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La fin de l'Amérique: une nouvelle guerre de Sécession?

Quatrième volet de la série. La disparition pour des raisons sociales, politiques ou économiques d'un intérêt national fédérateur conduirait les Etats-Unis d'Amérique à se fragmenter.

Temps de lecture: 12 minutes

Notre grand-frère, Slate.com, a lancé une série d'été sur les multiples scénarios vraisemblables ou non, plausibles ou totalement improbables, sérieux et moins sérieux qui pourraient mener à la disparition des Etats-Unis et de l'empire américain. Nous publierons traduits l'ensemble des articles de la série. Celui-ci est le quatrième article. Il a été précédé d'un premier texte introductif intitulé: Le thème porteur de la disparition des Etats-Unis, d'un deuxième sur Les quatre scénarios des futurologues et d'un troisième intitulé Le cauchemar climatique.

Lorsque l'Amérique que nous connaissons disparaîtra, notre gouvernement ne pourra évoluer que de deux façons. Première possibilité: le système fédéral pourrait laisser place à un gouvernement central tout-puissant. (Voir l'article sur Le cauchemar climatique). Seconde option: la décentralisation. En l'absence d'un intérêt national fédérateur, les Etats-Unis d'Amérique pourraient se fragmenter; ils seraient alors supplantés par une gouvernance régionale.

L'Amérique a été pensée pour éviter ces deux extrêmes, pour maintenir un équilibre constant entre les Etats et le gouvernement national. Si les Etats-Unis rompent cet équilibre des pouvoirs prévu par la Constitution, ils disparaîtront. Nous nous intéresserons bientôt au scénario totalitaire; aujourd'hui, penchons-nous sur une éventuelle désintégration de l'Amérique.

Ceux qui prédisent la fin de l'Amérique en disent généralement plus sur eux-mêmes que sur l'état du pays. Igor Panarin, le politologue russe qui assure que les Etats-Unis se fragmenteront en 2010, fait clairement le parallèle entre l'Amérique et le destin de l'Union soviétique. De la même manière, quand Rick Perry, le gouverneur du Texas, s'est improvisé défenseur du séparatisme lors d'un «tax-day rally» [manifestation anti-impôts] en avril dernier, il ne prédisait pas la chute de l'Amérique; il se contentait de caresser la foule (qui hurlait «sécession!») dans le sens du poil. «Si Washington continue de narguer le peuple américain, a déclaré Perry, vous savez, vous savez ce qui risque d'arriver!»

Eric Zuelow, professeur d'histoire à l'Université de Nouvelle-Angleterre et responsable du «Projet Nationalisme» (The Nationalism Project), affirme que les «fortes têtes» comme Perry renforcent l'unité de la nation. Le simple fait que nous débattions de la légitimité de notre pays est un signe de bonne santé nationale. Selon Zuelow, il faudra plus qu'un démagogue équipé d'un porte-voix pour mettre l'Amérique en morceaux. Pour que les Etats-Unis disparaissent, il faudrait d'abord que les Américains cessent de se considérer comme des Américains.

L'unité des Etats semble aujourd'hui aller de soi, mais la chose n'a pas toujours été évidente. Dans «An Empire Wilderness», Robert D. Kaplan explique que James Madison, l'un des auteurs du Fédéraliste [«the Federalist Papers», compilation d'articles écrits par trois pères fondateurs et ayant l'Etat fédéral pour thème], voyait l'Amérique de demain comme «un immense espace géographique, doté d'une gouvernance mais sans patriotisme; le gouvernement fédéral n'y serait qu'un simple administrateur, un arbitre des conflits d'intérêts».

Il existe des différences régionales et idéologiques dans les Etats-Unis d'aujourd'hui: la cuisine du Sud profond ne ressemble pas à celle du Nord-Ouest, l'accent diffère, les valeurs et les modes de vie ne sont pas toujours les mêmes. Mais il est impossible de comparer les Etats-Unis à l'Union soviétique. L'URSS était une nation construite de toutes pièces; la diversité régionale y était immense. Les Etats-Unis sont liés par des origines communes, par un langage et une culture unique, et par une sorte de religion civique (foi en l'exception américaine, mythe du self-made man, de la mobilité sociale).Quand une menace survient, l'Amérique se rassemble. Selon Zuelow, après le 11 septembre 2001, « partout en Amérique, la réaction des gens a été la même: «on a été attaqué»... pas «ici, on mange du gruau» ou «ici, on mange du saumon»».

