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L’US Open, reflet de l’uniformisation du tennis

La quatrième levée du Grand Chelem a perdu une partie de son charme rugueux. Le tennis est devenu, il est vrai, de plus en plus normé.

Les toits de Manhattan derrière une tribune de l'US Open le 7 septembre 2013 à New York. REUTERS/Eduardo Munoz
Les toits de Manhattan derrière une tribune de l'US Open le 7 septembre 2013 à New York. REUTERS/Eduardo Munoz

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Il y a trente ans, l’US Open n’avait été vu d’aucun téléspectateur français. Un conflit entre l’USTA, la fédération américaine de tennis, et l’UER, l’Union européenne de radiodiffusion, avait interdit toute image de cette édition 1984 non seulement en France, mais aussi sur une bonne partie du Vieux Continent.

Si bien que personne, ou presque, de ce côté de l’Atlantique n’avait pu regarder les images de la septième (et dernière) victoire de John McEnroe dans un tournoi du Grand Chelem. Cet écran noir avait privé aussi le public de l’une des plus grandes journées de l’histoire du tennis, celle du samedi 8 septembre 1984, qui a donné ses lettres de noblesse à ce que l’on a appelé le Super Saturday.

Le Super Saturday, initié par CBS, le diffuseur de ces Internationaux des Etats-Unis, consistait à programmer le même samedi, d’une seule traite, les deux demi-finales masculines et la finale dames (dans un ordre qui a varié selon les années). Avec l’obligation pour les vainqueurs masculins d’être à nouveau sur le court le lendemain pour la finale dans une sorte de sprint échevelé scénarisé à la manière d’une grosse production cinématographique précipitant les événements à suspense.

Lendl, Navratilova, McEnroe et Connors

Ce 8 septembre 1984, donc, la demi-finale entre le Tchécoslovaque Ivan Lendl et l’Australien Pat Cash avait ouvert les hostilités à 13h11 et leur match, conclu au jeu décisif du cinquième set, avait duré 3h40, Lendl triomphant après avoir sauvé une balle de match d’un lob lifté inouï. La finale dames entre Martina Navratilova et Chris Evert avait ensuite eu lieu et avait tourné également en une bataille furieuse conclue 4-6, 6-4, 6-4 et remportée par la première nommée.

John McEnroe et Jimmy Connors avaient enfin pris possession du central pour la deuxième demi-finale, terminée aussi à la limite des cinq manches au moment où l’horloge indiquait 23h15. McEnroe avait arraché son billet pour la finale prévue le lendemain à 16h. Repos de courte durée en ce qui le concerne, mais cela ne l’avait pas empêché d’étriller Lendl en trois sets

Ces dix heures grandioses de tennis font partie de la légende de l’US Open et il est vraisemblable que CBS n’oubliera pas de les évoquer au moment où la chaîne fait ses adieux au tournoi après 46 ans de fidélité ininterrompue, au point que l'épreuve avait été rebaptisée le CBS Open par les mauvaises langues, qui estimaient que le network américain faisait ce qu’il lui plaisait à Flushing Meadows, au mépris souvent des joueurs. À compter de 2015, ESPN, la chaîne spécialisée dans le sport, récupèrera entièrement (jusqu’en 2025 au moins) les droits de diffusion du tournoi, que CBS a laissé échapper sans trop de regrets. Le tennis, sport de niche aux Etats-Unis, ne lui rapportait plus de gros taux d’audience lors de l’US Open depuis la quasi disparition des joueurs américains du devant de la scène du tennis masculin.

CBS n’avait pas goûté non plus (et ne s’en cachait pas vraiment) d’avoir vu disparaître sa création, le Super Saturday, que la chaîne avait accepté déjà de revisiter il y a treize ans en séparant d’un côté les deux demi-finales masculines l’après-midi et la finale féminine le soir lors de deux sessions distinctes. L’an dernier, sous la pression des joueurs, mais aussi en raison de conditions météorologiques difficiles qui avaient entraîné le report au lundi de cinq finales masculines consécutives entre 2008 et 2012, le Super Saturday, belle idée marketing pour vendre le tennis au pays du Super Bowl, avait été définitivement enterré en imposant 24 heures de repos entre les demi-finales masculines et la finale (pareil chez les femmes, qui enchaînaient avant demi-finales et finale le vendredi et samedi) comme c’est, par exemple, la norme à Roland-Garros et à Wimbledon.

