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Pendant que vous avez le dos tourné, la Libye est au bord de l'effondrement

La question est de savoir si elle va bientôt plonger dans la guerre civile, ou si elle y est déjà jusqu'au cou.

À Tripoli, le 24 août 2014. REUTERS/Stringer.
À Tripoli, le 24 août 2014. REUTERS/Stringer.

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Des combats ont eu lieu dans la bande de Gaza, les djihadistes de l’État islamique mettent l'Irak à feu et à sang, une pseudo-guerre voit s'affronter la Russie et l'Ukraine, une épidémie d'Ebola ravage l'Afrique de l'Ouest et de violentes émeutes ont agité la ville de Ferguson, dans le Missouri... et voilà que la Libye, aussi, est au bord de l'implosion. Et peu de monde semble l'avoir remarqué. 

Les mêmes milices qui ont renversé Mouammar Kadhafi en 2011 se livrent aujourd'hui bataille pour le contrôle du pays et de ses abondantes réserves pétrolières. Certains groupes, comme les milices de Zentan, sont relativement modérées, mais d'autres, comme celles de Misrata, se rangent derrière les islamistes.

Pour les repousser, le gouvernement ne dispose d'aucune armée et ne peut donc compter que sur ses propres milices. Si les États-Unis ont déjà soumis plusieurs projets visant à former les forces de sécurité libyennes, toutes ces initiatives sont restées lettre morte du fait d'une incapacité nationale à rassembler l'argent nécessaire à de telles formations et à mettre sur pied la bureaucratie indispensable pour les administrer. D'autres pays, dont le Maroc, la Turquie, le Royaume-Uni et l'Italie, ont pu aussi s'occuper de former certains bataillons des forces libyennes.  

Et, parallèlement, les combats n'ont cessé de gagner en violence cet été, d'où des questions récurrentes pour savoir si la Libye va bientôt plonger dans la guerre civile –ou si elle y est déjà jusqu'au cou.

Roquettes et raids aériens

Le 18 août, des avions d'une provenance au départ inconnue ont mené des raids contre des cibles islamistes de Tripoli. Et le lendemain, aux premières heures du jour, des combattants non identifiés tiraient des roquettes Grad sur un quartier cossu de la ville, tuant trois personnes. Oui, il s'agit bien du même type d'artillerie que les Russes sont accusés d'avoir utilisé à la frontière ukrainienne.

On ne sait toujours pas qui a tiré ces roquettes, mais concernant les raids aériens, les faits ont depuis été revendiqués par le général Khalifa Haftar, ancien fidèle de Kadhafi devenu révolutionnaire et adversaire acharné des islamistes. Selon Haftar, ces raids s'intègrent dans une campagne plus conséquente qui vise à s'emparer de la ville et de son aéroport, même si d'aucuns ont soulevé un lièvre en se demandant si les avions libyens étaient vraiment d’aplomb pour mener de telles attaques.

En mai, les forces d'Haftar ont lancé une offensive baptisée «Opération Dignité», une campagne éclair contre les milices islamistes de Benghazi. Peu après, Haftar a dissous le Congrès national général libyen et destitué plusieurs législateurs islamistes siégeant au gouvernement. Les succès de sa campagne contre les milices ont été ambigus, ce qui a contribué d'autant à la violence et à l'instabilité qui rongent actuellement le pays.

Les forces islamistes ont riposté par une «Opération Aube», afin d'asseoir leur contrôle de l'aéroport de Tripoli. Le gouvernement libyen n'a que peu d'emprise sur la capitale du pays et cherche actuellement à s'implanter plus à l'est, à Tobrouk.

Les Libyens ont pu voter le 25 juin pour élire une nouvelle instance gouvernementale, la chambre des députés, chargée de rédiger une constitution définitive et d'organiser des élections présidentielles d'ici 18 mois. Lors de cette élection, les laïcs ont raflé une majorité confortable face aux islamistes.

Quelques rares bonnes nouvelles

Le 20 août, quelques rares bonnes nouvelles ont réussi à se frayer un chemin dans tout ce chaos. Des dirigeants libyens ont alors déclaré reprendre les exportations de pétrole, chose qui n'était pas arrivée depuis juillet 2013, date à laquelle des insurgés avaient voulu faire main basse sur les infrastructures pétrolières du pays. Les forces américaines avaient alors réussi à annuler toutes les ventes de pétrole en arraisonnant un pétrolier pour, le mois dernier, faire accepter aux rebelles la réouverture du terminal, en plus d'un autre port de Ras Lanouf.  

Les forages ont aussi repris dans la région d'El Sharara, le plus grand champ pétrolifère de la Libye. Cette reprise, avec la réouverture des ports pétroliers, devrait booster la production pétrolière libyenne à raison de 560.000 barils par jour, soit quatre fois le niveau qu'elle atteignait en mai dernier, selon le Wall Street Journal. De bonnes nouvelles qui pourraient redonner de l'ardeur aux investisseurs étrangers, trop échaudés par la situation en Libye pour vouloir continuer à y placer leurs billes.

Mais dès la lendemain de cette annonce, le 21 août, la Tunisie et l’Égypte annulaient la plupart de leurs vols en provenance et à destination de la Libye. Les autorités tunisiennes ne sont pas étendues en justifications, mais les égyptiennes ont fait valoir des raisons de sécurité, compte-tenu notamment de l'incertitude croissante planant autour des véritables responsables des raids aériens sur Tripoli menés en début de semaine. Selon Reuters, les vols entre la Tunisie, l’Égypte et la Libye étaient auparavant quasi quotidiens.

«Relancer la transition démocratique»

Dans des communiqués officiels, le gouvernement américain a encouragé le gouvernement libyen dans ses efforts en faveur d'une reconstruction démocratique. Début août, les États-Unis, la France, l'Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni ont fait une déclaration commune pour exhorter la Chambre des députés libyenne à «relancer la transition démocratique en Libye et rétablir la légalité et l’ordre public» et à «être inclusive et pleinement représentative dans la conduite de ses travaux».

Dans le même temps, les États-Unis ont préféré jouer la prudence et ne pas tirer de conclusions prématurées, ni faire de comparaisons hâtives entre la situation en Libye et d'autres théâtres d'opérations. Lors d'une conférence de presse organisée le 13 août, à une question portant sur les leçons que le gouvernement Obama avait pu tirer de la Libye pour les appliquer en Irak, la porte-parole du Département d’État, Marie Harf, a répondu que les situations n'étaient pas analogues. Elle a notamment souligné que les Irakiens avaient fait appel à l'aide américaine pour mener leurs combats contre les troupes de l’État islamique, tandis qu'en Libye, en 2011, les États-Unis avaient participé à l'offensive de l'Otan qui s'était soldée par la chute de Kadhafi.

Pressée de répondre sur l'ampleur de l'implication des États-Unis en Libye, Harf a déclaré que les États-Unis «avaient endossé un rôle primordial dans l'opération de l'Otan en Libye», avant d'ajouter:

«Je pense que le colonel Kadhafi serait d'accord avec moi, vu comment les choses ont tourné pour lui.»

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