Quels sont les types de pays les plus susceptibles de se fragmenter? Selon Jason Sorens, politologue à l'Université de Buffalo et spécialiste des mouvements séparatistes, l'ethnie, l'économie et l'idéologie entrent toutes trois en ligne de compte. Une région habitée par une minorité, ayant connu l'indépendance et possédant une langue propre est généralement plus séduite que les autres par le concept de sécession. Exemples: la Lettonie et la Lituanie, les Serbes de Bosnie et les Québécois du Canada. Pas étonnant, donc, qu'il n'y ait pas de grands mouvements séparatistes aux Etats-Unis: le pays est trop prospère et trop uni. (Le projet personnel de Soren, l'«Etat Libre», qui veut que tous les libertaires se rassemblent au New Hampshire pour influencer la politique locale, n'est «pas un mouvement sécessionniste, dit-il, bien qu'un bon nombre de personnes [impliquées dans le projet] seraient prêtes à adopter cette solution, en dernier recours.»

Pour autant, tous les Américains ne sont pas satisfaits de l'état de l'Union. Comme l'indique la «liste des propositions de sécession faites par les Etats américains» de Wikipedia, le pays ne manque pas de groupes séparatistes. Mais le sécessionnisme américain est moins un mouvement populiste qu'un ensemble hétéroclite d'idéalistes solitaires et bougons. Thomas Naylor, le théoricien de la «Second Vermont Republic», un groupe qui se dit être «l'une des organisations sécessionnistes les plus actives du pays», déplore le fait que son mouvement soit mis dans le même sac que d'autres groupes moins sérieux. Naylor mentionne un groupe d'habitants de Long Island, fondateurs d'un «nouveau pays», qui se sont choisi un animal national (le marlin bleu de l'Atlantique) et un crustacé national (le crabe bleu). Dans le même genre, la «Ligue du Sud» n'a pas fini de donner des ulcères à Naylor. Ces nostalgiques du Sud pré-guerre de Sécession entonnent «Dixie» [hymne des Etats confédérés] à chaque meeting, et, aussi étrange que cela puisse paraître, veulent que l'orthographe américaine redevienne ce qu'elle était du temps du Sud traditionnel. A choisir, Naylor préfère de loin le «Mouvement Nationaliste Texan». Cette organisation indépendantiste ne semble être ni raciste, ni homophobe, ni violente; enfin, pour ce qui est de la violence, Naylor précise «qu'on ne peut être sûr de rien».

Naylor parle d'une voix calme et posée, ce qui est assez étonnant pour quelqu'un qui qualifie régulièrement l'Amérique «d'empire maléfique». Il a 73 ans et fait un bon mètre quatre-vingt douze; ses cheveux blancs mi-longs lui donnent des airs de père fondateur. Il était professeur d'économie à l'Université de Duke; il a décidé de s'établir dans le Vermont en 1993, après avoir regardé un épisode d'«Oprah» ayant pour thème «simplifiez votre vie!» (l'un des invités était parti pour le Vermont afin d'un ouvrir une auberge de campagne).

Dans «Secession : How Vermont and All the Other States Can Save Themselves From The Empire» [Sécession : Comment le Vermont et tous les autres Etats peuvent échapper aux griffes de l'empire], Naylor écrit que la civilisation américaine «encourage le consumérisme, la technomanie, l'e-manie, la mégalomanie, la robotisation, la mondialisation et l'impérialisme». La «Seconde République du Vermont» veut dissoudre l'union sans violence, et souhaite que le Vermont regagne l'indépendance qu'il avait (brièvement) acquise à la fin du 18ème Siècle. Selon Naylor, la création d'un Vermont libre ou d'une «Novacadia» (une union sécessionniste composée du Maine, du New Hampshire et des quatre provinces canadiennes de l'Atlantique) indépendante serait chargée d'une telle force symbolique que des régions entières seraient bientôt tentées par le séparatisme. Quant aux célèbres glaciers Ben and Jerry's, «leur secteur d'activité, ce n'est pas la crème glacée, dit-il ; leur secteur, c'est le Vermont. Idem pour nous: notre secteur d'activité, c'est le Vermont.»