Les joueurs ont gagné

A l’heure où le tennis traverse nombre de difficultés aux Etats-Unis, ce retrait d’une chaîne aussi puissante que CBS au profit d’une chaîne câblée payante (elle-même puissante, mais nettement moins accessible) n’est évidemment pas une bonne nouvelle. La mort du Super Saturday ne l’était pas davantage car il était la signature du tournoi, qui se distinguait des autres épreuves majeures par cette singularité très américaine et très médiatique.

Mais les joueurs, soucieux de bénéficier de davantage de temps de récupération entre les demi-finales et la finale, ont fini par faire triompher leurs vues, si ce n’est leur loi, au détriment, hélas, de l’US Open, qui se banalise soudain en faisant comme tous les autres alors qu’il s’est souvent montré audacieux au cours de l’histoire en imposant, entre autres, le tie break, les nocturnes, l’égalité des prix entre femmes et hommes et l’arbitrage électronique. Réformes reprises au fil du temps par tous les autres tournois du Grand Chelem, tous finissant, en quelque sorte, par ressembler les uns aux autres dans un sport où les joueurs jouent déjà tous de la même façon, ou presque.

Voilà même que ces quatre tournois se dotent tous (ou vont se doter) de toits très coûteux couvrant leurs courts principaux, sans que l’on sache si cela en vaut vraiment la peine puisque toutes ces épreuves ont su «nager» sous la pluie sans dommages importants depuis des dizaines d’années.

Mais à l’image de la suppression du Super Saturday, le principe de précaution (et le souci exagéré d’égalité) est devenu une sorte de règle commune dans le tennis et dans le sport en général: les joueurs auraient besoin d’un minimum de repos entre deux matches comme ils auraient besoin, de même que les détenteurs des droits télévisés, d'être protégés des intempéries.

Pourquoi ce qui était possible il y a 34 ans ne le serait pas aujourd’hui

En 1980, pourtant, John McEnroe avait su triompher de la fatigue lors d’un week-end homérique: victoire en quatre sets le jeudi soir (contre Ivan Lendl), défaite en cinq sets en finale du double le vendredi après-midi, victoire en cinq sets en demi-finales du simple le samedi après-midi (contre Jimmy Connors en 4h16) et victoire en cinq sets en finale le dimanche après-midi (contre Björn Borg en 4h10). Pourquoi ce qui était possible il y a 34 ans ne le serait pas aujourd’hui dans un sport devenu, certes, beaucoup plus dur pour les organismes, mais qui doit se souvenir aussi que les joueurs enchaînaient ces travaux d’Hercule avec des préparations physiques quasiment inexistantes à l’époque?

Cet été, en regardant successivement les tournois de Toronto et de Cincinnati qui nous ont menés jusqu’à cet US Open, cette conception de plus en plus stéréotypée de l’organisation du tennis était frappante dans ces stades qui se ressemblent comme des frères avec cette mer de bleu, des sièges jusqu’au court, comme si l’originalité ou la différence n’était plus de mise dans une discipline où les personnalités des joueurs sont elles-mêmes affadies et lissées par des règlements castrateurs. Le tennis comme un jour sans fin, c’est souvent vrai à l’US Open en raison des sessions de nuit, mais aussi comme un film qui se répète à l’infini de New York à Paris en passant par Londres et Melbourne, même si chacun garde tout de même ses spécificités propres.

Pour remettre du vent dans les voiles, avec le souffle de l’inspiration comme moteur, un commissionnaire (visionnaire), sur le mode de la NBA, c’est-à-dire un personnage chapeautant toute l’architecture du tennis professionnel à la fois chez les hommes et chez les femmes, serait idéal, et il y en a quelques-uns hauts placés pour partager ce sentiment. Loin des vieux personnages usés et sans idée de l’actuelle Fédération internationale de tennis et au-dessus de l’ATP et de la WTA, trop soucieux de faire plaisir et d’obéir à leurs joueurs et surtout à leurs stars. Derrière la prétendue bonne santé actuelle du tennis (qui reste à prouver puisque beaucoup de tournois hors Grand Chelem peinent à trouver une rentabilité), un peu d’audace ne serait décidément pas du luxe. 

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