicités que les enseignes en question peuvent acheter sur le moteur de recherche.

La différence tient souvent à la difficulté de se défaire de cette publicité. En 2013, nous vous expliquions la marche à suivre étape par étape. Il serait peut-être temps d'y rejeter un coup d'oeil.

On en parlait ce lundi 1er septembre dans notre rendez-vous hebdomadaire de La Nouvelle Edition, sur Canal+.

 

 

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