Je déjeune à la terrasse d'un café de Waitsfield (Vermont) avec Naylor et Rob Williams, le rédacteur en chef du journal Vermont Commons, qui soutient la cause indépendantiste. Selon Williams, faire sécession est une habitude «typiquement américaine, autant que la tarte aux pommes». La Déclaration d'Indépendance a séparé l'Amérique de l'Empire britannique; la Nouvelle-Angleterre a envisagé de faire sécession pendant la guerre de 1812, et le Maine s'est détaché du Massachusetts en 1820. Avant la guerre de Sécession, personne ne remettait en cause le droit de faire sécession. Aujourd'hui, comme l'admet William, le rejet du séparatisme est l'une des seules valeurs communes à la droite et à la gauche. «Abraham Lincoln nous a joué un sacré tour», dit-il.

Naylor souhaite que le corps législatif du Vermont organise une convention d'Etat pour commencer à réfléchir à une future sécession. Peu de chances qu'une chose pareille arrive, même dans l'Etat de Bernie Sanders. Kirkpatrick Sale, le fondateur du think tank sécessionniste «Middlebury Institute» (et, à 72 ans, l'autre grand penseur du sécessionnisme américain), reconnaît que c'est «dans les profondeurs de l'administration Bush que ce mouvement sécessionniste est né et a commencé à prendre de l'envergure». Sale craignait que l'effet Obama ne nuise à sa cause, mais il est rassuré par le succès grandissant du «mouvement pour la souveraineté des Etats», plusieurs projets de lois soutenus par des législateurs d'Etat souhaitant refréner l'autorité fédérale.

Effondrement économique

Peter Schiff est l'un des grands gagnants de la crise financière. Le courtier du Connecticut, souvent moqué pour son pessimisme par le passé, est maintenant célèbre pour avoir prédit l'arrivée de la récession avec une précision quasi-surnaturelle. Schiff, qui a réuni un comité exploratoire en prévision d'une possible candidature aux sénatoriales de 2010, estime que l'Amérique est en train de couler à pic. La principale raison? Son «économie bidon», basée sur de l'argent emprunté. Le plan de relance, selon lui, ne fera qu'empirer les choses: tenter de mettre un terme aux problèmes structurels à coup de dépenses et d'emprunts exorbitants équivaut à mettre un pansement sur une hémorragie. Schiff s'interroge: «Si nous enchaînons les erreurs, et que nous détruisons [la valeur de] notre monnaie, finirons-nous par devenir un pays totalitaire? A quoi devrons-nous faire face? A une révolution soviétique, ou à une révolution américaine?»

Postulons qu'une révolution américaine éclate: qui part en premier? Selon Schiff, si les fédéraux se mettent à «augmenter massivement les impôts», les Etats qui donneront plus qu'ils ne recevront retireront vite leur étoile du drapeau. Schiff pense que le Texas et la Californie sont de potentiels candidats au départ, tandis que «la Floride voudrait probablement rester, avec tout cet argent venant de la Sécurité Sociale...»

Si les impôts ne provoquent pas de révoltes massives, la polarisation économique pourrait, elle, plonger le pays dans le chaos. «Les Etats de la Sun Belt [ceinture du soleil, région prospère du Sud]  et de l'Ouest intérieur se développent plus rapidement que le Midwest», selon Jason Sorens, spécialiste de la récession. «S'ils s'enrichissent suffisamment, ils pourraient finir par penser que l'union leur coûte plus qu'elle ne leur rapporte; qu'ils ne devraient pas avoir à soutenir l'industrie en crise en Ohio ou dans l'Etat de New York». (Sorens ne semble pas avoir songé au fait que Cleveland et Buffalo pourraient devenir les oasis de demain si l'Amérique devait succomber au réchauffement climatique).

Un Etat comme le Texas pourrait devenir un pays indépendant; il en a les moyens. Il ne lui manque plus que l'étincelle idéologique. La «Ligue du Nord» italienne pourrait être son modèle. Plutôt que de mettre l'accent sur les différences linguistiques et ethniques, ce parti politique invoque des raisons économiques pour justifier sa volonté d'indépendance. Les élections législatives de 1996 ont vu la Ligue remporter 10% des suffrages: le parti avait séduit les riches et conservateurs électeurs du Nord en déclarant vouloir former un Etat indépendant, la Padanie. Ces huit dernières années, la Ligue du Nord a modéré sa rhétorique séparatiste: elle a rejoint le gouvernement de coalition de Silvio Berlusconi. (Le parti est néanmoins régulièrement accusé de xénophobie).

Pour que les Etats-Unis soient déchirés par la sécession, il faut que quelqu'un fasse le premier pas. Comme l'explique Schiff, «dès que les premiers Etats quitteront l'Union, d'autres voudront suivre leur exemple. Du coup, le gouvernement essaiera sans doute de les menacer:«si vous partez, nous vous envahissons.»» Thomas Naylor, de la Seconde République du Vermont, est d'accord pour dire qu'il faut qu'un Etat montre l'exemple. Mais Naylor ne pense pas que les Etats-Unis essaieraient «de réduire le «Vermont libre» en esclavage.» (Sa suggestion clownesque: «Peut-être qu'ils brûleront tous les érables et qu'ils abattront toutes les vaches Holstein... ») Si l'armée américaine envahit Montpelier, dit-il, cet acte détruira l'autorité morale des Etats-Unis, tout comme les tentatives d'étouffer les mouvements anti-communistes dans le Bloc soviétique avaient affaibli l'URSS.

«Localisme»

Jaimais Cascio, de l'«Institute for the Future», soutient que «très peu d'entités nationales maintiennent leur cohérence structurelle au-delà de quelques centaines d'années d'existence.» Cascio a rédigé un scénario prévisionnel sur les cinquante années à venir, intitulé «La longue crise». Dans cette version de notre futur, les Etats-Unis se scindent en huit entités. En 2054, les Etats du Midwest ont envahi la Fédération du Golfe et du Sud; quant à New Columbia (région de la côte atlantique) et Pacifica (côte Ouest), ils fournissent des armes aux insurgés du Sud.

Comment expliquer un tel schisme ? Selon les prévisions de Cascio, le pays pourrait passer au «localisme» : le désir de vouloir manger sur notre lieu de vie, de produire notre propre énergie (micro-éoliennes, micro-panneaux solaires), de fabriquer nos propres produits (et peut-être nos propres armes) à l'aide d'imprimantes 3D... Allen Buchanan, l'auteur de «Secession: The Morality of Political Divorce From Fort Sumter to Lithuania and Quebec» affirme (mais ne prédit pas) que le changement climatique, les pandémies, ou l'effondrement économique pourrait mener à ce qu'il appelle la  sécession «sauve qui peut» (en français dans le texte).

Cette idée d'un retour au temps où aucun royaume, où aucun dirigeant n'avait assez de pouvoir pour contrôler un vaste territoire colle avec celles des théoriciens de l'effondrement, comme Dmitry Orlov et James Howard Kunstler, qui affirment que l'Amérique va redevenir une nation préindustrielle à l'ère post-pétrole. Dans un essai intitulé «Thriving in the Age of Collapse», Orlov écrit qu'une pénurie de pétrole forcera les gens à  rester chez eux la plupart du temps; il y aura peut-être des migrations saisonnières, mais il faudra exploiter au mieux ce qui sera directement accessible.»

Le Russe n'est pas du genre à s'attarder sur le négatif; il fait remarquer que l'effondrement sociétal améliorera notre santé et nous redonnera de la vigueur: «[L']air sera beaucoup plus propre, il n'y aura plus d'embouteillages, ... [l]a culture locale fera son grand retour, [et] les gens feront beaucoup plus d'exercice : ils marcheront, porteront des choses, le travail sera plus physique.»

Réorganisation de l'Amérique du Nord

En 1995, un référendum sur l'indépendance du Québec échoua de peu (50,58% contre, 49,42% pour). Que serait-il arrivé si le Québec avait fait sécession, si le Canada s'était retrouvé divisé, une partie à l'Ouest, l'autre à l'Est? En Italie, le Nord soutient une région Sud très pauvre; c'est à peu près la même chose au Canada, où la très riche région Ouest (Alberta et la Colombie-Britannique) aide les Provinces maritimes de la côte Est. Sans le Québec pour lier les deux parties du pays, les Canadiens de l'Ouest pourraient préférer faire cavalier seul plutôt que de continuer à partager leurs richesses.

Que se passerait-il aux Etats-Unis si le Canada se morcelait? Les frontières Nord-américaines n'ont pas beaucoup changé ces cent dernières années. (On ne peut pas dire la même chose de l'Europe ou de l'Afrique). Mais cette stabilité ne veut pas dire que les lignes de démarcation en elles-mêmes ont été bien pensées.

Dans «Nine Nations of North America», [Neuf nations d'Amérique du Nord] (1981), Joel Garreau soutient que les frontières du continent ne reflètent pas notre réelle façon de vivre. La carte des neuf nations de Garreau (qui indique les régions où les populations partagent les mêmes valeurs, la même culture, et les mêmes ressources naturelles) n'avait pas pour intention de prédire une future rupture. Pour autant, un morcellement du Canada pourrait amener le reste du continent à se réorganiser. La Colombie-Britannique pourrait rejoindre l'Etat de Washington et l'Oregon pour former une alliance du Pacifique du Nord-Ouest («Ecotopia»? «La République de Cascadia »?); les Provinces maritimes pourrait s'éloigner du Canada pour rejoindre la «Novacadia»...

 



En l'absence de frontière logiques, comment avons-nous réussi à échapper à la sécession? Principalement parce que notre continent n'abrite qu'un seul mouvement nationaliste d'envergure: celui du Québec, qui possède sa propre identité et son propre langage. La désintégration de notre continent pourrait également venir des Québécois des Etats-Unis: les immigrés hispanophones. Les législateurs ont beau promulguer des lois anti-immigration, les Etats-Unis auront toujours besoin d'une main-d'œuvre bon marché; aussi les Mexicains et les populations d'Amérique Centrale continueront-ils d'affluer vers notre pays, où ils sont mieux payés qu'ailleurs. En 2050, les blancs seront minoritaires en Amérique, et les Hispaniques devraient représenter 29% de la population.

Pourrions-nous nous entendre, tout simplement? Dans son discours prononcé à la conférence Pop!Tech de 2006, Juan Enriquez (l'auteur de «The Untied States of America : Polarization, Fracturing, and Our Future» [Les Etats Désunis d'Amérique] expliquait que tout dépendait de la façon dont nous traiterions les hispanophones. Selon Enriquez, Lou Dobbs et les autres partisans de «l'English-only movement» [mouvement politique prônant la suprématie de la langue anglaise] deviennent un jour les architectes de notre politique étrangère, l'Amérique courra un grave danger. «La façon dont vous traitez les gens aujourd'hui restera longtemps dans les mémoires», nous dit Enriquez ; il fait remarquer que la devise du Québec est «Je me souviens».

Selon Charles Truxillo, professeur à l'Université du Nouveau-Mexique, il est trop tard pour sauver les Etats-Unis tels que nous les connaissons. Truxillo pense que ce siècle verra la création de «La República del Norte», une «nation mexicaine» souveraine, dans ce qui est aujourd'hui le Sud-Ouest américain. «Les Etats-Unis ont pris ces terres au Mexique en 1848», dit-il, et le Mexique est maintenant prêt à nous rendre la politesse. Plutôt que de se rebeller contre l'inévitable, Truxillo pense que l'Amérique du Nord devrait abandonner l'idée du «melting pot» et apprendre à aimer le concept de «zone souveraine autonome» (une nation francophone pour les Québécois, une nation hispanophone pour les Latinos, et une nation anglophone pour les... anglophones.)

Ce n'est pas un hasard si le fait de mener une réflexion sur la sécession et le changement climatique finit toujours pas nous conduire au Canada et au Mexique. Les Etats-Unis sont le mâle dominant de cet hémisphère depuis déjà 160 ans. Mais ils ne fonctionnent pas en circuit fermé: nous sommes clairement influencés par nos plus proches voisins, et ce qui fera rendre gorge à notre pays les affectera sans doute également.

Une théorie du complot avancée par Jerome Corsi (le polémiste dérangé qui avait consacré un livre aux «mensonges» de John Kerry) voudrait que les Etats-Unis, le Canada et le Mexique se dotent bientôt d'un passeport, d'une monnaie et d'une armée uniques. Cette campagne de propagande proclamant l'imminence de la formation d'une Union Nord-américaine est totalement absurde. Une chose est vraie, cependant: nous ne sommes pas seuls. Enlevez les frontières artificielles, et nous ne sommes plus qu'un vaste groupe de Nord-américains, dépendant les uns des autres pour survivre. Si l'Amérique venait à mourir, le Canada et le Mexique la suivraient dans la tombe. Et si le Canada et le Mexique passent un jour de vie à trépas, autant l'avouer: je ne donne pas cher de notre peau.

Josh Levin

 

Traduit par Jean-Clément Nau

Image de Une:  Reconstitution historique de la bataille de la guerre de sécession d'Antietam dans le Maryland   Reuters

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